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Benjamin Lacombe : de Madame Butterfly à Léonard de Vinci

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Propos recueillis par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ © Pauline Le Goff/ Le travail de Benjamin Lacombe pourrait être comparé à une pierre précieuse aux mille éclats dont le noyau serait occupé par un coeur de chair et de sang, bouillonnant et sensible. Le 13 novembre 2013 paraîtra aux Editions Albin Michel Jeunesse Madame Butterfly.

propos recueillis par

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À la plume et au pinceau, Benjamin réinterprète cette inoubliable histoire amoureuse au travers d’un livre d’artiste superbe dans lequel il a imaginé, au verso des pages reliées en paravent où le lecteur découvrira le récit illustré par des peintures à l’huile, une immense fresque au crayon et à l’aquarelle qui se déploie sur dix mètres de long. Un travail titanesque digne d’un artiste soucieux de se renouveler et de se dépasser sans cesse. Dans ce Madame Butterfly au manteau rouge sang, le Japon d’autrefois et ses mystères impénétrables sont sublimés par sa prose poétique aux images délicates et ses représentations graciles et émouvantes de nombreuses scènes du drame amoureux.
Quand on découvre une illustration de Benjamin Lacombe, on est d’abord saisi par l’émotion qui s’en dégage, la beauté éclaboussante des couleurs, la délicatesse du trait et l’élégance du mouvement. Ce que savent moins ses lecteurs, ce sont tous les rhizomes de sens qui circulent à l’intérieur de ses images. Ainsi, si sa Madame Butterfly narre bien sûr l’histoire d’un jeune officier américain qui contracte un mariage avec une jeune geisha, lui fait un enfant puis l’abandonne trois ans plus tard sans prêter d’importance à cette liaison exotique, provoquant le désespoir de la jeune fille et son suicide lorsqu’elle découvre sa nouvelle épouse américaine, elle lui est aussi l’occasion d’évoquer en filigrane une catastrophe écologique, celle de la disparition des papillons dont l’utilité pour l’écosystème, à l’instar des abeilles, n’est plus à démontrer. Le papillon, insecte éphémère dont la beauté réside aussi en sa fragilité, est en train de prendre congé de la Terre et son froissement d’ailes imperceptible ne sera bientôt plus qu’une rêve qu’il faudra conter aux enfants. Benjamin Lacombe nous les offre donc en bouquets, soulignant également le caractère éphémère de la vie et la vulnérabilité de l’amour. Ses inquiétudes et questionnements écologiques feront d’ailleurs l’objet d’une exposition au mois de décembre à la galerie Daniel Maghen durant laquelle vous pourrez découvrir un bestiaire imaginé par l’artiste, souhaitant insister sur la beauté de la nature et l’importance de la préserver.
Benjamin Lacombe est heureux également de voir son livre Memories enfin disponible à cette même galerie ; un album dans lequel l’artiste a compilé des souvenirs artistiques et personnels…une sorte d’Il était une fois Benjamin Lacombe en mots et en images ( dont beaucoup ont été retouchées à la main par Benjamin lui-même)… Des livres uniques donc, en exemplaires limités, pour les inconditionnels de son travail.
Enfin, lorsque 2014 s’annoncera, viendra l’heure de la parution de la bande-dessinée Léonard et Salaï chez Soleil Editions. Un ouvrage en deux tomes qui évoquera la vie du grand Léonard de Vinci et abordera la question de ses amours passionnels avec un jeune garçon qui travaillait dans son atelier. L’opportunité renouvelée de toucher encore à une problématique actuelle, celle de la tolérance et du droit de chaque être d’être libre d’aimer qui il souhaite.
Assez parlé! Rentrons dans son atelier, sanctuaire chaleureux, et laissons-le bavarder – des rires perlés aux lèvres, Virgile à ses pieds et l’enthousiasme chevillé au corps – de son travail d’autant plus admirable que ce démiurge est modeste!

Léonard & Salaï

Comment avez-vous travaillé avec Paul Echegoyen (techniquement parlant) sur Léonard et Salaï?
Au départ j’ai écrit le scénario puis exécuté un story board détaillé que je remets à Paul. Ensuite, Paul s’en empare, dessine de beaux décors, avec les valeurs et tous les détails. Je récupère ensuite ces décors que je reporte à la table lumineuse et j’y ajoute les personnages. Je corrige parfois aussi deux ou trois détails des décors et harmonise la stylisation. Enfin je rajoute les couleurs à l’aquarelle et le tour est joué.On se pose souvent l’utilité de redessiner le décor deux fois, et en réalité, en plus du souci d’harmonisation de la stylisation entre les personnages et le décor, techniquement je ne pourrais pas rajouter les personnages et repeindre directement sur les décors de Paul, car il fait ses décors à la graphite et l’aquarelle n’accrocherait pas dessus.

Quel est l’intérêt du quatre mains?
Tout d’abord le rythme ! La bande dessinée est un sacerdoce, le livre fait près de 90 pages, il faut tenir !!! Et puis Paul apporte aussi sa grande sensibilité au livre. Les décors bénéficient de son regard, de sa poésie.

Un mot sur le traitement de la couleur?
On trouve des camaïeux , des sépias, des gris, des violines: des couleurs qui rappellent les carnets de De Vinci ( ses croquis en noir et blanc etc..) mais aussi ses peintures du fait qu’on les connaît sous l’effet du vieillissement…La tonalité principale de l’album tourne autour de ces couleurs donc; ça permet aussi de faire un vrai distinguo entre l’action, les peintures de De Vinci et les peintures oniriques intercalées entre les dix chapitres. De plus, j’ai fait beaucoup de livres en couleurs et là j’avais envie de créer un univers pictural  » plus proche d’une écriture ». Ce qui était important pour moi, c’était l’histoire et la narration et il fallait que rien ne s’interpose entre. Il n’y a rien de pire que lorsqu’un dessin détourne de la lecture en bd.

Quel type de narration avez-vous choisi?
Il y a parfois des récitatifs de narration externe mais majoritairement on vit l’action. Comme s’il y avait une caméra et qu’on était dans l’intimité de De Vinci. Il y a des fois ou j’ai repris littéralement des phrases de De Vinci. On suit cette vie de couple parfois orageuse; tous les problèmes et les galères qu’il a vécus aussi…tant au niveau de son travail ( quand il n’arrive pas à finir les œuvres et les rendre à temps), au niveau financier…On suit un artiste et c’est l’occasion aussi de se rendre compte que, de tous temps, ce n’est pas facile de vivre de son art, même pour De Vinci!

Vous avez travaillé au Louvre pour trouver la matière documentaire de ce livre?
Oui, j’ai pu consulter ses carnets de croquis notamment et j’ai bénéficié de nombreux travaux d’historiens.

Dans ce tome 1 vous avez notamment reproduit la Cène, c’est bien ça?
Oui, et c’est l’une des raisons pour laquelle cette bande dessinée a demandé tant de travail ! Nous devions la sortir en cette fin d’année, et finalement elle ne sera prête que pour fin janvier, pour Angoulême.
Il s’alterne dans le livre des planches narratives et des peintures qui entrecoupent les chapitres, dont la Cène. Je l’ai peinte d’ailleurs deux fois dans le livre de deux façons tout à fait différentes : Une version telle que celle qu’on connait mais sans les détériorations et parties manquantes dues à l’érosion et aux traces du temps. Cela n’a pas été simple car j’ai dû me servir de plusieurs sources d’esquisses de Léonard et de descriptions pour recréer des parties ou des motifs qui ont disparu. Il y a aussi une version plus symbolique où je re-interprète une Cène « sous-marine », un peu comme un navire englouti avec les corps des Saints flottants. Il faut savoir que Léonard savait de son vivant que sa fresque ne tiendrait pas dans le temps à cause des matériaux qu’il avait utilisés pour l’exécuter. Le couvent avait été inondé et les premiers signes d’érosion sont très vite apparus. C’est la raison de cette version de Cène à la dérive dans le livre.,Cependant même dans la reproduction de sa version originale cette peinture et les autres reproduites dans le livre ont été une gageure : Il fallait à la fois que les tableaux soient ressemblants aux originaux et à la fois qu’ils s’intègrent à ma stylisation. Bref, ce n’était pas simple!

C’est un projet qui a l’air de vous tenir à cœur…
Oui, c’est un grand projet qui, je trouve, résonne d’une façon hyper contemporaine maintenant. Avec tout ce qui s’est passé avec le mariage pour tous l’an dernier, tous les gens qui se sont élevés et ont dit des choses horribles sur l’homosexualité… on se rend compte que le plus grand génie que la terre ait peut-être jamais porté était homosexuel, a eu une histoire pendant près de 30 ans avec la même personne, a subi énormément de problèmes par rapport à sa sexualité et son mode de vie. D’ailleurs à l’époque de De Vinci, il y avait Michel Ange qui était aussi homosexuel comme bien d’autres mais tous ne pouvaient l’officialiser parce qu’ils travaillaient pour le Pape…Assez jeune De Vinci a essuyé un procès pour son homosexualité; il a fallu qu’il mente en prouvant qu’il ne l’était pas et à partir de là il a mis une chape de plomb sur sa vie personnelle. Ce qui a rendu aussi le projet difficile dans l’élaboration du scénario…parce que c’est quelqu’un de très secret et il faut mettre en parallèle des éléments. En effet, dans ses carnets il n’exprime que ses besoins journaliers, ses méthodes de peinture, ses observations…

Vous nous aviez parlé par exemple d’un détail de ses carnets qui trahissait le mort de sa mère…
Oui, justement, cela prouve cette discrétion quant à sa vie personnelle: on l’apprend simplement par rapport aux commandes qu’il fait et au fait qu’il se trompe de jour en écrivant mardi au lieu de jeudi…et c’est la seule fois que ça arrive et on comprend qu’il était troublé.

Que nous apprend cette bd sur le génie De Vinci?
Je pense que beaucoup de gens vont découvrir des choses sur lui qu’ils ignoraient parce qu’on a de lui une image du vieux savant avec la barbe, ce qui n’est le De Vinci que des trois dernières années de sa vie , après être tombé malade…sinon De Vinci était l’opposé de cela: c’était un type flamboyant, dit  » le plus bel homme sur terre », un végétarien alors que le mot n’existait même encore à l’époque , il faisait des blagues tout le temps, avait une cour . Quant à Salaï , c’était à la fois quelqu’un de très talentueux puisqu’on lui a attribué un certain nombre de peintures de De Vinci et en même temps un petit voyou, qui aimait profondément De Vinci mais qui était détesté par tous les autres de l’atelier parce que c’était une Diva. Un enfant des rues très caractériel et qui a toujours gardé son côté Bad Boy. C’est donc une vraie histoire d’amour avec des rebondissements et en même temps on rentre dans l’intimité du peintre.

Dans cette bd, vous avez été amené à repeindre des tableaux du maître. C’est un diptyque qui donnera aussi l’occasion de voir la fameuse Joconde aussi?
Dans ce premier livre nous découvrirons l’élaboration de la Joconde, de la Cène et furtivement du Saint Jean Baptiste ( ces deux peintures inspirent d’ailleurs la couverture du livre). Le livre se termine avec la bataille d’Anghiari, une fresque jamais achevée et disparue. Certaines thèses évoque la possibilité qu’elle se trouverait sous une fresque de Vasari, mais qu’il faudrait la détruire pour faire ressurgir la peinture de Léonard. Il ne reste que des copies de cette peinture et quelques recherches de Leonard. La plus fidèle copie de cette fresque, que les contenporains de de Vinci designait comme la plus extraordinaire création d’un homme sur terre, est un dessin de Rubens. A partir de ces éléments j’ai essayé de recréer cette oeuvre, bref, c’était une sacrée pression ! ( rires) Dans le deuxième et dernier tome, on découvrira la genèse de bien d’autres œuvres. Ce sera aussi le livre de l’arrivée de Francesco Melzi, du ménage à trois qui va s’installer avec Salaï, de l’exil en France à Clos Lucé… un livre très intense où tout ce qui est amorcé dans le tome 1 trouvera sa conclusion.

Léonard et Salaï
Editions Soleil
Collection : Noctambule
Scénario et dessin : Benjamin Lacombe
Dessin : Paul Echegoyen
Parution : 1er trimestre 2014

Memories

On peut lire dans l’interview que vous avez fait avec Alyz Tale:  » Je n’aime pas quand les choses sont trop directes, qu’elles sautent à la figure. Ce que je trouve beau dans l’art, c’est cette part de mystère. »
Les artistes que j’aime le plus, ce sont qui délivrent le moins de clés de leurs œuvres. Récemment, par exemple, j’ai été voir l’expo Ron Mueck à la Fondatier Cartier , ses œuvres sont incroyables par son rapport au réel , ses différences d’échelle, les centaines de milliers d’heure passées sur chaque pièce alors qu’il aurait pu utiliser des techniques plus rapides comme faisaient les hyper réalistes de l’époque ( en faisant des moules et …). Ses sculptures sont riches d’indices mais il ne dit jamais rien. La fondation Cartier a fait quelque chose de très malin; elle a demandé à d’autres artistes de donner leurs propres clés de ces œuvres et on peut lire les interprétations très différentes de chacun influencées par sa culture, sa sensibilité…et pour moi, c’est ça l’art. Il y a toujours la raison pour laquelle l’artiste a fait l’œuvre, le message qu’il a voulu faire passer et ce qu’il devient quand il arrive aux yeux des autres et qui le dépasse complètement. En ce qui me concerne, j’apprécie le performing art, les dialogues et réflexions qui tournent autour mais dans ma pratique, quand je fais une exposition comme Memories, j’ai envie que mes œuvres parlent plastiquement et je n’ai pas envie de délivrer les raisons pour lesquelles j’ai conçu l’œuvre. En revanche, c’est la première fois que je fais un catalogue et là, quand on m’a interrogé sur les œuvres, je ne voulais pas cacher des choses et j’ai donné ma vision; ce qui n’en fait toutefois pas une clé définitive de l’œuvre et chacun a droit à sa propre interprétation!

Pourquoi avoir voulu faire ce catalogue?
Ça a été l’occasion de faire « ressortir » les images matrices de mon travail…dont je n’avais pas toujours conscience d’ailleurs. La dernière partie du catalogue se nomme d’ailleurs Réminiscences. Quand on produit une œuvre, elle est nourrie de tout ce qu’on a vécu, de traumatismes ou de moments heureux. Tout ça est infusé dans nos créations. C’est la force de la création. Memories c’était la volonté de prendre conscience de ces images, de les poser, de les réaliser et quelque part ensuite de passer à autre chose; ne plus être victime , presque, de ces images et d’en sortir.

C’est une sorte de catharsis…? Le fait de les vendre aussi et de s’en déposséder en les laissant à un autre fait partie du processus?
Tout à fait, je n’aurais pas pu vivre avec mais en revanche la nécessité du catalogue était de laisser quand même une trace. C’est terrible, en effet, quand on vend une pièce d’une expo, elle disparaît et on finit même par oublier qu’elle a existé parfois ( surtout quand ce sont des illustrations qui ne sont pas créées pour un livre). Alors le catalogue me permet de les conserver un peu.

La question du vieillissement et la question de la mort, récurrentes dans votre œuvre, est quelque chose qui vous a toujours habité?
Oui, comme une urgence de la vie. Les gens vivent la mort comme quelque chose de monstrueux…évidemment quand il y a des meurtres ou d’autres choses terribles, ça se comprend. Mais sinon la mort fait partie de la vie et c’est aussi cela qui donne à la vie tout son sel, le fait qu’il y ait une fin. Le fait qu’on ait un temps donné pour accomplir les choses, pour se réaliser…Une vie d’éternité, pour quoi faire ? À quoi bon alors se lever chaque matin? Bosser? Même petit, je rêvais que je mourrai…quasiment toutes les nuits d’ailleurs et la peur, surtout, c’était de laisser des autres…c’était surtout ça qui me terrifiait. C’est pareil , je n’ai pas peur en avion…je me dis que si c’est notre heure , c’est notre heure…je ne vais pas non plus m’exposer au danger mais j’ai conscience depuis très petit que ça finira comme ça.

Jamais l’angoisse de mourir trop tôt… sans avoir fini ce que vous vouliez faire?
C’est vrai que parfois j’ai un côté un peu tragédien: souvent les bouclages sont hyper difficiles, je vais au bout de mes possibilités physiques, je tombe malade. Parfois même je ne dors pas pendant trois jours complets et alors là j’ai l’impression que je vais mourir quoi…( rires) et là je me dis:  » Ah non! Il faut que j’arrive au moins au bout de ce livre!  » Et à chaque parution, je me dis: « Allez, au moins j’aurais fini celui-là! ». Le fait de laisser un truc inachevé dans un livre important pour moi, ça oui, par contre, ça me terrifie! On sent d’ailleurs chez beaucoup d’artistes cette urgence de créer, cette conscience de la non-éternité ; chez De Vinci, chez Basquiat…c’est un thème qui fascine et interroge forcément les artistes puisque c’est un absolu et un mystère; il y en a qui croient en un après, un au-delà, d’autres en rien du tout. D’ailleurs c’est un thème qui préoccupe beaucoup les enfants aussi et on avait fait un livre Destins de chiens à ce sujet , qui était important dans mon parcours je pense, car souvent, de nos jours, les parents essaient de surprotéger leurs enfants en ne voulant pas leur parler de ça; c’est une grossière erreur parce que ça laisse les enfants dans la confusion et l’inquiétude alors qu’on pourrait les aider à les dépasser.

Du point de vue de la facture du catalogue…
On voulait vraiment que ça soit un bel objet. Pour la partie avec les croquis, on a utilisé un papier offset pour donner l’impression d’avoir les croquis devant soi…Pour les photos ( qui montrent l’installation in situ de l’exposition, les volumes, le vitrail) on a mis un vernis UV pour donner vraiment l’impression d’être devant de vraies photos. J’ai poussé au plus loin la fabrication; c’est pour cela aussi que c’est un livre hors-circuit : il n’est vendu qu’à la Galerie Maghen et le prix de vente est quasiment celui de fabrication. Les marges sont très faibles. Le livre est dans une boîte et il y a un tiré-à-part rehaussé à la main. L’idée aussi était de permettre aux gens qui ne pouvaient pas s’offrir un original pendant l’exposition de pouvoir avoir quelque chose d’unique. Le point de départ était d’avoir un objet exceptionnel, à tirage limité.

Mémories
Catalogue de l’exposition à la galerie Daniel Maghen
Galerie Daniel Maghen
47 quai des Grands Augustins
75006 Paris
Tel.: 01 42 84 37 39
www.danielmaghen.com

Une exposition en décembre et des accessoires au design signé Benjamin Lacombe!

Le 14 décembre, aura lieu le vernissage d’une nouvelle exposition à la galerie Daniel Maghen: qu’y trouvera-t-on ?
Dans la première salle, on trouvera une dizaine de peintures grand format faites sur du bois et à l’huile. Je ne suis pas encore sûr du titre, je pense à « Éphémère » ; en tous cas ce sera sur un thème écologique, les animaux en voie de disparition, mêlé à des caryotypes humains qui disparaissent ( On dit que d’ici 50 ans les blonds vont disparaître etc.). Cela produira des mélanges étranges; l’objectif est de faire écho à ce qui est en train de se passer, toute cette biodiversité qui disparaît et qu’on laisse faire. On est de plus en plus nombreux, on mange de plus en plus, on utilise toutes les ressources, on est en train de bousiller toutes les nappes phréatiques ; bref, on est en train de se manger nous-mêmes et c’est ça que je veux essayer de raconter. Et on sait aussi qu’on ne va pas pouvoir continuer comme ça; on va devoir se mettre à manger des insectes, beaucoup de plantes…C’est un peu le thème de l’expo mais d’un point de vue onirique, personnel car je ne vais pas montrer non plus des images « trop écologiques » ; simplement j’aime les animaux et je suis profondément humaniste donc ce thème me touche. On voit tous les jours que beaucoup de choses se dérèglent : regardez l’exemple de ces 30000 moutons morts en Uruguay en quelques minutes seulement à cause d’une tempête où il y a eu un écart de température d’une trentaine de degrés début octobre! Le fait qu’on continue à foncer tête baissée en faisant comme si tout ça n’existait pas me préoccupe. Je reconnais que les thèmes qui m’intéressent ne sont pas des thèmes légers mais ça ne m’intéresse pas de bosser plusieurs mois sur un thème trop léger ou superficiel, surtout pour une expo! Comme j’avais fait une expo très personnelle tout d’abord, pour la deuxième je ne voulais vraiment pas parler de mon nombril et j’ai choisi comme focale: la Terre! ( rires)
Et dans la deuxième salle, il y aura d’autres images de mes travaux éditoriaux , Léonard et Salaï etc.

Et si vous nous parliez aussi de votre collection pour l’Ecole Française?
C’est un projet que je suis très heureux d’avoir effectué. Avant tout c’est le fruit d’une rencontre avec les deux formidables créateurs de la marque : Didier Bertrand et Adolphe Besnard qui ont aussi créé Les Cakes de Bertrand. Ce sont des créateurs formidables qui font des produits d’exception comme il n’en existe quasiment plus : Des sacs, des trousses, des bijoux entièrement faits en France par des artisans avec une grande partie réalisée à la main. C’est même du made in Paris, la plupart des objets sont réalisés dans leurs ateliers dans le 11eme arrondissement, à chaque fois que j’y passe c’est une vraie caverne d’Ali baba, de tissus, broderies et passion. J’ai imaginé une collection pour eux en m’amusant beaucoup. J’ai réalisé des images assez différentes de celles pour les livres : des images destinées à être imprimées sur du textile ne se conçoivent pas de la même façon que pour des livres ou des affiches. Il y a un rapport au motif et à l’ornement très différent. J’ai créé des visuels autour de mes mascottes que sont le lapin d’Alice, qui sort de son service à thé, Virgile, mon Shar Pei, dont j’ai fait un dandy très british; et Lisbeth, mon carlin que j’ai transformée en Marie Antoinette à poils, je trouve que pour Ecole Française ca collait bien (rires). J’ai aussi travaillé autour de Madame Butterfly et de Frida Kahlo, une peintre que j’adore et j’ai profité de ce projet pour travailler autour de cet univers. J’y ai pris goût j’y reviendrai sûrement (rires).

Où trouvera-ton ces produits ?
La collection est disponible dans leurs magasins parisiens ( 137 rue Vieille du Temple 75003 Paris et 7 Rue Bourdaloue, 75009 Paris ), chez de nombreux revendeurs de la marque partout en France et online dans leur site: http://eshop.lescakesdebertrand.com/ Ce sont vraiment de beaux produits, j’invite vraiment à les découvrir en vrai, les toucher, à vivre avec. Il sont vraiment beaux et indestructibles ( rires).

L’exposition de la Galerie Daniel Maghen
Éphémère » ( Titre provisoire)
Vernissage le 14 décembre 2013
Galerie Daniel Maghen
47 quai des Grands Augustins
75006 Paris
Tel.: 01 42 84 37 39
www.danielmaghen.com

Exposition Ephémères à la Galerie Daniel Maghen du 14 décembre 2013 au 11 janvier 2014

 » Oh, Butterfly! Ne dit-on pas que toucher les ailes d’un papillon le condamne? « 

Quelle a été la genèse de ce projet?
C’est un projet que je porte depuis longtemps. J’ai été voir Madame Butterfly à l’âge de 12 ans à peu près avec ma mère; ça m’a touché profondément…et ce thème était en moi. Alors j’ai tourné autour de longues années avec Les amants papillon d’abord, qui sont une sorte de bébé Madame Butterfly, j’ai aussi mis dans le Pop-Up Il était une fois une double page sur Madame Butterfly parce que je n’osais pas encore l’attaquer de front…je suis content d’avoir pris le temps de mûrir sa forme: l’objet, la narration et les images sont très différentes des autres livres. J’ai vraiment pris le temps : c’est le seul livre que je sors de l’année avec Memories. En même temps c’est vrai que ce n’est pas un album classique: il fait plus de 70 pages alors qu’un album classique en fait la moitié.

Pour Madame Butterfly, vous êtes l’auteur du texte et des dessins…Quelles sont été vos sources pour imaginer ce récit?
Il y a d’abord le livret de l’opéra : il est constitué de trois scènes dialoguées…c’est un texte difficile à lire, surtout fait pour être chanté et interprété. Très rapidement, je me suis dit que je ne pouvais pas m’en servir. J’ai donc gardé la substantifique moelle de l’histoire mais je savais que j’allais avoir à faire un vrai travail d’écriture. De plus, si la structure initiale convient parfaitement à l’opéra puisqu’on peut jouer des ellipses – ne serait-ce que par les changements de costumes et aussi par des effets de mises en scène, c’est assez difficile à rendre compte dans un album illustré. Je ne pouvais faire uniquement les mêmes actes que Madame Butterfly où il se passe trois ans entre à chaque fois. De plus, l’émotion que ressentent les personnages, dans l’opéra, on la ressent dans l’interprétation vocale et le chant….et il me fallait donc trouver des mots pour exprimer cela. J’ai lu le Madame Chrysanthème de Pierre Loti , livre qui a inspiré l’opéra de Giacomo Puccini; c’est d’ailleurs un livre étonnant de Loti car lui qui était assez humaniste, assez ouvert sur les autres cultures, a très peu apprécié le Japon, ça ne s’est pas bien passé et il avait des opinions un peu racistes…En revanche ce qui est intéressant dans le texte, c’est la vision d’un occidental qui est plongé dans cette culture qui est diamétralement opposée à la sienne et prend une fille pour épouse – parce qu’à l’époque ça se faisait ainsi : on prenait, le temps de son voyage , une femme sur place . Ce qui était terrible d’ailleurs dans la loi japonaise de l’époque, c’est qu’une fois qu’elle avait été abandonnée, au bout de quelques semaines , le mariage était considéré comme rompu…même pas besoin de faire un divorce. L’histoire de Pierre Loti est vraie: Chrysanthème a vraiment existé; ce qui lui a été fait s’est vraiment produit.

Vous avez choisi de faire raconter l’histoire par Benjamin Franklin Pinkerton….
Je voulais avoir la vision de Pinkerton. C’est pour cela que tout le récit est à la première personne et c’est un peu comme si on lisait ses notes; on vit l’histoire au travers de lui, on voit comment il ressent le Japon et il raconte a posteriori , avec quelques regrets ( quand on connaît la teneur tragique de la fin), cette histoire-là avec son œil d’occidental de tout début du siècle face à ce Japon si différent de sa culture. J’ai voulu donc trouver une écriture proche de celle de cette époque; il y a un niveau de langage assez soutenu. J’ai gardé quand même quelques extraits du texte de l’opéra, surtout à la fin, dans les dialogues. Je trouvais ça important de garder des parties du texte.

Si vous expliquiez à nos lecteurs en quoi votre Madame Butterfly relève de la performance…
C’est un livre qui se décompose de manière très particulière. Il y a d’un côté du texte et des images. Les deux ne sont quasiment jamais mélangés. Le texte assez long raconte les émotions de Pinkerton, les images expriment le point de vue de Madame Butterfly. Ce qui permet d’opposer des émotions très fortes et très tranchées. Autre performance dans le côté objet puisque c’est un livre qui révèle une frise de l’autre côté de l’histoire en images….une frise de presque 10 mètres de long qui raconte en une métaphore visuelle la même histoire. Je l’ai réalisée au crayon et à l’aquarelle sur un papier crème à la différence du recto qui est à la gouache et à l’huile. Je n’ai surtout pas voulu faire de fausses estampes; je me suis dit que c’était complètement ringard….par contre je me suis dit que lorsqu’on part en vacances et qu’on veut faire des dessins-notes, le plus simple à emporter, c’est le crayon et l’aquarelle. J’ai pensé aussi qu’un autre art qui aurait pu toucher Pinkerton, ce sont les porcelaines japonaises, qui étaient en général très bleues avec un fond crème….Le bleu de la frise rappelle aussi la couleur des papillons et le livre qui se déploie rappelle les ailes d’un papillon . Ce livre objet oblige aussi le lecteur à entrer en mouvement, à être un peu dans l’emphase…l’émotion est procurée par le texte, l’image et la manipulation que l’on doit exécuter. Il y a d’ailleurs une seconde image qui est cachée dans la frise et que le lecteur découvre en faisant certains pliages….à lui de trouver!

Si vous rappeliez la symbolique du papillon…
C’est le caractère éphémère et l’idée de la mort aussi. Cette histoire , c’est l’idée d’une femme à laquelle on a brisé les ailes, tout simplement. Le papillon est une symbole de beauté mais aussi de fragilité.

Dans le livre, on découvre en double page la jeune femme et un poulpe...
Le poulpe est le symbole de la sexualité au Japon. Il y a une très célèbre estampe érotique, nommée Le rêve de la femme du pêcheur, d’Hokusai où l’on voit un gros poulpe. C’est aussi un peu le symphonie de la fertilité. Il y a aussi tout ce réseau qui rappelle à la fois des coraux mais aussi le système veineux à l’intérieur de son corps où il se passe plein de choses puisque Madame Butterfly est enceinte de Pinkerton.

On retrouve dans ce livre aussi une photo sépia de Madame Butterfly et Pinkerton : un type d’illustration récurrent dans vos albums….
Je trouve que ces photographies étaient très touchantes. Il y avait une part de mystère très fort. Le sépia donne un côté beaucoup plus émouvant que les photos d’aujourd’hui.

D’un point de vue graphique, comment définiriez-vous votre travail comparativement aux albums précédents?
J’ai voulu faire des images symboliques …c’est un livre qui ne s’adresse pas du tout aux jeunes enfants. Il faut avoir au moins dix ans pour le lire. Je ne voulais pas que l’image soit dans la facilité; l’image raconte vraiment autre chose. C’est un album sur l’émotion; l’image exprime l’émotion et restitue donc l’esprit de l’opéra qui n’est qu’émotions. J’ai aussi fait un travail sur le flou et le net, quelque chose d’assez léger qui rappelle l’envol , le mouvement: j’ai travaillé sur des flous directionnels et des jeux sur la perspective atmosphérique; j’avais vraiment envie d’exprimer, comme des notes de musique, quelque chose de léger. La gouache et l’huile peuvent devenir très vite très lourdes, très arrêtées…c’est pour cela que je me suis servi de ces perspectives, des flous, de rapports de couleurs et des contrastes entre les chauds et les froids pour avoir quelque chose d’un peu piquant et qui compose la symphonie.

Madame Butterfly
Editions: Albin Michel Jeunesse
Prix: 29,90€

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