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Philippe Richelle et les Mystères de la République

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Crédit-photo: DR/ Diplômé en Sciences Politiques à l’université de Liège, Philippe Richelle a fait ses premières armes comme auteur de bandes-dessinées dans Le Journal de Tintin. Il est le scénariste de nombreux albums plébiscités et récompensés comme les Coulisses du pouvoir (co-conçu avec Delitte) , les Amours fragiles (avec Jean-Michel Beuriot), Opération Vent Printanier ( avec Pierre Wachs) et Secrets bancaires (avec Pierre Wachs et Dominique Hé ).

propos recueillis par

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En 2013 a débuté son dernier projet hautement ambitieux: Les Mystères de la République. Une série-concept conçue avec trois dessinateurs, un pour chaque république. C’est l’occasion pour lui d’y mêler ses passions:l’Histoire, la politique et le polar. En s’inspirant de faits réels, il narre les aventures de trois commissaires dont la curiosité et le souci de faire percer à jour de sombres vérités provoqueront des conséquences personnelles fâcheuses.Mêlant brillamment suspense, documentation et analyse historique, Philippe Richelle nous a séduit… aussi nous vous le faisons rencontrer!

Vos précédents albums ont déjà montré que vous êtes un passionné d’histoire, de polar et de politique: jouons au portrait chinois: si vous deviez citer un fait historique, une œuvre policière et un personnage politique qui vous passionnent particulièrement, lesquels serait-ce et pourquoi?
Un fait historique ? Les premiers qui me viennent à l’esprit sont l’émergence des Lumières au XVIIème siècle, le suffrage universel (condition essentielle -mais non suffisante- de la démocratie / un acquis récent puisque le droit de vote aux femmes date de 1944 en France), la création de la Communauté Européenne…Si je dois vraiment en choisir un seul, j’opte pour les Lumières…Une oeuvre policière…En littérature, Simenon, sans hésiter. Au cinéma, des films comme Il était une fois en Amérique de Leone ou Jackie Brown de Tarantino (un de ses meilleurs films, à mon avis ). En télé, la série anglaise Inspecteur Morse (et son spin-off, Inspecteur Lewis)….Un personnage politique: François Mitterrand, pour sa trajectoire hors du commun, sa personnalité complexe, sa faculté à se relever quand tout le monde le donne pour mort, son rôle dans la réconciliation franco-allemande…. Cela dit, de Gaulle a beaucoup plus marqué son siècle que Mitterrand…

En matière de polar historique en bande-dessinée, si vous deviez citer une œuvre que vous estimez particulièrement, laquelle serait-ce? Il n’y en a pas tellement…Les Phalanges de l’Ordre Noir de Bilal et Christin m’avaient marqué, à l’époque. Parmi les oeuvres plus récentes, je citerais le Triangle Secret de Didier Convard…

Question pratique : Combien de tomes sont prévus pour ces Mystères de la République ? 5 tomes par cycle, soit 15 au total.

Un dessinateur différent pour chaque série… pourquoi? Parce qu’il était impossible à un dessinateur de prendre en charge autant de volumes? Parce que vous souhaitiez des graphismes différents?
Un dessinateur aurait pu assurer les 3 cycles. Les parutions se seraient échelonnées sur une période de 10 à 15 ans. Je n’ai jamais envisagé cette option. J’avais envie de travailler sur une série concept, un gros projet impliquant plusieurs dessinateurs, ce qui suppose une forte mobilisation de l’éditeur. Je dois dire que je ne suis pas déçu: c’est extrêmement stimulant!…
 En ce qui concerne le choix des dessinateurs, je voulais qu’il y ait une certaine unité graphique entre les 3 cycles, tout en faisant en sorte que chacun ait sa propre identité. Pierre Wachs, Alfio Buscaglia et François Ravard ont tous les trois un trait assez classique. Ce sont des dessinateurs de talent dont la première préoccupation est de se mettre au service du récit. Ils ne recherchent pas les effets gratuits, ils ne font pas dans l’esbroufe. Leur dessin est efficace et lisible. Et ils ont la capacité – essentielle!- de rendre un personnage sympathique.

En quelques mots, comment différencierez-vous la réalité des trois républiques que vous abordez?
Ce qui frappe avec la 3ème République, c’est que, tout au long de son histoire, elle fait l’objet d’un rejet d’une frange de la population, à droite (les monarchistes de l’Action Française, par exemple) et – plus tardivement – à gauche (le parti communiste). Les années 30 sont marquées par l’opposition de ces deux idéologies extrêmes, qui trouvera son épilogue dans la guerre. C’est de cela qu’il est essentiellement question dans le premier cycle.
La Quatrième République est un prolongement éphémère de la Troisième, caractérisée par la même instabilité des gouvernements. Elle est marquée par la Guerre Froide. La France devient un enjeu pour les deux superpuissances. Moscou finance le PCF, très populaire à l’époque. Washington, de son côté, s’active en coulisses pour réduire son influence, voire le faire interdire… C’est aussi sous la Quatrième République que la France commence à se défaire d’une part de sa souveraineté: en matière de défense d’abord, avec son intégration dan l’Otan; sur les plans politique et économique, ensuite, avec son entrée dans la CEE. Enfin, c’est sous la Quatrième République que débute la guerre d’Algérie. Ces différents sujets seront abordés dans la série.
La Cinquième République voit l’avènement de l’élection du chef de l’état au suffrage direct. Au sens du droit constitutionnel, ce n’est pas un régime présidentiel, comme aux Etats-Unis par exemple, où le président et son équipe peuvent continuer à gérer le pays sans l’appui du parlement: en France, l’opposition du parlement (cohabitation) relègue le président à une fonction protocolaire… Durant les années 60, de Gaulle monopolise le pouvoir. Cela engendre un certain nombre de dérives, que j’aborderai également…

En travaillant sur ces trois « régimes », qu’avez- vous réalisé, découvert? 
Vaste question! ( Sourire) D’abord, ce constat: la vérité a besoin de temps. Il est nécessaire que les historiens aient fait leur travail pour que le fait historique soit appréhendable dans toute sa complexité.
Autre constat : au XXème siècle, la France a mieux surmonté ses divisions internes que d’autres grands pays. En Espagne, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche en 1936 a déclenché une réaction militaire qui a débouché sur une guerre civile. Rien de comparable en France à la même époque, bien que la droite antirépublicaine fût assez puissante En Allemagne, Hitler a été porté au pouvoir par environ un tiers des électeurs. Or, ceux-ci n’étaient pas tous nazis, loin s’en faut. Plus près de nous, les Italiens ont élu un homme comme Silvio Berlusconi… L’électeur français n’a jamais porté au pouvoir un parti extrémiste. Faut-il en conclure qu’il serait plus « sage »?…
Par ailleurs, en étudiant le passé, on s’aperçoit que la mondialisation, tellement décriée, n’est pas un phénomène récent. C’était déjà une réalité dans les années 30 (et même avant): Ford fabriquait des véhicules en Allemagne, les producteurs de films français se plaignaient déjà de l’afflux de films américains (Tarzan, notamment)… Ce ne sont que deux exemples parmi beaucoup d’autres… Même constat pour ce qui concerne les affaires politico-financières: il n’y a rien de nouveau sous le soleil…
Enfin, au cours de la période que j’explore (des années 30 à la fin des années 60), la qualité de vie s’améliore sensiblement grâce au progrès social, médical, technologique… Nous vivons mieux aujourd’hui qu’en 1935. Peut-être moins bien qu’en 1965, dans la mesure où la crise économique est passée par là, menaçant certains acquis sociaux. Mais n’oublions pas que, jusqu’en 1989, l’Europe vivait dans la crainte d’un conflit majeur avec le bloc de l’Est. Aujourd’hui, nous vivons en paix et, cependant, le regard que nous portons sur notre époque est pessimiste… Depuis la fin des années 60, nous revendiquons le droit au bonheur. Nos attentes sont plus élevées que celles des générations précédentes, ce qui explique probablement ce pessimisme.
Pour conclure, on dit souvent que l’histoire est un éternel recommencement. C’est partiellement vrai. Mais, dans certains cas, les gens qui nous gouvernent savent faire preuve de sagesse et tirer les leçons du passé, comme l’illustrent la réconciliation franco-allemande et la construction européenne….

Est-il un personnage ( Paul Verne,Franck Peretti, Serge Coste ) pour lequel vous avez davantage d’affection que les autres? Et si oui, pourquoi?
Je me suis inspiré de gens de mon entourage pour définir leur psychologie. Il y a aussi, en chacun d’eux, une (petite) part de moi-même…Difficile de dire que j’ai plus d’affection pour l’un que pour les autres…Peut-être Coste, dans la mesure où il est le seul à avoir un enfant (je suis père moi-même). Sinon, je confesse une tendresse particulière pour les seconds rôles: l’inspecteur Lacaze avec son physique improbable, sa déontologie discutable; l’inspecteur Berlier, avec sa faconde, ses réflexions à l’emporte-pièce; l’inspecteur Hautcoeur, un vieux garçon qui n’arrive pas à se soustraire à l’emprise d’une mère possessive…Paul Verne, menacé d’être abattu, Franck Peretti, menacé d’échafaud et Serge Coste sur le point d’assassiner un homme… ont tous le point commun d’exercer ou d’avoir exercé des fonctions dans la police: c’est un corps de métier qui vous inspire souvent.

Avez-vous souvent fréquenté les postes de police pour votre métier? Ou fantasmez-vous les personnages de vos histoires?
Les rares fois que j’ai mis les pieds dans un commissariat, c’était pour déclarer le vol de ma mobylette Motobécane, il y a trente ans, ou, plus récemment, un bris de vitre à ma voiture. Alors, oui, je « fantasme » mes personnages. Je ne m’avance pas beaucoup en disant que c’est le cas de presque tous les auteurs de polars. Les flics de la fiction n’ont pas grand chose à voir avec ceux de la vraie vie. Et il n’y a rien de plus en plus ennuyeux qu’une enquête réelle… Cependant, il importe d’être crédible, de conférer aux enquêtes qu’on développe une apparence de réalité. Cela suppose une bonne connaissance du fonctionnement de l’institution judiciaire, du déroulement d’un enquête… Elle me vient de mes cours de droit à la faculté et de nombreuses lectures (les livres des juges Eva Joly, Eric Halphen, Jean-Pierre, notamment)…

Vous qui parlez de l’Histoire au travers d’histoires et de héros ( ou anti-héros) , que pensez- vous de l’enseignement de l’Histoire dans les collèges et lycées aujourd’hui qui gomment justement les héros au profit de l’étude de thèmes historiques plus larges?
C’est un vieil instituteur de village qui m’a donné le goût de l’Histoire. Quand il nous parlait des rois de France ou des Ducs de Bourgogne,c’était passionnant. Mais il ne se bornait pas à leurs mariages et leurs victoires militaires. Il évoquait le contexte de l’époque: fonctionnement de la société, enjeux internationaux, etc. Il avait une approche chronologique, aussi, qui me parait indispensable. Si l’on veut comprendre le XVI siècle, il est plus pertinent de parler de la Renaissance, du passage de l’état féodal à l’état moderne, de la Réforme, que des seules victoires (ou défaites) de François 1er… En même temps, on ne peut faire l’impasse sur François 1er, roi bâtisseur ouvert aux idées nouvelles, notamment en matière de religion….Donc, l’idée de ne pas centrer l’enseignement sur les « héros » n’est pas mauvaise en soi. Mais on ne peut pas non plus les éclipser. Ils sont des acteurs majeurs de l’Histoire et donnent à son enseignement une dimension humaine qui rend celui-ci moins rébarbatif. Ils font en sorte que l’Histoire devienne une histoire..

Enfin, parce qu’on est admiratif de l’ampleur de ce projet, on se demande: depuis combien de temps ce projet mûrit? Tous les scénarii sont-ils quasiment écrits ou sont simplement des canevas sur lesquels vous composez au fur et à mesure? Quelles sont vos méthodes de travail?
L’idée de combiner polar, histoire et politique n’est pas neuve. Mais comment l’aborder ? Le projet a mûri longtemps dans un coin de ma tête. J’ai défini le concept, écrit le canevas des 5 tomes de la 3ème République et du premier tome de la 4ème, et soumis le projet à l’éditeur. C’était en 2010. A l’heure où nous parlons, Pierre Wachs attaque son troisième album, tandis qu’Alfio Buscaglia et François Ravard finissent leur deuxième. De mon côté, il ne me reste que les 3 tomes 5 à finaliser (la trame générale étant déjà écrite). À mes débuts, je travaillais davantage au jour le jour. Aujourd’hui, quand un dessinateur attaque un album, mon scénario est complètement écrit. Ca ne veut pas dire que tout est figé : j’apporte des retouches, j’allonge ou raccourcis certaines scènes. Parfois, c’est un personnage qui me l’impose. Dans le cas de la 5ème République, François Ravard a conféré une telle présence au personnage de Berlier que j’ai fait en sorte de lui donner plus d’importance. Idem avec le personnage de Lacaze dans la 3ème République.
Quelques mots sur ma méthode de travail… En amont, il y a un gros travail de documentation. Je lis un maximum de bouquins: ouvrages scientifiques, témoignages…Je me renseigne sur le mode de vie de l’époque abordée, la vie culturelle, la pensée…J’absorbe donc un maximum d’informations, en veillant à me nourrir de points de vue divergents. Par exemple, je veux pouvoir ressentir ce que ressentais un Pied noir membre de l’OAS ou un Algérien membre du FLN. Quand ce travail est terminé, il faut tracer les grandes lignes de l’intrigue. C’est l’étape la plus excitante, celle où l’on est parfois confronté à l’angoisse de la page blanche…angoisse toute relative d’ailleurs dans la mesure où, avec l’expérience, elle est vécue comme une péripétie normale. Ensuite, je peaufine l’intrigue. C’est un travail assez long, maintes fois recommencé, amendé. Il en ressort un texte de 20 à 30 pages comparable à une nouvelle, avec de nombreux passages déjà dialogués. Enfin, dernière étape, le découpage proprement dit: page par page, case par case, avec les dialogues et les indications de mise en scène. Je m’efforce de ne pas être trop directif dans mes indications, afin de ne pas priver le dessinateur de l’un des aspects les plus intéressants de son travail (où placer la caméra? Comment cadrer?)…

LES MYSTÈRES DE LA RÉPUBLIQUE
CYCLE 1 – TOME 1 & 2
Scénariste : Philippe Richelle
Dessinateur : François Ravard Pierre Wachs, Alfio Buscaglia. Collection: Grafica
56 pages
Prix: 13.90€ le tome – Editions Glénat

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