Cet album « Tiy » est une nouvelle preuve de son talent. Alors qu’elle était destinée aux Grandes Écoles prestigieuses, Leila Olivesi a fait le choix de la musique tout en suivant des études de philosophie à la Sorbonne. Nous avons rencontré Leila Olivesi pour qu’elle nous parle de ce vibrant hommage musical et qu’elle lève le voile sur sa personnalité hors norme.
Leila, tout d’abord, de nombreux confrères vous considèrent aujourd’hui comme la relève du Jazz français. Qu’est ce que cela vous inspire ?
Le jazz est une musique vivante et nous avons la chance d’avoir en France de nombreux créateurs et improvisateurs de talent. À travers la musique que je compose et que je joue, j’essaie d’être à la fois originale et universelle. Les musiciens avec lesquels je joue m’inspirent énormément et cette exploration collective me réjouit à chaque fois, car elle me donne le sentiment de créer dans l’instant au-delà des frontières et des genres.
Quelle fut votre première rencontre avec le Jazz ?
Quand j’étais enfant, ma mère écoutait beaucoup de musique, de Miles à Coltrane en passant par Piazzola. Un jour Nina Simone est venue s’installer chez nous, car elles étaient très amies ; ce fut la première grande artiste que j’ai rencontrée. Par la suite, j’ai commencé le piano et j’ai fait partie des P’tits Loups du jazz, une aventure qui m’a permis de connaître la scène et le studio très jeune.
Et avec le piano ?
Ma grand-mère était violoniste et c’est elle qui m’a guidée dans mon apprentissage de la musique. J’ai tout de suite su que je voulais jouer du piano et j’ai eu la chance d’avoir Olivier Caillard comme professeur de piano jazz (l’instigateur des P’tits loups). J’ai eu aussi un très bon professeur de classique au conservatoire du centre, Jean-Louis Soyer, ancien directeur du conservatoire de Villejuif, qui m’a beaucoup appris concernant la musicalité et le toucher.
Y a-t-il un fil rouge qui lie votre maitrise de philosophie et votre amour de la musique ou cela est totalement différent ?
En France, lorsqu’on a des facilités pour les études, on nous pousse toujours vers les classes préparatoires aux grandes écoles ! J’ai d’abord été en Hypokhâgne Sciences Po, puis en khâgne philo pendant deux ans, avant de me retrouver à la Sorbonne. J’ai un amour profond pour la philosophie, car elle questionne les problématiques humaines fondamentales, le rapport de l’homme au monde et à lui-même. Mon mémoire de maîtrise, intitulé « la pâmoison baroque », m’a permis de conjuguer mes deux passions en étudiant les rapports entre la philosophie et la musique dans l’élan de rationalisation des Lumières au XVIIIe siècle. Ensuite j’ai décidé de me consacrer entièrement à la pratique musicale qui est, comme vous le savez, une discipline chronophage et vorace !
Vous avez récemment remporté le festival Ellington Composers. Comment avez-vous vécu cela ? Et qu’est ce que cela représente dans votre carrière ?
Le concours Ellington Composers a été une très belle expérience pour moi, je me suis plongée dans l’univers de Duke et j’ai écrit une oeuvre originale pour Big Band, Summer Wings, qui a remporté le premier prix du concours ainsi que le prix du Duke Orchestra décerné par les musiciens de l’orchestre eux-mêmes. Ces derniers temps, j’ai écrit plusieurs oeuvres pour grand ensemble, de l’orchestre symphonique au big band. C’est certainement une étape importante dans la vie d’un compositeur ; cela donne une telle richesse de timbres et de possibilités musicales… Un vrai bonheur !
Pouvez-vous nous parler de ce penchant artistique pour Duke Ellington ?
J’aime la musique de Duke Ellington, son swing, ses talents d’orchestrateur… Il a écrit des mélodies inénarrables, éternelles, à la fois d’une élégance absolue et d’une extrême vitalité.
Quel est l’apport des musiciens qui vous entourent dans ce quartet ? On pense notamment à Donald Kontomanou ou encore à Manu Codjia?
Commençons par la section rythmique qui est bien plus qu’une section rythmique ! Le batteur Donald Kontomanou qui m’accompagne depuis dix ans a des ressources musicales incroyables, il apporte toujours une quatrième dimension à mes compositions. Son écoute instantanée lui permet d’avoir un jeu à la fois riche et super efficace, dans une interaction très construite avec le contrebassiste Yoni Zelnik. Jouer en trio avec eux est simplement formidable, car tout est possible. Manu Codjia apporte une dimension magique, avec un son magnifique et une intelligence musicale rare. Nous sommes musicalement très complices et toujours sur la même longueur d’onde au point qu’il arrive souvent que si l’un de nous deux joue une variation rythmique imprévue, l’autre joue la même chose au même moment !
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’énigmatique titre de votre album Tiy ?
La préface de Claude Carrière qui figure dans le disque est très instructive concernant l’histoire de TIY ! Reine ancienne d’Égypte, j’ai choisi de lui rendre hommage, car c’était non seulement l’épouse du pharaon, mais aussi la véritable tête pensante de la diplomatie de son royaume, sans toutefois faire de concession concernant la féminité et le style qui suscitaient force louanges. Les grandes figures féminines m’inspirent beaucoup, de Frida qui a donné son nom à mon premier disque à la sorcière Aïcha Kandicha (fil rouge de l’album l’étrange fleur)…
Si vous deviez cet album en deux mots seulement, quels seraient-ils ?
« Écoutez d’urgence » ! Cet album représente bien mon univers musical, car ce ne sont que des compositions originales, mis à part le sublime « prelude to a kiss » de Duke Ellington. Les musiciens sont fabuleux, je pense aussi à Émile Parisien qui a tout de suite habité la musique de façon lumineuse. J’ai enregistré l’album avec mon cousin corse, Gilles Olivesi, ingénieur du son, et tous ceux qui ont participé à la création de TIY sont des gens que j’aime.
Où pourra-t-on vous voir sur scène dans les prochaines semaines ?
Je participerai à la création de Laurent Gossaert au théâtre de Rungis le 16 janvier prochain, en tant que pianiste et conseillère artistique sur le répertoire des P’tits Loups du jazz, interprété par la chorale de Vincennes de Claire Marchand et l’orchestre des gardiens de la paix. À cette occasion, la trompettiste Airelle Besson nous rejoindra sur scène avec le batteur John Betsch et le contrebassiste Zacharie Abraham qui est un autre vétéran des p’tits loups ! Ce sera une occasion de retrouver la musique qui m’a bercée il y a vingt ans et de rejouer quelques belles mélodies de Duke Ellington…
Leila Olivesi « Tiy »
Label Attention Fragile
(Photo DR)
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