Jérôme Garcin : Notre frère qui êtes aux cieux

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Son patronyme : un octosyllabe. Il est des signes qui ne trompent pas. Même le destin s’y soumet. Jean de La Ville de Mirmont eut à peine le temps de donner raison aux augures, puisque ses poèmes connurent une édition posthume. Il avait pris congé sans être véritablement surpris. On n’est pas soucieux quand on a vingt-sept ans …

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Pour un jeune auteur, aucune émotion ne peut égaler la lettre d’un éditeur acceptant de le publier. Pourtant, ce qui arracha des larmes de joie à un Bordelais éperdu de littérature fut, le 8 septembre 1914, une manière de sauf-conduit diabolique pour la Grande Guerre. C’est qu’il avait galéré, pour être admis dans l’antichambre de la mort. « J’étais las à en crever de n’offrir mon courage qu’à l’administration et au civisme. Je bouillais. Je m’exaspérais. Je me détestais ». De quel alambic démoniaque s’écoule donc l’ivresse égarante du patriotisme ? Parti pour le front avec la prescience qu’il n’en reviendrait pas, il sacrifiait à l’exaltation tranquille du lâcher des amarres. Il était rond-de-cuir, comme Ghelderode, Huysmans et Maupassant, faux chevaliers de la lustrine, désireux d’en découdre avec le « vraie » vie.
L’histoire de la sienne, fugitive, est contée par Louis Gémon, son compagnon d’armes et frère plus vrai que nature, au nom d’un éblouissement évoquant l’attachement de Montaigne à La Boétie. Au lieu de Sarlat, ce fut le Chemin des Dames, où Jean sera enseveli debout. Un départ en avant, calme et droit, cher à François Nourissier et aux métronomes de Saumur. Grièvement atteint aux jambes, Louis sera habité par une blessure autrement béante : l’absence de son alter ego : « Parfois j’ai l’impression qu’il m’a été greffé, qu’on a transplanté son cœur sur moi. » C’est dur à comprendre par Constance, qui voit se profiler le spectre d’un avenir conjugal étriqué et malsain : « Fais attention, Louis, tu t’éloignes, tu dérives, tu t’occupes plus de ton grand mort que de ta petite vivante … ». Trop tard. Otage de ce remords inflexible qui harcèle le rescapé , Louis ne peut plus, désormais, en éloigner la morsure lancinante.
Qu’est-ce qui a mis les pas de Jérôme Garcin dans ceux d’un météore littéraire qu’il veut soustraire à l’oubli comme, avant lui, Mauriac, ami d’enfance de Jean ? Sa fauchaison prématurée – la famille Garcin a payé doublement un lourd tribut en la matière – et sa qualité de poète. La Ville de Mirmont a signé un roman, « Les Dimanches de Jean Dézert », mais l’essentiel de sa magie littéraire émane des pages de « L’horizon chimérique », recueil dont la mélancolie scintillante inspirera Gabriel Fauré, puis Julien Clerc. La poésie est seule capable de réussir de si grands écarts. Les familiers de l’œuvre de Garcin n’auront pas manqué de trouver les petits cailloux blancs posés subrepticement au gré des livres, d’un cheval nommé Rimbaud (« L’Ecuyer mirobolant » ) au passage discret, dans ce nouvel opus, de l’un ou l’autre alexandrin, tel « leur poids pyramidal de grappes violettes ». De « Bleus horizons » ils aimeront la sensibilité extrême, le style plus maîtrisé qu’un mouvement de Lipizzan viennois, tout en harmonie avec la délicate musique mirmontoise. Ils subiront le charme d’une phrase accomplie, d’une poésie intense aux tressaillements souterrains. Ceux qui l’ignoraient encore devineront que Garcin fut un poète (lycéen à Henri IV, il y avait déjà créé une revue), avant de bâtir, livre après livre, ce mémorial de haute exigence, partagé entre essais et romans. A défaut de le rabattre vers le Corps nu d’Emmanuelle Béart , certains le prieront amicalement – avec le même succès que celui qui sut ramener Jacques Chessex à ses premières amours ? – de revenir à ce que Mallarmé appelait un mystère dont l’homme doit chercher la clef, et en lequel nous verrions plus volontiers l’art de l’intuition a posteriori.
Il émanait de ces jeunes désenchantés de 1914 une inouïe résistance à l’avenir. Quand bien même Jean de La Ville de Mirmont y eût inclus le destin de son oeuvre, Jérôme Garcin fût passé outre, pour donner la possibilité d’une phosphorescence singulière au prémonitoire « Je ne me souviens pas de mes derniers adieux ».

> « Bleus horizons », Jérôme Garcin, Gallimard, 16,90 euros

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