Dans cette exposition unique nommée Opéra, au travers de passages clés de 12 grands opéras (« Carmen », « Macbeth », « La Traviata », « l’Anneau du Nibelung », etc.) , les deux illustrateurs ont exprimé leur passion pour la musique. Leurs illustrations ont été réalisées au crayon de cire, dans de grands formats et reproduites dans un catalogue édité par les éditions Daniel Maghen. Chacune des oeuvres créées a été conçue à quatre mains, depuis le choix de l’œuvre jusqu’à la réalisation technique. Paul et Gaëtan Brizzi ont répondu à nos questions, chacun de leur côté et sans prendre connaissance des réponses de l’autre ; l’occasion de découvrir deux artistes passionnés et spontanés dont l’univers gainé d’élégance et de lyrisme nous a conquis!
Cette exposition met en lumière votre passion pour la musique et plus particulièrement pour l’opéra…vous souvenez-vous du premier opéra que vous ayez vu? Quels souvenirs en avez-vous gardé?
Gaetan Brizzi: Je crois que c’était la flûte enchantée et je me souviens avoir été envouté par la musique et déçu par la mise en scène.
Paul Brizzi: Mon premier opéra était une récompense pour mes efforts en anglais offerte par mon professeur. J’avais 13 ans et « La Force du destin » de Verdi a été ma première expérience à l’opéra Garnier de Paris!
Qu’aimez-vous particulièrement dans l’opéra?
GB: Le sens de la démesure et le lyrisme des grands arias et ,bien entendu, la fougue propre à Verdi ou Rossini.
PB: L’aspect visionnaire et lyrique des thèmes. La puissance vocale liée à la musique symphonique me transporte.
Si vous deviez définir en deux adjectifs ce genre musical vocal, que diriez-vous?
GB: Fantastique, Puissant
PB: Visionnaire et lyrique
D’ailleurs, quel est votre opéra « préféré »? Et pour quelles raisons?
GB: La Traviata, à cause de ses envolées ébouriffantes et de sa désespérance pathétique.
PB: « Mac Beth » pour la raison que j’évoque précédemment. Verdi est sans doute le compositeur qui me touche le plus. Ses montées graduelles dans les crescendi sont particulièrement émouvantes. Les choeurs sont formidables.
Vous avez dessiné des passages-clé de douze grands opéras pour cette exposition: ce sont des oeuvres à quatre mains. Pourriez-vous nous expliquer à quelles étapes intervient chacun d’entre vous?
GB : Etape 1: choix du moment à illustrer en fonction de sa célébrité d’une part et d’un contexte narratif porteur d »éléments spectaculaires d’autre part.Etape 2: Nous préparons tous les deux diverses esquisses autour desquelles nous débattons pour trouver le consensus sur celle qui servira de modèle au dessin final.Etape 3: l’exécution du dessin original; j’exécute le décor, Paul les personnages.
PB: Nous avons l’habitude de partager le travail de la façon suivante: après s’être mis d’accord sur la composition graphique, Gaetan exécute le décor et je me charge des personnages. Si, par exemple, les éléments décors sont majoritaires dans la composition du dessin préparatoire, Gaëtan va élaborer le dessin définitif en prenant soin de préserver les parties occupées par les personnages. Une fois sa partie terminée, je dessine les personnages. Et vice et versa si les « acteurs » prennent la plus grande partie de la composition.
…Pourriez-vous prendre peut-être l’exemple d’un travail précis?
GB : Par exemple, pour le dessin de l’apparition de La reine de la nuit devant Tamino dans « La flûte enchantée ». Paul a placé ses personnages dans la feuille en se basant sur la composition choisie dans l’esquisse. De mon côté, en prenant soin de protéger le travail soigné de Paul sur les personnages, je viens installer mon décor tout autour. Eventuellement Paul revient parfois sur la lumière et le contraste de ses personnages pour s’assurer qu’ils s’intègrent encore mieux au décor.
PB: Par exemple, sur la scène des « fugitifs » dans La Tosca », Gaetan a été principalement l’artiste puisque je n’ai eu qu’à exécuter les deux personnages qui occupent une place réduite dans le décor où domine Le Chateau Saint Ange de Rome. Par contre, en ce qui concerne la composition de Wotan et des Walkyries, on peut dire que j’en ai été le principal responsable!
Vos illustrations sont réalisées au crayon de cire : pourquoi le choix de ce médium?
GB: La qualité des noirs que ces crayons offrent nous donnent entière satisfaction et de plus, grâce à un lustrage final délicat, ils deviennent encore plus profonds.
PB: C’est un médium auquel nous sommes fidèles depuis de nombreuses années. Nos crayons de prédilection!
.…quels en sont les spécificités, les atouts et peut-être les difficultés techniques?
GB: La mine grasse permet une grande variété de nuances. Par contre ils s’usent très vite car nous les taillons constamment pour garder une mine très très affutée afin de nous donner le plus de précision possible. Pour un seul dessin, s’il est assez dense, nous en consommons plusieurs dizaines.
PB: Ces crayons nous permettent d’obtenir des noirs profonds et denses et une gamme de gris très large. La cire qui rentre dans la composition de ces crayons leur confère un brillant satiné après un » délicat » lustrage. En outre, contrairement à la mine de plomb, ils ne sont pas volatiles.
Vous n’avez réalisé que des illustrations « monochromes », jouant ainsi sur les jeux d’ombre et de lumière….est-ce parce que cela représentait au mieux, selon vous, l’essence sacrée et solennelle de l’opéra?GB: C’est une belle explication que je récupère au passage mais c’est aussi pour prolonger la tradition des grands dessinateurs du passé comme Dürer, Doré,Daumier, Rops etc…pour qui la lumière se traduit mieux dans la monochromie que par l’emploi de la couleur, opinion que nous partageons.
PB: Oui, le monochromatisme nous oblige à ne considérer que l’éclairage de la scène. Nous composons nos scènes de la même manière que des réalisateurs cinématographiques. Profondeur, lumière, et surtout clarté du message et de l’intention.
Vos décors sont spectaculaires…pour le plaisir d’aller plus loin sur le papier que ce que la réalité d’une scène ne pourrait produire?
GB: EXACTEMENT! Vous avez tout compris.
PB: Nous sommes aussi réalisateurs de films d’animation et avons l’habitude d’essayer d’aller au delà de la réalité des éléments concrets et limités qu’offre une scène de théâtre ou un plateau de cinéma. C’est la force du peintre, puisqu’il n’y a pas de limite à l’imagination.
Enfin, avez-vous dessiné ces oeuvres en musique? Vous êtes-vous laissé inspirer par Mozart , Wagner, Bizet ou encore Verdi?La musique a -t-elle, tout autant que l’histoire racontée, influencé votre trait?
GB: j’aimerais dire oui car c’est une belle idée mais par honnêteté, je dirais que l’influence d’oeuvres immortelles donc familières était déjà dans notre espace spirituel.
PB: Etant donné l’aspect visionnaire de nos recherches, c’e sont principalement les livrets qui ont inspiré nos choix. Ceci dit, notre éducation musicale restait en filigrane: Wagner, Mozart, Verdi étaient incontournables!
► Certaines de ces oeuvres sont encore en vente à la Galerie Daniel Maghen
(75006 Paris) et sur son site
A découvrir aussi:
Alessia Iannetti: la peinture instinctive d’une jeune femme née en automne
Bonne année 2013 en compagnie du trait délicat et sublime de Benjamin Lacombe
Davor Vrankic : Juste avec une mine de plomb
Elena Cermaria : des toiles naturalistes à la sensualité troublante