Au bonheur des dames: une oeuvre rafraîchissante d’Emile Zola

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Par Julie Cadilhacbscnews.fr/ Il y a dans l’écriture pointilleuse et la prose passionnée d’Emile Zola un souffle enthousiasmant qui perdure au fil des lignes.

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Certes, lorsqu’on aborde une de ses oeuvres, on rechigne d’abord, effrayé par le poids du livre, l’exhaustivité des connaissances et des mots savants qui risquent d’y être accumulés.Cependant, si certains des récits de Zola confortent cette idée et ne sont -peut-être – destinés aujourd’hui qu’aux amoureux de la langue française, Au bonheur des Dames doit être considéré comme une pièce atypique dans le travail de l’écrivain. C’est aussi pour cela que le roman est tant étudié à la fin du collège ou au lycée.

Grand admirateur du travail d’Honoré de Balzac et de sa Comédie Humaine, Emile Zola souhaitait faire quant à lui une oeuvre  » moins sociale que scientifique » qui peindrait non pas la société contemporaine mais une seule famille. Il y ferait la démonstration de l’influence de la société sur l’être humain. Obsédé également par la question de l’hérédité, il voulait montrer comment se transmet et se modifie une « tare génétique ». Ainsi dans les Rougon-Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire, l’auteur a dépeint une seule généalogie pour parler de façon universelle des hommes, de leurs défauts et de leurs mesquineries, de leurs failles et de leurs forces…et il a montré des êtres assujettis aux pouvoirs immaîtrisables que distille la société . Un projet qu’on peut juger profondément pessimiste et dans lequel les destins des personnages sont souvent terribles. On pense, en effet, au malheur de Renée dans La Curée, à Gervaise dans l’Assommoir, à Jacques Lantier dans la Bête Humaine, à tous les mineurs de Germinal….Pourtant, au milieu des volumes des Rougon-Macquart dont les frasques et les déboires plongent dans un puits de désespoir, Au bonheur des Dames fait office de contre-pied amusant, de parenthèse optimiste où Zola se laisse prendre au jeu du « et si tout finissait bien? »….et c’est rafraîchissant et fort plaisant!

Au Bonheur des Dames nous plonge dans les dentelles, les tissus et toutes les fanfreluches qui font tourner la tête des clientes des grands magasins. On y apprécie une peinture juste et cynique des rapports entre les femmes, leurs jalousies intestines, leurs mesquineries, les parades de coqs des hommes au milieu d’un poulailler de cous gras et de rires cristallins…on a le plaisir de frémir sous le joug des rivalités amoureuses, on se gausse de la moquerie des parisiens pour les provinciaux : l’on se sent au coeur d’une époque bouillonnante et l’on perçoit l’évolution des mentalités bouleversées par la révolution industrielle. Un roman donc d’une grande richesse socio-historique! Et d’un point de vue fictionnel, il y a tous ces personnages formidablement croqués. Denise, la fragile et jeune orpheline qui débarque à Paris pour trouver du travail et qui porte sur ses bras fragiles la responsabilité de ses deux frères cadets. L’oncle Baudou, acariâtre et usé qui dirige le Vieil Elbeuf, draps et flanelles, successeur de Hauchecorne et son désespoir pudique de petit commerçant devant le monstre dévorant la clientèle qui s’est installé au coin de sa rue. Octave Mouret , le directeur plein de prévenances du nouveau grand magasin.Henriette, superficielle et hautaine parisienne qui espère les avances du directeur et n’hésite pas à malmener les vendeuses. Et puis toute une foule qui grouille, fourmille, crie de joie devant les promotions….la caisse qui résonne et chantonne la mélodie de la rentabilité exacerbée. Toute une fébrilité ambiante que Zola irise d’une plume de maître. Au milieu de ce monde entêtant et imperturbable, le romancier naturaliste a eu envie de faire naître l’amour. Une passion pure et émouvante d’abnégation et de maladresse. Six ans plus tard, en 1888, à la veille de la cinquantaine, Zola s’interroge sur le sens de son existence et sa vie bascule brutalement lorsque Jeanne Rozerot, une lingère de 21 ans, entre au service de la famille Zola.Lors d’une relation secrète qui durera jusqu’à la mort de l’auteur, Jeanne lui donnera les deux enfants qu’il n’avait pu avoir avec son épouse Alexandrine. On dit qu’il aurait soufflé un jour à Goncourt : « Ma femme n’est pas là … Eh bien je ne vois pas passer une jeune fille comme celle-ci sans me dire : « Ça ne vaut-il pas mieux qu’un livre? ». Si Emile Zola aimait l’écriture et ses envolées épiques, la rigueur du qualificatif et le poids des démonstrations exhaustives, le démon de midi et ses aspirations légères n’ont pas non plus négligé sa plume et ses préoccupations quotidiennes…

« C’était la femme que les magasins se disputaient par la concurrence, la femme qu’ils prenaient au continuel piège de leurs occasions, après l’avoir étourdie avec leurs étalages. Ils avaient éveillé dans sa chair de nouveaux désirs, ils étaient une tentation immense, où elle succombait fatalement, cédant d’abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par la coquetterie, puis dévorée. En décuplant la vente, en démocratisant le luxe, ils devenaient un terrible agent de dépense, ravageaient les ménages, travaillaient au coup de folie de la mode, toujours plus chère.. »

« Quant il la vit si tremblante sous ses mains qui lui effleuraient la nuque, il eut regret de ce mouvement d’obligeance, car il craignait surtout de perdre son autorité.
– Enfin, mademoiselle, reprit-il en mettant de nouveau le bureau entre elle et lui, tâchez de veiller sur votre tenue. vous n’êtes plus à Valognes, étudiez nos Parisiennes….Si le nom de votre oncle a suffi pour vous ouvrir notre maison, je veux croire que vous tiendrez ce que votre personne m’a semblé promettre. Le malheur est que tout le monde ici ne partage point mon avis….Vous voilà prévenue, n’est-ce-pas? Ne me faîtes pas mentir.
Il la traitait en enfant, avec plus de pitié que de bonté, sa curiosité de féminin simplement mise en éveil par la femme troublante qu’il sentait naître chez cette enfant pauvre et maladroite. Et elle, pendant qu’il la sermonnait, ayant aperçu le portrait de Mme Hédouin, dont le beau visage régulier souriait gravement dans le cadre d’or, se trouvait reprise d’un frisson, malgré les paroles encourageantes qu’il lui adressait. C’était la dame morte, celle que le quartier l’accusait d’avoir tuée, pour fonder la maison sur le sang de ses membres.
Mouret parlait toujours.
-Allez, dit-il enfin, assis et continuant à écrire.
Elle s’en alla, elle eut dans le corridor un soupir de profond soulagement. »


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