L’hypothèse des saisons et la part de nos vies blessées

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Par Laurence Biava – bscnews.fr/ Nathalie Nohant s’est fait remarquer au printemps dernier avec « l’hypothèse des saisons » son premier roman. Un excellent opus où elle narre les limites des trois personnages, une femme et deux hommes en quête d’idéal aux alentours de leur trentaine dépassée. Ceux-ci se retrouvent régulièrement dans un banal, voire borgne, bar-restaurant des bords de la Marne, nommé L’Avventura, afin d’«exacerber l’absence» et de conjurer les désillusions de la déception amoureuse, de l’appât de la chair. L’Avventura porte bien son nom : ce sont les destins moirés et la vie fouillée, exposée, de ses personnages tourmentés placés sous une étoile noire qu’elle abrite. Deux des protagonistes viennent de connaître la crise du désamour imposé et tentent de surnager dans l’effondrement de la rupture, cette nuit subite et aspirante, un trou sans fond dans la fonte des jours.

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Au fil des pages, et à la profusion de jolies scènes à la mélancolie rock bien troussée et aux tics empruntés au cinéma, – on songe à Truffaut- nous suivons ces personnages qui cherchent à se reconstruire les uns avec les autres, voire les uns par rapport aux autres… Là où les sentiments sont confus, où la tristesse règne en maître. Nathalie Nohant dépeint un tourbillon de la vie où on survit cruellement en s’accrochant à des petits rien de désespéré, à des lieux fétiches, à des expressions qui rassurent, à des airs de chansons ou à des mobiles stériles. Parce que cela fait aussi du bien.
C’est donc selon un rite bien précis que les trois héros se retrouvent quotidiennement au café, pour se livrer, pour parler et inventer un nouveau monde. La fille raconte son histoire d’amour, de désir, de sexualité. Les amateurs de cafés y retrouveront l’ambiance qu’ils apprécient et la couleur des personnages attachants qui les peuplent ; le garçon de café poète ou Monique qui a oublié de vivre ? Le premier quart du livre fait particulièrement plaisir : il donne le la de cette belle histoire où les trajectoires des êtres se croisent enfin, où les sentiments soudains dérapent et passent du ravissement à la douleur, au déchirement, qui lui s’insinue, et s’installe, longtemps. Ce livre est simple et beau, cruel et universel, magnifiquement écrit. Avec Nathalie Nohant, les mots sont musique et ils nous touchent profondément, à la manière des mélopées mélancoliques.
Et puis, il y a les saisons qui essaiment en nous sensations, impressions et images. L’hypothèse des saisons, qui renaîtront, et avec elles, le désir, le désir de vie et de l’autre. 
L’hypothèse des saisons, ou une véritable embellie, comme un nouveau printemps.

« Veulent-ils continuer à vivre ou veulent-ils seulement continuer à jouer à faire semblant de vivre, à se laisser s’enliser dans les sables mouvants de leurs souffrances amoureuses ou comme après un accident les efforts pour renaître sont désespérés, les gestes qui sauvent du néant, les mots qui soufflent sur le feu éteint autant de signaux qui n’appelleront aucune réponse et ne produiront aucun sauvetage ».
Avec un art littéraire précis et soutenu tout au long de son roman, l’auteur dirige immédiatement le lecteur au coeur de la tension dramatique de son intrigue. Notre vie n’est-elle pas une tentative incessamment reconduite d’échapper à la solitude de l’être ? Les gestes et le maintien des personnages, leurs attitudes, leurs postures, leurs voix qui manifestent leurs tourments, leurs charmes, leurs désirs, ainsi que tout ce qui concourt à briser le tragique de nos vies, à modifier l’empreinte du temps, à oublier l’absence après l’amour, rappellent terriblement ce que nous sommes, ce que nous avons aussi vécu.

Bravo à cette écriture fluide qui joue des mots, des images, sans aucune ostentation, et nous fait pénétrer dans cet univers poétique et cette humanité troublante. Les transparences psychologiques de l’héroïne, l’animalité de l’un et la détresse de l’autre apportent une langueur à l’ouvrage dans lequel les saisons s’accordent ou sont asynchrones avec le rythme intérieur de chacun et m’ont touchée. Nous y reconnaissons vraiment la part de nos vies blessées avec ce sentiment d’incomplétude perpétuelle. Une belle réussite.

Titre : L’hypothèse des saisons

Auteure : Nathalie Nohant

Éditions: Le Passage

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