Poésie : des lectures qui honorent le lecteur

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Par Marc-Emile Baronheid – bscnews.fr / Il est des lectures qui honorent le lecteur. Aussi l’auteur, qui s’obstine à nier l’air vicié du temps sonnant mal et trébuchant d’abondance. Encore l’éditeur, sourd aux manigances du tiroir-caisse mais sensible à la beauté du geste. Leur dénominateur – si peu – commun s’appelle poésie. Vous avez bien le bonjour de Robert Sabatier.

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Le très recherché Prix Goncourt de la poésie s’est anobli du blason de Robert Sabatier. Saluant l’œuvre d’un poète consacré et renommé pour l’ensemble de son œuvre, il a distingué tout récemment Jean-Claude Pirotte, poète au long cours mais aussi romancier de longue haleine, comme Sabatier. Tout autre rapprochement serait incongru, ou indiscret. 2011 avait déjà canonisé Pirotte pour un recueil placé notamment sous le signe d’ Henri Thomas : « Ah, je veille bien loin au-dessus de la vie ». Il faut lire et relire jusqu’au vertige ce veilleur d’inouï.

j’ai connu l’exil clandestin
le froid des chambres d’hôtels borgnes
la fuite dans les matins blancs
de brouillards et d’âpres besognes

j’ai vécu mais de quoi vivais-je
s’il faut vivre de quelque chose
on attend que le temps s’abrège
et que l’essaim des jours se pose

et que les ombres qui menacent
dans les miroirs et les chemins
miraculeusement s’effacent
et que la joie scintille enfin

sur les étangs sur les mirages
et puis même sur les naufrages
(extrait de Ajoie)

Droit d’aînesse.
Bruno Doucey, éditeur, élabore un catalogue enviable qui vient de s’enrichir des textes d’Hélène Cadou et Frédéric Jacques Temple. La première fut la muse de René Guy Cadou, disparu prématurément et laissant une blessure dont seul le poème peut tenter de tenir en respect la morsure lancinante. La réédition des deux premiers recueils, dialogues avec la poésie de l’absent, rappellent que « l’aube appartient à qui veut la vivre ».
Puisque les cristaux du givre
D’une étable font une église
La cendre de nos jours mortels
Sera semence dans le ciel.
Une étoile naît dans la fête
Et nous mettrons nos beaux habits
Chaque automne comme un mage
Le pommier porte ses fruits
On réédite de Temple un recueil épuisé, suivis de textes inédits qui appellent au voyage « au milieu des abois/ et dans l’odeur du vent ». A 91 ans, ce grand Méditerranéen boréal continue d’appareiller pour des îles miraculeuses.

Intimes retraits
L’ombre gardienne des secrets
distille ses calmes lumières
dans les intimes retraits
où les nocturnes papillons
fantômes d’anges ou de démons
dansent dans la douceur des lampes
le silence masque la mémoire
pour la préserver de l’aube
et des proches menaces du soleil.
Prenons garde, un soupir
Peut réveiller
Les fables oubliées.

Des tessons de douceur.
L’éditeur confie son inhabileté à définir les nouveaux textes de Brigitte Fontaine, à coup sûr « ni un récit, ni un roman, ni un essai, ni une autobiographie, et pourtant tout cela à la fois ». Tout simplement des poèmes en prose, parés de cinquante-et-une nuances de défi romantique, qui envisagent, dévisagent, mesurent, démesurent, toisent, habillent la soie d’une couche d’émeri, scintillent et balancent une grêle de diamants noirs. Fontaine ? Un colibri en habit de rapace, une femme fœtale, fille de Villon, nièce de Rutebeuf.
Quand j’étais vieille, j’aimais les frôlements et les gonflements du déshabillé de soie. J’y laissais tomber exprès quelques gouttes de mon thé préféré. A présent, je bois l’encre amère du café, je me gave de champagne, alors je suis malade – bien fait pour moi.
Depuis que je suis jeune, j’aspire toujours plus à baiser, baiser, des fleurs de fraisier dans mes cheveux longs, des corsets de coton noir autour de la taille, avec des fabuleuses Doc Martens rouges en velours, avec des lacets de satin.
Non, franchement, la légende de l’amour, c’est laborieux, c’est n’importe quoi, non ? Et puis d’ailleurs, qu’est-ce que c’est, à la fin ? Un état ? Une maladie ? Une envie de pisser ? Quelque chose qui vous prend et vous lâche ? Le lieu de tous les désirs, des impossibilités, des angoisses, des questions, des haines, de l’intelligence ?

« Ajoie » , poésie, Jean-Claude Pirotte, La Table Ronde, 2012, 14 euros
« Le promenoir magique et autres poèmes 1953-2003 », Jean-Claude Pirotte, La Table Ronde, 2009, 19 euros
« Le bonheur du jour suivi de Cantate des nuits intérieures », Hélène Cadou, éditions Bruno Doucey », 14 euros
« Phares, balises & feux brefs suivi de Périples », Frédéric Jacques Temple, éditions Bruno Doucey, 15 euros
« Portrait de l’artiste en déshabillé de soie », Brigitte Fontaine, Actes Sud « le souffle de l’esprit », 9 euros

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