Parallèlement à son travail de comédienne, elle a réalisé plusieurs mises en scène dont celle de L’ami retrouvé de Fred Uhlmann, la Matière Antigone d’après Henry Bauchau ( en binôme avec Nicolas Bouchaud), Médée de Sénèque et Nuage en pantalon d’après Maïakovski. Elle travaille aujourd’hui sur La Fausse suivante ou le fourbe puni de Marivaux: une comédie écrite en 1724 sur mesure pour les Comédiens italiens dans laquelle une jeune parisienne choisit de se travestir en chevalier afin de faire mieux connaissance avec Lélio, l’homme qu’on lui destine en mariage. Ce dernier, abusé, lui confie alors qu’il a un penchant pour deux dames également riches…voici l’heure de la vengeance! Séduction, argent et travestissement sont au coeur de cette pièce que Nadia Vonderheyden place en plein carnaval, dans une fête colorée et étourdissante durant laquelle chacun, masqué et voulant démasquer l’autre, en apprendra davantage sur soi. Marivaux disait:« Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître »…Pour l’heure, laissons parler Nadia Vonderheyden, maîtresse de cérémonie passionnée de cette soirée théâtrale dont nous vous souhaitons de pouvoir goûter les plaisirs!
Qu’est-ce qui vous séduit chez Marivaux et vous a donné envie de le monter?
D’abord, évidemment, son écriture.
Est-ce qu’en tant que metteur en scène, avez-vous toujours le souci de préserver les classiques, de ne pas les dénaturer?
Je ne me pose pas la question. Avec une pièce, la question de la date ou de l’époque n’est pas essentielle à partir du moment où le texte dit quelque chose dans lequel on se reconnaît. On se dit « Tiens, ça me raconte quelque chose que je peux prendre à mon compte. On peut partager des choses. » Ce n’est pas l’immédiateté qui fait l’actualité.
Vous n’avez donc pas eu le besoin de moderniser ce texte?
Je ne sais pas ce que l’on vivait au XVIIIème, je peux en rêver…mais par contre, parfois, un metteur en scène et des comédiens peuvent avoir envie de monter le musée théâtral d’une époque, c’est à dire montrer ce que la tradition nous a raconté d’une époque.
Cette pièce dont la morale est « tel est pris qui croyait prendre » est une jouissive leçon à orchestrer quand on est metteur en scène, on imagine…
Oui, elle est jouissive par essence…ça, c’est tout Marivaux. Cette pièce est un peu dans le suivi de « La Dispute », comme une pièce théorème, il y a quelque chose de l’ordre de l’équation mathématique. Marivaux écrit alors une expérience, une pièce sur mesure pour une compagnie d’acteurs, des Comédiens italiens qui sont dans un mouvement de « revisitation » de la Commedia dell’arte et le dramaturge retransforme cette tradition théâtrale. Dans la mise en scène, il faut donc trouver ce mouvement-là; comment réinvente-t-on la question que Marivaux a lui-même inventée? La Fausse Suivante n’est pas une pièce qui finit sur une morale, elle s’achève en suspens…les protagonistes font une expérience et on les quitte l’expérience faite; on ne sait pas ce qu’ils vont en faire.
Vous avez donc pris comme point de départ un carnaval qui renoue avec cette tradition de la commedia dell’arte mais aussi avec toutes les fêtes antiques durant lesquelles le travestissement permet des libertés qu’on ne s’autorise pas à visage découvert…
Il y a de cela…la pièce démarre au moment de la fête. Ce n’est pas une chose triste et c’est dans la fête et dans la transgression que l’on se trouve. Le carnaval est l’occasion commune, sociétale, d’oser être autre chose que ce que la communauté nous assigne. Le chevalier profite de ce travestissement pour sortir de la filiation sociale qu’on lui fait , d’oublier le carcan d’un mariage annoncé…le travestissement est l’outil que cette femme prend et qui lui fait découvrir autre chose d’elle -même . Il est le moyen pour cette jeune parisienne d’essayer de comprendre ce qu’elle veut. C’est en tous cas ce que l’on perçoit de la pièce aujourd’hui et je pense qu’à l’époque, on devait avoir la même lecture du personnage – même si les conditions sociales et celles du mariage n’étaient pas les mêmes. Dans les occasions de transformation de soi que l’on a, on peut aussi découvrir ce que l’on est : cette vérité est à l’origine de tout le déroulement de la pièce et elle contamine tout le monde qui se dit : « Tiens, je pourrai être autre chose ».
En masquant tout le monde au départ, flouez-vous volontairement le principe même de la pièce ou au contraire le renforcez-vous?Il est renforcé. La question de savoir « dans ce moment-là ce que chacun va essayer d’être » devient évidente. Je l’espère en tous cas.
Comment avez-vous choisi votre distribution?
J’ai fonctionné sur le principe des rencontres. Il se trouvait que j’avais le temps parce que je jouais autre chose en même temps et que j’avais un an et demi devant moi; j’ai pu voir plein de choses, pensé à plein de gens et me suis laissée rêver. J’ai d’abord rencontré le comédien qui joue Trivelin, ce personnage qui pour moi est un centre et qui démarre la pièce aussi. L’année d’après, j’ai pensé à Arnaud Troalic pour Lélio. Mohand Azzoug , je l’avais vu jouer à l’école de Rennes. Catherine Baugué, pour la comtesse, on s’est formé ensemble et elle a joué dans le Médée que j’ai montée. Le chevalier sera joué par Laure Mathis , puisque Lamia ne pouvait plus continuer l’aventure…et je l’ai choisie parce qu’au cours des essais en répétition, il y a eu comme une évidence avec les autres acteurs.
La Fausse Suivante naît en même temps que des changements politiques importants en France et des bouleversements personnels pour Marivaux: dans quelle mesure cela a-t-il selon vous influencé son écriture et avez-vous essayé de le faire transparaître?
La première rencontre que le Chevalier fait avec Trivelin, Beaumarchais s’en est servi: il a réutilisé le monologue de Trivelin pour écrire Figaro…les questions abordées dans la Fausse Suivante sont vraiment très révolutionnaires. La pièce annonce un bouleversement qui va concerner tout le monde, la Révolution Française. Comment l’ai-je montré sur le plateau? comme si on reprenait la question à notre compte, aussi bien personnellement que sociètalement. Ce « quelque chose » de très révolutionnaire ( écrit 40 ans avant la Révolution) pose des questions parce que tout est en train de bouger. On est aujourd’hui de même dans une époque où l’on se questionne beaucoup sur l’idée qu’il faut peut-être réinventer des contrats sociaux, des modalités d’être, de vie, de mariage, de rencontre; ça, c’est une première chose transparente dans son écriture. Ensuite, d’un point de vue plus singulier , cette idée d’inventer sa vie ( y compris en se travestissant parce que ça donne juste le plaisir de faire quelque chose que l’on oserait pas faire comme femme et comme tous les travestissements ( homme-femme, valet-maître etc..) ) est l’occasion d’aller toucher autre chose que ce que l’on vit et c’est un mouvement liant. Et là, c’est une vision qui n’est pas historique, Marivaux nous parle juste de comment on vit: il nous dit qu’on n’a qu’une vie et nous interroge sur comment on invente, comment on arrive à se transformer , à muer, à comprendre au fur et à mesure ce qu’on désire de nouveau. C’est un mouvement de vie.
Comment se font vos choix de textes? plutôt textes classiques ou contemporains?
Les deux. Ce n’est pas une question de date. Dans les classiques, j’aime l’idée de revisiter un texte ou une tradition théâtrale mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’écriture ou le développement et du coup , ça c’est intemporel et se trouve autant dans les classiques que chez les auteurs contemporains. Je pourrais aussi imaginer de créer une pièce avec quelqu’un qui écrit pendant qu’on travaille, ou de monter une écriture de plateau qui ne passe pas forcément par un texte. A un moment , les choses deviennent nécessaires et ça peut prendre des formes très diverses.
Dans votre méthode de travail, vous passez par l’improvisation?
De plus en plus. Plus je grandis ( rires)… Il y a une phrase un peu convenue mais que je peux expliciter mieux que ça…en général on dit qu’on part de l’acteur et moi, c’est clairement ça. C’est peut-être aussi pour cela qu’il y a quelque chose chez Marivaux qui m’intéresse, dans l’idée de ne pas identifier un acteur avec ce que moi je pense de lui. Il y a forcément une rencontre entre ce qu’il est lui, le comédien, et ce que je peux projeter; mais il faut que ça se passe au milieu et que l’acteur ait aussi la liberté de me dire » je ne suis pas ça » avec ce rôle-là, par rapport au travail du plateau. L’improvisation , le fait de laisser les choses un peu libres au départ, permet de ne pas dire » non seulement je t’ai choisi et tu vas jouer ça mais en plus tu vas le jouer comme ça ». Comme j’ai eu le luxe d’avoir du temps, la discussion avec les comédiens s’est faite même avant les répétitions et j’ai préparé le travail avec ces échanges. Il y avait aussi Michèle Antiphon qui a eu un regard sur le texte…et le travail s’est fait vraiment dans « la dispute »…. ça se construit au fur et à mesure comme ça. Et avec la scénographie, le son etc, c’est pareil et moi je suis le lien de tout ça. On avance avec des nouveautés ,des paramètres qui changent parfois, comme le changement de la comédienne qui joue le chevalier, et on avance pas à pas, c’est comme une marche. Un peu comme les marches de Platon, c’est en marchant qu’on pense.
Les Dates de représentation en 2012/2013:
– DU 14 AU 24 NOVEMBRE / MC2 : GRENOBLE
– 27 ET 28 NOVEMBRE : THÉÂTRE D’ARLES
– 30 NOV ET 1ER DÉCEMBRE / THÉÂTRE DE BÉZIERS – SORTIE OUEST
– DU 4 AU 6 DÉCEMBRE / MAISON DE LA CULTURE, BOURGES
– 18 DÉCEMBRE / LA PASSERELLE, GAP
– DU 8 AU 12 JANVIER / THÉÂTRE DE LA CROIX-ROUSSE, LYON
– DU 15 JANVIER AU 2 FÉVRIER / TNB, RENNES
– 5 ET 6 FÉVRIER / HIPPODROME, DOUAI
– DU 19 AU 21 FÉVRIER / ESPACE MALRAUX, CHAMBÉRY
Les dates en 2014:
– Du 15 au 25 mai 2014 au Théâtre Nanterre-Amandiers ( Paris)
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