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Elina Duni : un Jazz délicat venu des Balkans

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Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Elina Duni a fait le choix affectif de replonger dans ses racines et d’exhumer la quintessence d’un jazz balkanique qui se déguste avec douceur. La chanteuse d’origine albanaise navigue entre chant, poésie, jazz et tradition avec une candeur remarquable. Elina Duni a ce quelque chose d’envoûtant dans lequel vous allez plonger avec déléctation. À découvrir sans attendre !

propos recueillis par

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Elina, en lisant votre biographie, une première question me vient presque immédiatement. Quel est le lien entre le Jazz et les Balkans dans votre parcours ?
Ce lien qui paraît si evident aujourd’hui est en effet une idée de Colin Vallon; Quand on s’est rencontrés à la Haute Ecole des Arts de Berne en 2004, j’avais très envie de collaborer avec lui et il m’a dit: au lieu de jouer des standards de jazz comme tout le monde, on pourrait jouer des chansons de ton pays.
Je connaissais très mal la musique folklorique de mon pays car non seulement j’étais partie très jeune (à l’âge de dix ans), mais durant les 45 ans de la dictature communiste la musique populaire servait de propagande par le Parti et n’appartenait plus vraiment au peuple.
Donc c’est en 2004, en commençant le duo avec Colin Vallon que j’ai fouillé dans de vieilles cassettes et j’y ai trouvé des merveilles. Je fus immédiatement enchantée par la poésie et les rythmes de cette musique.

Comment s’est déroulé votre travail pour trouver le bon équilibre entre les chants folkloriques et le jazz ?
Le travail d’arrangement se fait souvent ensemble, à quatre, depuis l’année 2005 que le quartet existe avec Colin Vallon au piano, Patrice Moret à la contrebasse et Norbert Pfammatter à la batterie. Souvent j’amène un morceau avec une idée d’arrangement au préalable ou pas et puis on essaye de le jouer. On joue et on parle et on essaye jusqu’à ce qu’on soit satisfait du résultat. Les chansons changent aussi dans le temps, plus on les joue, plus elles se transforment.

Votre troisième album  » Matanë Malit  » est un hommage à l’Albanie. Pourquoi avez-vous eu envie de célébrer votre pays d’origine ?
Sur les deux derniers albums Baresha (2008) et Lume Lume (2010) on jouait des chansons de différents pays des Balkans. Je voulais pour Matanë Malit un concept un peu différent. Des chansons albanaises folkloriques, mais aussi des chansons interdites par le régime ou des airs de résistance. Comme si cet album était un voyage dans le temps et dans l’histoire des albanais, dont plus de la moitié vit en dehors des frontières de l’Albanie.

Cet album est à la fois empreint d’une formidable délicatesse presque fragile mais regorge d’une force incroyable pour nous emporter loin. Quel est votre secret, Elina Duni ?
Ces vieilles chansons qui parfois ont traversé les siécles sont effectivement empreintes d’une force incroyable mais aussi de beaucoup de poésie. L’important pour nous c’était de mettre en avant cette essence poétique, et s’il faut de la transcender mais sans jamais la trahir.

Est-ce que quelque part chaque chanson de cet album n’est elle pas une histoire à part entière ?
Oui absolument, chaque chanson est une histoire à part entière et d’ailleurs dans le booklet de l’album, j’explique la provenance de chaque chanson, le contexte historique dans lequel elle est née et il y a une traduction en anglais des paroles puis on peut télécharger sur le site www.elinaduni.com une version française aussi.

Vous semblez accorder beaucoup de place à la poésie dans vos textes. Est-ce le cas ?
Oui, d’ailleurs sur cet album j’ai mis en musique deux poèmes. L’un d’Ismail Kadaré «Kristal» et l’autre de Bessa Myftiu qui est aussi ma mère qui s’appelle «Kur të Kujtosh» (Quand tu te rappelles).

Kristal parle de la mémoire d’un amour qui se meurt jour après jour:

Si je ne trouve pas de tombe pour t’enterrer,
pas d’abîme où te jeter ni de prairie où comme pollen te déposer.
Si aucun vers ne peut alors ton souvenir pérpétuer, devrais-je encore te porter
à moitié morte moitié vivante durant toute l’éternité.

«Kur të kujtosh» est un poème d’amour et d’exil

Quand tu te rappelles la vieille maison
les amis perdus et ce qui ne vivent plus.
Quand tu te rappelles les forêts verts
les rues de notre enfance déserte.
Tu te souviendras de moi aussi,
toute étrange
comme une statuette dont tu as cassé le bras
dans un embrassement sauvage.

J’ai grandi dans une culture très attachée à la tradition orale, aux poèmes et aux chansons. J’ai moi-même écrits mes premiers poèmes à l’âge de six ans. On vit dans une époque où la poésie fait cruellement défaut à mon avis. J’avais envie de rendre hommage au grand écrivain Ismail Kadaré qui m’a permis de retomber amoureuse de l’albanais à chaque fois que je le lisais et puis à ma mère qui m’a élevée dans l’amour des livres et de la poésie.

Vous dites  » Pour moi, toute musique improvisée relève de l’esprit du jazz. » Quel est la part de l’improvisation dans votre travail ?
Pour moi l’improvisation et une part entière de mon expression artistique. J’improvise souvent des rythmes, des mélodies, des mots ou des bruits en marchant par exemple, ou alors je m’assieds au piano et je travaille de façon plus consciente avec des gammes et des idées. L’improvisation est la meilleure façon de connaître son instrument, de découvrir des sons, de créer des mondes, d’avoir le sens de l’amusement. Pour moi, le jazz est la seule musique qui donne cet espace et cette liberté de ne pas devoir jouer la même chose tous les soirs. Et aujourd’hui plus que jamais, dans une société où tout se formate, le jazz est un manifeste de liberté pour autant qu’il ne soit pas prisonnier de son propre language.

Quelle place ont vos musiciens dans votre travail de composition ?
Ils ont une place très importante puisque c’est à travers eux que la musique va s’exprimer. Il faut donc écrire quelque chose qui est en même temps assez intéressant mais qui laisse de l’espace pour ouvrir, pour improviser. C’est pour moi un défi continuel.

Cet album est une réussite. Quel est le secret de votre quartet pour parvenir à cette osmose remarquable ?
Je crois que la force de cet album consiste dans le fait que nous nous sommes mis au service de la musique, des chansons. L’improvisation était souvent collective et il n’y a pas beaucoup de solos dans le sens propre du terme. J’ai toujours voulu me considérer comme un instrument parmi les autres et pour moi la magie de ce quartet c’est précisément ces instants où l’on se sent unis et l’on devient une seule voix.

À quoi rêvez-vous au-delà de la montagne, Elina Duni ?
À ce quelque chose de mystérieux, d’insaisissable et d’infiniment beau qui se trouve en chacun de nous.

Les prochaines dates

05.04.2013
Elina Duni Quartet
Cully Jazz Festival
Cully (CH)

13.04.2013
Elina Duni Quartet
Balkan Transit
Caen (FR)

> Elina Duni  » «Matanë Malit» (Au delà de la montagne) ECM/UNIVERSAL ( Photo Blerta Kambo)

> Le site officiel d’Elina Duni

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