L’ingénue libertine et la lectrice de Raymond Jean

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Par Marc-Emile Baronheid – bscnews.fr / L’éditeur annonce un livre « empreint d’un soupçon d’érotisme ». Encore faut-il s’entendre sur le sens à donner au mot « soupçon », pour apprécier ce roman paru en 1986, auquel son adaptation au cinéma allait conférer une notoriété inattendue.

Jeune femme désoeuvrée, Marie-Constance a l’idée de proposer par une petite annonce ses services de lectrice à domicile. Son mentor lui recommande pas de Proust, pas de Robbe-Grillet, pas de poésie. Ses premiers clients composent une manière d’inventaire à la Prévert : un adolescent paraplégique, une comtesse marxiste, une fillette à l’âme buissonnière, un PD-G entreprenant. La faute à Claude Simon ? Tout de même pas ! Plutôt aux phéromones qu’éparpille la lectrice, avec son petit air faussement innocent et merveilleusement désirable. Une allumeuse, cette Marie-Constance ? Elle se voudrait pourtant modèle, « un instrument parfaitement neutre et docile, un pur outil ». Docile, certes, puisqu’elle accepte de porter des jupes ou des robes qu’elle laisse remonter sur ses cuisses « très progressivement et comme si cela se faisait par des mouvements naturels » pour entendre s’animer le souffle de l’ado. Maupassant a encore frappé. Avec le temps et le bouche-à-oreille qui anime les villes de province, Marie-Constance commence à se parer de notoriété. A petit commerce innocent, aléas de la frilosité bien-pensante. L’ingénue libertine sera accusée de rapt, de vol, d’incitation au trouble de l’ordre public, voire d’abus de faiblesse. Qui peut imaginer, devant les rayons paisibles d’une bibliothèque, qu’un livre n’est jamais apprivoisé. Simplement, les mots donnent le change, attendant l’occasion de prendre la clé des chants.
Raymond Jean s’est éteint le 3 avril dernier dans son village du Vaucluse, à l’âge de 87 ans. Auteur d’une quarantaine de livres, il revendiquait un communisme critique doublé d’un désir d’intervention. L’autre désir, pur celui-là, ubac de son oeuvre, en devint l’adret à la sortie du film de Michel Deville, en 1988. Miou-Miou dans le rôle titre, c’était tout de même plus troublant que ses contemporaines Anémone et Josiane Balasko. Le milieu littéraire et les amateurs éclairés savaient que Jean avait signé l’essai « La Poétique du désir » et reçu trois ans plus tôt la Bourse Goncourt de la nouvelle pour « Un fantasme de Bella B et autres récits », son premier livre paru chez Actes Sud. Le public plus large découvrait qu’un professeur d’université en région pouvait être un éternel étudiant en sensualité, reçu cette fois summa cum laude.

« La Lectrice », Raymond Jean, Actes Sud Babel n° 575, 7,70 euros

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