Juan Diaz Canales

Blacksad: entretien avec l’auteur du charismatique chat détective

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Partagez l'article !Propos recueillis par Nicolas Bodou et Julie cadilhac– PUTSCH.MEDIA/ Interviex de Juan Diaz Canales / Qui ne connaît pas Blacksad passe à côté d’un monument de la bande-dessinée contemporaine! Ce chat détective anthropomorphe,créé par l’auteur Juan Diaz Canales et l’illustrateur Juanjo Guarnido est devenu un héros incontournable: tenace, authentique et défendant farouchement la […]

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Propos recueillis par Nicolas Bodou et Julie cadilhacPUTSCH.MEDIA/ Interviex de Juan Diaz Canales / Qui ne connaît pas Blacksad passe à côté d’un monument de la bande-dessinée contemporaine! Ce chat détective anthropomorphe,créé par l’auteur Juan Diaz Canales et l’illustrateur Juanjo Guarnido est devenu un héros incontournable: tenace, authentique et défendant farouchement la veuve et l’opprimé. Dans une atmosphère de film noir, dans le New York des années 50, évoluent des personnages dont le caractère transpire derrière le museau, le groin, le bec qu’on a bien voulu leur soumettre. Des histoires qui n’épargnent pas les défauts humains et mettent en lumière des faits de société révoltants. Blacksad est une série de quatre tomes ( Quelque part entre les ombres (2000) – Arctic Nation ( 2003) – Âme rouge ( 2005) – l’Enfer, le silence (2010) dont la production est indéniablement exigeante et ne se soumet pas à la nécessité de publier régulièrement un album; frustration extrême, donc, pour ses lecteurs toujours dans l’attente d’une nouvelle aventure. Rencontre avec Juan Diaz Canales, scénariste pour la bande dessinée et le film d’animation dont les textes sont pétris d’humour et de références littéraires. Occasion de recevoir quelques confidences sur le travail fascinant de ce La Fontaine moderne et d’apprécier la simplicité du géniteur de ce félin charismatique.
J.C: Comment naît un héros? Toujours quelque part entre les ombres? C’est dans la noirceur que naît en sursaut l’espoir et le héros? Il naît plutôt de la nécessité de l’apprenti- narrateur de raconter des histoires qui ressemblent à celles qu’il adore. Dès qu’on vient au monde, on ne fait que répéter les schémas de nos prédécesseurs mais en donnant notre touche personnelle. Alors, dans le monde de la création, c’est exactement la même chose. C’est de là que naît l’héros, une sorte d’émulation des autres héros qui nous ont fait rêver à de merveilleuses histoires.
J.C: Le premier volume narre une vengeance personnelle mais ceux d’ensuite sont-ils conçus, au fur et à mesure, pour dénoncer les grands maux de notre société? Le racisme dans Arctic Nation? Le nucléaire dans Âme Rouge ou la drogue et les abus de la médecine dans L’Enfer, le silence? Est-ce une démarche réfléchie ou naturelle à votre personnalité? C’est un peu le mélange des deux. Pour ma part, je ne saurais écrire sans beaucoup réfléchir en même temps. Et puis, même si tu essayes de rester dans l’ombre de ton oeuvre, il est impossible de cacher ta façon de voir et de comprendre la vie. En tout cas, quand j’ utilise les grands thèmes sociaux, c’est pour développer les conflits moraux des personnages mais ce sont toujours les petites histoires des personnages qui m’intéressent le plus.
J.C: Personnifier des animaux pour mieux parler des travers des hommes, c’est vieux comme le fabuliste Esope, c’est efficace comme La Fontaine…ce dernier les utilisait pour rendre la lecture plus attractive et récupérer ainsi l’assentiment de son lecteur… Est-ce donc une technique argumentative pour faire prendre conscience aux lecteurs de certaines réalités? J’ai choisi le genre animalier pour une question d’efficacité narrative, bien démontrée pendant des siècles par les grands fabulistes classiques comme ce que vous évoquez et bien d’ autres comme les espagnols Samaniego et Iriarte par exemple. A l’époque où j’ai conçu Blacksad, je me suis rendu compte comme il était complexe de boucler une enquête- polar en format BD sans trop abuser de l’aspect littéraire, très surchargé de texte et dialogues. Et voilà que j’ai eu l’idée d’utiliser les codes de la fable, très connus par tout le monde, avec lesquels on pourrait donner beaucoup d’informations de la personnalité et même du rôle du chaque personnage seulement avec l’aspect physique. Après les premières essais, cela s’est imposé comme une très bonne solution que nous a permis de favoriser l’aspect visuel de la série sans négliger le côté littéraire.
J.C: L’utilisation d’animaux, par ailleurs, permet-elle, selon vous, d’évoquer certains actes graves ( meurtres, pédophilie…) en choquant moins?Black sad Je ne crois pas. A mon avis, un concept bien exprimé est tout à fait plus efficace qu’une image frappante. Tu peux étonner facilement le lecteur avec des images, mais on vit dans un monde où il y a des images spectaculaires partout, qui se succèdent à toute vitesse sans nous laisser à peine le temps d’y penser. Par contre, si tu arrives à faire réfléchir le lecteur sur des concepts ou des faits des personnages, cela reste dans l’esprit. On en a l’exemple parfait dans MAUS de Spiegelman. Dans sa BD, l’ Holocauste et ses conséquences restent complètement émouvantes malgré le pari narratif d’un dessin animalier presque naïf.
N.B: Est-ce que le fait de travailler sur des personnages zoomorphes vous incite à laisser le lecteur interpréter de lui-même les caractéristiques de certains personnages ? C’est inévitable. Même si les stéréotypes sont bien connus et acceptés pour la plupart des lecteurs, il y une part de l’interprétation de chaque lecteur qui est forcement basée sur son expérience personnelle. Nous ne pouvons pas contrôler ça et tant mieux! Ça veut dire que la lecture de Blacksad est une expérience unique et différente pour chaque lecteur !
N.B: Comment s’élabore votre scénario: cherchez vous d’abord un thème classique du polar, ou s’imbrique t- il naturellement dans l’histoire que vous êtes en train de développer ? Disons qu’avant que le dessinateur ne prenne son crayon, tout est déjà noté dans le scénario : l’action, les dialogues, le découpage (et dans le cas de Blacksad, aussi le casting des personnages zoomorphes. ) C’est la façon la plus courante de travailler en BD. Cela n’empêche pas que, comme Juanjo Guarnido et moi faisons un vrai travail de collaboration, il y a plein d’ échanges entre nous. Lui apporte beaucoup d’idées scénaristiques, notamment au niveau de casting animalier. C’est étonnant comme il connaît par cœur presque toutes les espèces animales ! Dans les étapes suivantes, il développe beaucoup plus le découpage parce que sur mes scénarios restent ouverts à son interprétation. Et son interprétation est celle d’un maître de la narration, comme on peut le constater dans les albums publiés! La distance physique ne représente aucune problème aujourd’hui. On a la chance de pouvoir se rencontrer plusieurs fois chaque année. En plus il y a le téléphone, Internet, les chats, etc. pour être toujours en contact.
N.B: Vous sentez vous plus inspiré par le cinéma ou la littérature dans la création de Blacksad ? C’est difficile à savoir. D’habitude on parle de l’influence des films classiques du polar et aussi des romanciers. Mais il y a d’autres influences que j’oublie souvent de citer et qui sont aussi très importantes. Par exemple, il y a des grands auteurs BD qui m’ont beaucoup influencé comme Hugo Pratt, Tardi, Will Eisner, Carlos Gimènez ou Hernández Cava.
J.C: Vous êtes-vous déjà essayé au genre du roman? Vous sentiriez-vous à l’aise avec les longs passages narratifs? Le roman, c’est quelque chose de très difficile à mon avis. J’ai beaucoup de respect pour le métier de romancier. Et je ne parle pas de la technique car ça, je soupçonne que je pourrais arriver à l’apprendre, comme j’ai plus ou moins réussi avec celle du scénario. Par contre, pour écrire un bon roman il faut avoir une culture littéraire importante. Sans ce bagage culturel, c’est impossible à la fois de maîtriser le langage et d’exprimer des pensées complexes. Bref, je vais continuer à me cultiver et qui sait si avec le temps, j’aurais le courage….
J.C: La bande dessinée impose-t-elle beaucoup de rigueur à ces auteurs? La nécessité de réduire à l’essentiel? Tout à fait. Mais heureusement, on a le grand outil de la BD : l’ellipse temporelle! La voilà une des ressources narratives les plus puissantes jamais inventées. On y est habitué déjà grâce au cinéma. Mais en comparaison avec les films, la BD est beaucoup plus exigeante envers le lecteur car on a une ellipse entre chaque vignette ! Ça rendre la lecture d’une BD forcèment plus participative. Le lecteur doit imaginer beaucoup de choses qu’il ne voit jamais. Avec un bonne utilisation de l’ellipse, on peut affronter de vrais défis narratifs, et les grands auteurs de la BD sont ceux qui ont réussi à mener l’ellipse efficacement.
Black sad 2J.C: Blacksad est un détective désabusé mais un gentleman à part entière…bien loin des ripoux qui inondent le paysage du genre policier aujourd’hui. Est-ce par nostalgie du passé que vous avez choisi de le faire vivre dans les années 50? Cette époque et ce pays, l’Amérique sont-ils les ingrédients indispensables au polar idéal? Blacksad pourrait-il évoluer au vingt et unième siècle? Moi je crois qu’il y a eu toujours eu des ripoux dans les polars classiques. Il faut simplement jeter un coup d’œil aux romans de Chester Himes ou Jim Thompson par exemple pour vérifier à quel point le personnage cynique et malhonnête n’est pas du tout une invention actuelle. Sinon, Juanjo et moi, nous sommes attirés pour les années 50 pour plusieurs raisons. D’abord, bien que plus d’un demi siècle se soit passé, cette époque aux États Unis d’après la seconde guerre mondiale marque le début du monde comme nous le connaissons aujourd’hui : la nucléarisation, la société de consommation, l’incorporation de la femme au travail, l’arrivée de la presse comme quatrième pouvoir, la télé, etc. Puis, il y avait aussi un côté esthétique. On adore l’architecture, les designs et la mode de ces années. C’est une époque très élégante et qui a d’ailleurs très bien vieilli, qui reste encore belle . Alors, on n’a aucun besoin de faire évoluer l’univers Blacksad vers une autre époque. Je crois que ça n’apporterait pas grand chose.
J.C: Le commissaire Smirnov (  » J’aime imaginer un monde un monde juste, où même les puissants paieraient leurs fautes ») est un individu authentique comme l’institutrice Miss Grey…le polar a-t-il besoin systématiquement d’une figure référente à laquelle on peut avoir foi, une sorte de lumière dans les ténèbres? A mon avis, on a toujours besoin d’un figure comme ça, même dans la vie réelle ! D’ailleurs je suis convaincu qu’il y en a partout. Ces personnes honnêtes et bonnes existent et tout le monde en connaît quelques unes. Hélas, elles ne sont presque jamais aux informations, bien qu’ elles travaillent pour la communauté. Si elles sont présentes dans mes histoires, c’est comme un réflexe de la réalité qui, pour moi, n’est pas du tout si noire.. comme la plupart des médias veulent nous le faire croire.
J.C: L’utilisation des stéréotypes est un réflexe récurrent dans le polar : pourquoi selon vous? Tous les genres, le polar compris, utilisent des stéréotypes et des codes très reconnaissables par le public. C’est un truc inhérent aux genres qui permet aux lecteurs/spectateurs de savoir les règles du jeu. Au moment où quelqu’un change complètement ces « a priori » narratifs, on est en train de changer d’un genre à un autre.
J.C: Vos albums sont souvent imprégnés de portées musicales : la Nouvelle-Orléans était-elle une ville qui s’imposait pour un chat mélomane? Bien sûr ! Après avoir mis en scène déjà dans les albums précédents un couple de blues et les chansons de Billie Holiday et Ella Fitzgerald, on avait vraiment envie de faire une histoire encore plus musicale. Alors la Nouvelle Orléans, le berceau du jazz, nous a servi parfaitement pour cela. Puis la structure du récit, avec l’alternance des séquences au passé et au présent, a donné aussi ce rythme plutôt musical.
J.C: Pourquoi l’apparition brève et mystérieuse d’un ange gardien? pour montrer les faiblesses du héros qui le rendent plus « humain » ou , au contraire, pour conforter sa position d’être « extra-ordinaire » qui ne peut pas mourir? Oui, ce passage est là pour renforcer le côté humain de Blacksad. Mais n’est pas pour montrer qu’il est mortel car ça, c’est évident pour moi. Sa faiblesse est le doute face à des situations de la vie qu’on ne comprend pas. On a vu dès la première planche son scepticisme envers la magie, le vaudou, l’apparition de la Mort… et pourtant d‘un coup, il se trouve en face d’une situation presque surnaturelle. C’est de la magie ou de la coïncidence ? C’est une hallucination à cause de la drogue ? Blacksad n’a pas une réponse claire, et pour le lecteur, cela reste ouvert à son interprétation.
J.C: Weekly a pris définitivement sa place de complice? Est-il le pendant maladroit que Blacksad attendait? Moi je n’aime pas l’idée de Weekly comme l’assistant du héros à la façon de Batman et Robin ! On adore Weekly et on s’amuse pas mal, Juanjo et moi, avec ce personnage .. Mais ce n’est pas notre intention de l’avoir dans chaque album de la série. En fait, sa présence dépend de la pertinence de son rôle dans l’histoire. Comme bon privé, Blacksad est un mec solitaire qui bosse tout seul.
N.B: Un indice sur le prochain lieu d’enquête de John Blacksad, peut-être Los Angeles, autre ville mythique du polar américain ? L’idée, c’est un espèce de road-movie. Ça veut dire qu’ il sera un peu partout jusqu’à son retour à New York.
J.C: D’autres projets BD? Un diptyque avec le dessinateur Munuera? Surtout ça ! Je tiens beaucoup à ce projet qui s’appellera FRATERNITY et qui sortira l’année prochaine chez Dargaud. Il s’agit de l’histoire d’un enfant black sad pagesauvage, trouvé à l’intérieur de la forêt et élevé dans une communauté socialiste utopique au cœur des États Unis pendant la guerre de Sécession. Des événements inattendus et dramatiques désenchaînent la tragédie parmi la colonie au bord du collapsus. Et tout cela illustré par Munuera au sommet de son grand art avec un style plus réaliste, très près de celle de son album « Le Signe de la lune »
J.C: Une boutade pour finir….Juan Diaz Canales a -t-il des tics de physiognomonie depuis Blacksad? Imagine–t-il les gens en animaux lorsqu’ils les regardent? Mais non ! Heureusement j’arrive encore à ne pas confondre la vie réelle et celle de l’imaginaire. Au moins pour l’instant…

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