guarnido

Juanjo Guarnido : « Le dessin animé est vraiment la meilleure école qui soit « 

Partagez l'article !

Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Juanjo Guarnido est un dessinateur de bandes-dessinées espagnol. Diplômé des Beaux-Arts de Grenade, après avoir participé à la conception de fanzines, il rencontre Juan Diaz Canales à Madrid dans des studios d’animation en 1990. En 1993, il est embauché aux studios Walt Disney de Montreuil et crée notamment des décors dans Le bossu de Notre-Dame et anime le personnage d’Hadès dans Hercule. En parallèle, il imagine les dessins du premier tome de Blacksad « Quelque part entre les ombres ».

propos recueillis par

Partagez l'article !

Il est aussi le dessinateur de la série Sorcelleries, scenarisée par Teresa Valero, et le créateur de toutes les couvertures de la série Voyageurs et des dessins du tome 13. Blacksad est devenu un classique du neuvième art, récompensé de nombreux prix prestigieux au festival d’Angoulême et à l’étranger. Le dernier tome, Amarillo, s’ouvre à la Nouvelle -Orléans ; le compagnon complice de notre détective félin, Weekly, prend l’avion tandis que John Blacksad aspire à trouver -enfin!- un travail reposant : un riche texan lui propose, moyennant salaire, de ramener sa voiture chez lui. Un boulot bien payé et pépère en apparence! John Blacksad voit son roadtrip tourné au vinaigre et va devoir partir à la poursuite de deux écrivains beatniks qui cherchent à rejoindre Amarillo au Texas. Un nouvel album voyageur qui nous entraîne sur les routes américaines du Nouveau-Mexique, du Colorado, du Texas et de l’Illinois et offre de surcroît une parenthèse circassienne excitante!
Nous sommes très heureux de vous inviter à partager notre rencontre avec Juanjo Guarnido, génie des planches aussi talentueux que sympathique!

Vous êtes dessinateur de bande-dessinée mais avez travaillé de nombreuses années pour les studios Walt Disney: que vous a apporté cette expérience?
Beaucoup, cela a été déterminant sans que ce soit prémédité au départ. J’ai simplement acquis de bons réflexes et cela a été bénéfique pour moi quand j’ai commencé à aborder le découpage et la mise en scène , notamment dans Blacksad. J’avais tout de même déjà fait de la bd: j’ai passé ma jeunesse à m’y adonner et à rêver de travailler dans le neuvième art; sauf qu’en terminant les Beaux -Arts, les débouchés professionnels -et particulièrement en Espagne- n’étaient pas joyeux donc je me suis tourné vers le dessin-animé…mais comme dit mon scénariste, Juan Diaz Canales, qui est aussi un dessinateur prisé, a une vaste expérience dans le dessin-animé et a eu son propre studio aussi:  » Le dessin animé est vraiment la meilleure école qui soit. »

Comment avez-vous rencontré Juan Diaz Canales?
On s’est rencontré en 1990; on a démarré tous les deux ensemble dans un studio de dessins animés de Madrid, on a postulé pour une formation et on a été pris; on était une huitaine de personnes et on est encore en contact avec certains; il y avait donc lui mais aussi sa femme Teresa ,qui ne l’était pas à l’époque et qui est la scénariste de Sorcelleries. On avait sympathisé à l’époque , notamment à cause de notre passion commune pour la bd. J’ai vu en lui, en plus de celui de dessinateur, un grand potentiel en tant que scénariste. On a émis l’idée qu’on pourrait monter un projet ensemble mais on y songeait comme une idée ludique, juste pour le fun. Avec les années, ça a pris corps. À l’époque où l’on s’était rencontré, Juan avait écrit des histoires mettant en scène déjà ce personnage de Blacksad: c’étaient des histoires courtes en noir et blanc; le dessin n’était pas encore mûr et il l’a proposé à des magazines déjà moribonds en Espagne mais ça n’a pas pris mais chez moi ça a pris ( rires!) ; j’ai adoré l’idée! Quelques années plus tard, lorsque j’étais déjà installé à Paris et que je travaillais pour les studios Disney, on a eu envie de faire une bd en petit format puis on a fait le premier album…et le résultat est là: cinq tomes aujourd’hui.

Cette série policière se déroule dans une Amérique des années 50 : pourquoi ce choix? Était-ce un univers spatio-temporel qui vous fascinait tous les deux?
L’univers du polar me plait beaucoup, notamment au cinéma. Je n’ai cependant pas lu beaucoup de romans noirs ; j’ai lu certains livres de Raymond Chandler mais aussi du polar français ( j’ai notamment beaucoup apprécié un des romans de Fred Vargas: Un peu plus loin sur la droite). Malgré tout , ce qui me plaisait surtout c’était cette ambiance de polar animalier, la possibilité de le dessiner dans un style réaliste; cela me paraissait original , culotté; c’était un défi à relever, idéal pour moi puisque j’ai toujours adoré dessiner des animaux. Juan Duaz Canales est un fan de polars, notamment de polars en bd; sa première approche de Blacksad se rapprochait d’Alack Sinner de José Munoz et San Payo. En même temps, on ne savait pas à quelle époque on allait le situer; on savait que ce serait un polar référentiel mais on était pas sûr d’emblée de le situer dans les années 50; on a discuté , situé en Amérique à un moment donné et on s’interrogeait quand même: pourquoi pas à Paris ou à Madrid: un monde animalier à Madrid, c’aurait été plus exotique peut-être ( sourires). Bref, on a fini par prendre une position très classique en référence au polar américain… les classiques du cinéma noir : ça va de 39 à 59, de L’ennemi public à L’autopsie d’un meurtre. À cette épique-la, il a donc fallu choisir ensuite si on le positionnait dans les années 30, 40 ou 50…on a choisi les années 50, années d’après-guerre; le monde occidental commence à ressembler à celui d’aujourd’hui et voilà il y avait alors beaucoup de choses à exploiter; esthétiquement cet univers nous plaisait.

C’est une série qui a débuté il y a 13 ans… C’est une production que l’on pourrait qualifier d’assez « lente »…
Comment ça « lente »? ( Rires)

Il y avait des guillemets…
Ah ces guillemets, je ne vous les pardonne pas ! ( Rires)

Est-ce qu’il y a la volonté que chaque parution d’un nouvel album soit un événement parce qu’on l’a attendu? Est-ce du à votre façon de travailler, très pointilleuse?
Il faut savoir que nous ne chômons pas, Juan Diaz et moi. J’ai évidemment des périodes un peu plus creuses où je suis moins productif mais en général entre deux Blacksad, Juan travaille dans le dessin animé et ça m’est arrivé aussi; j’ai été à Walt Disney à plein temps. Mais j’ai fait aussi la série Sorcelleries qui s’intercalait avec Blacksad puis Il y a eu Voyageurs, des illustrations presse, des projets par ci par là. En même temps Blacksad n’est pas une série qui a vocation à paraître tous les ans et, de plus, l’élaboration d’un album de Blacksad est long ( entre un an et un an et demi voire plus…du manuscrit jusqu’aux finitions). Je pense aussi que je public apprécie le fait que ce soit fait avec soin et qu’on prenne notre temps. C’est vrai qu’entre le tome 3 et 4, il y a eu une pause de 5 ans qui était plus ou moins justifiée mais on n’a pas pu faire mieux et les circonstances de la vie ont fait que c’est comme ça.

Qu’est-ce qui vous a séduit particulièrement dans le scénario d’Amarillo? Le fait que John Blacksad a toujours un train de retard?
J’ai beaucoup tout aimé: le plateau de personnages qui m’était proposé, le faut que certains se réfugient dans un cirque – je savais que le cirque ce serait formidable à dessiner- , les paysages et les ambiances différentes dues au voyage…la terme est très bien ficelée et il y a des personnages très attachants. Je pense que ce qui compte le plus c’est le fait que les personnages soient attachants.

Qui a choisi, Juan Diaz ou vous-même, que Chad Lowell, le jeune écrivain en poupe soit un lion? Qui imagine en quel animal chacun des personnages va être représenté?
Tout est très réfléchi par le scénariste qui me propose toujours un animal pour chaque personnage. Dans la plupart des cas je l’accepte et dans ce tome en particulier il n’y a pas eu de discussion; le casting était parfait. Ça peut m’arriver de faire une contre-proposition au scénariste. Le personnage de Chad est inspiré directement de Kerouac et franchement quand on voit Kerouac avec son allure de beau gosse, grand, talentueux, sûr de lui, avec cette pulsion de vie, de mort et de création… je le vois tout à fait en lion ! En même temps, toujours l’animal choisi doit véhiculer une idée, des stéréotypes mais aussi des subtilités au niveau de la personnalité du personnage en question. Pour Chad, ce n’est pas que le côté fougueux que l’animal choisi met en valeur : c’est un lion , oui, mais un jeune lion , pas sûr de lui , dubitatif, mis à l’épreuve et qui a l’air du lion lâche…il est meurtri par l’image qu’il pense que les autres ont de lui-même en tant que lion lâche et du coup, quand il laisse sortir le fauve en lui, ça fait des dégâts à chaque fois.

Au niveau du choix de couleurs..?
C’est aussi dans le scénario: la couleur de la voiture, la couleur du titre de l’album, le modèle de la voiture , c’est une eldorado.

Le perroquet aux propos racistes qui les prend en stop est de la même couleur que sa voiture…
Oui, c’est un Redneck et un Redneck ne pouvait être qu’un perroquet… ce personnage bavard, insupportable, bêta, bruyant avec la voix désagréable. Le Redneck dans sa camionnette, c’était une idée très heureuse aussi.

Les scènes de cirque ont du vous demander un travail conséquent…je pense notamment à la réunion du jugement de Chad…
Oui cette cour des miracles a été très difficile à dessiner mais je savais, dès la lecture du scénario, que ce serait un moment clé dans l’histoire et que si j’assurais, ça allait être un de ces moments que les lecteurs adorent dans Blacksad où il y a des images assez marquantes.

Combien de temps vous a demandé cet album?
Je l’ai fait en moins d’un an. J’ai été plus rapide que les précédents; je me suis imposé un deadline, un rythme de travail pendant l’été qui a été très intense. Je suis content du résultat; bon, il y a des pages dont je suis moins satisfait mais dans c’était le cas dans d’autres tomes aussi; on ne peut pas refaire son travail jusqu’à satiété , il faut à un moment donné être pro et il faut faire des concessions avec notre propre exigence de nous-mêmes.

Est-ce que vous ressentez une pression particulière du fait que vous avez un lectorat fidèle et fan qui attend avec impatience la parution de chaque nouveau tome?
J’essaie de m’en détacher mais c’est difficile. Il faut qu’on tienne la barre à chaque fois; il faut aussi se dire qu’on ne peut pas trop tarder ( ça n’est plus possible d’envisager d’en espacer deux de 5 ans). Du coup, on essaie de planifier ça un peu mieux et , mêle si nous avons d’autres projets ( pour ma part j’en ai d’assez ambitieux dans la bd et hors bd) , on va essayer de faire plaisir à nos lecteurs en faisant paraître dans trois ans à peu près deux albums de Blacksad suivis: ce sera une histoire en deux tomes.

Question plus technique: avec quels outils et matériaux travaillez-vous?
Je suis un puriste limite maniaque au niveau des techniques. J’ai commencé à travailler à l’aquarelle parce que ça m’allait mais ce n’est pas une technique que je conseille à quiconque parce que si le résultat peut être joli, c’est une technique très problématique. Moi j’y ai trouvé mon petit chemin, ma petite méthode et ça me correspond. Au niveau de la couleur, je ne suis pas un coloriste né ni intuitif donc je prépare beaucoup au préalable. Je fais ma couleur directement sur les planches donc après avoir fait l’encrage , avant de passer à la couleur, je dessine et je reproduis quelques cases en plus petit et les mets en couleurs avec l’aquarelle de façon à faire une recherche poussée de la palette couleurs et du traitement de la lumière.

Sont parus également deux tomes composés « d’aquarelles ».. pouvez-vous nous en dire quelques mots?
Ce sont des recueils de ces maquettes couleurs ; l’éditeur les appelle des aquarelles. Ce sont des miniatures qui sont élaborées de façon très jetées et parfois, au niveau pictural, elles sont plus intéressantes que les cases finies, très souvent même. Y sont présents également des textes que j’ai écrits pour expliquer ma méthode de couleurs et certaines personnes ont beaucoup apprécié parce que j’y donne des tuyaux de façon très naturelle et des techniques que j’ai apprises de dessinateurs et de grands coloristes et peintres. Voilà, moi j’ai des tuyaux et je les refile à tout le monde; il y a pas de raison de tenir secret ces techniques puisqu’après chacun fait sa cuisine avec les petites techniques dont il hérite et qu’il apprend des autres.

On parlait à une époque de la création d’un film Blacksad ; y’a-t-il de nouvelles actualités à ce sujet?
Pour l’instant non mais Thomas Langmann a re-signé pour la prolongation de son option sur les droits visuels de Blacksad. C’est d’actualité mais ça représente un budget colossal.

Seriez-vous sollicité dans la création?
Peut-être comme consultant sans doute …après ça dépendrait des forces créatrices de ce film parce qu’au moment où c’est signé, ça nous échappe, ça ne nous appartient plus dans la confection, la fabrication et les nouvelles idées…c’est l’idée du realisateur qui va primer et va être traduite en images. Si c’est un réalisateur qui veut qu’on soit à bord dans son équipe, ce sera différent de si c’est un réalisateur qui veut faire ça dans son coin et n’a pas envie qu’on vienne mettre notre nez et dire  » Non, Blacksad c’est pas ça…etc ».

Vous nous parliez de projets futurs ambitieux… Pourriez-vous nous en dire davantage pour conclure?
Je ne peux pas travailler sur deux albums en même temps, ça me rendrait fou! J’ai besoin de me concentrer sur un projet et d’ailleurs je me rends compte que je ne peux pas faire de projets parallèles parce que ça me coupe trop violemment dans mon élan . Cet album de Blacksad étant fini, je démarre maintenant un projet de dessin animé : une création que j’ai envie de faire et qui me trotte dans la tête depuis 4 ans. J’ai les équipes, un studio à Paris plus ou moins engagé pour le projet mais il me faut maintenant les fonds nécessaires. Et puis j’ai des projets bds aussi, bref, des tas de choses motivantes et excitantes!

Amarillo
Blacksad – Tome 5
Scénariste : Canales Juan Diaz
Dessinateur : Guarnido Juanjo
Prix : 13.99€
Public : Ado-adulte
Date de parution : 15 novembre 2013
54 pages
Genre : Polar / Thriller
Crédit photo ©Dargaud / Rita Scaglia/

A lire aussi:

Blacksad: entretien avec l’auteur du charismatique chat détective

Elise Griffon et Sébastien Marnier : salaires nets et pires jobs

José Lenzini : Camus, entre justice et mère

José Luis Munuera : la précision du trait d’un natif espagnol de talent

Philippe Richelle et les Mystères de la République

Jean Dufaux : un alchimiste du scénario au propos inspiré

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à