MArguerite Abouet

Marguerite Abouet : sous le signe du partage

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Par Laureline Amanieux – bscnews.fr / La série de bande-dessinées Aya de Yopougon (en 7 tomes) vient de ressortir aux éditions Gallimard dans une édition spéciale, à l’occasion de la naissance du film animé sous la direction de Autochenille Production. Le film est annoncé dans nos salles pour l’été 2012. Mais qui est Aya ? Cette héroïne inventée par Marguerite Abouet et dessinée par Clément Oubrerie réside à Yopougon, l’un des treize quartiers d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Nous sommes à la fin des années soixante-dix. Aya rêve de devenir médecin, mais ses amies Bintou et Ajoua préfèrent les trois « C » : Coiffure, Couture, Chasser les garçons en sortant dans les « maquis », ces lieux de fêtes animées. Autour d’elles évoluent des personnages attachants : des pères volages, aux mères inquiètes pour leurs filles, de Moussa, le fils de l’homme le plus riche du pays, aux enfants comme Félicité et Hervé qui réussissent par leur bonne volonté… Avec humour, Marguerite Abouet nous raconte une Afrique joyeuse, vivante et colorée, bien éloignée des images souvent véhiculées de désespoir, de famine, de sida, et de guerre.

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Marguerite, est-ce que vous avez des points communs avec votre héroïne, Aya de Yopougon ?
Aya, ce n’est pas moi du tout. J’ai un peu idéalisée ma grande sœur à travers elle. Lorsqu’on vivait à Yopougon dans ce quartier d’Abidjan, j’avais l’âge de la petite sœur d’Aya, qui s’appelle Akissi. Je n’ai pas vécu toutes ces histoires de grande fille parce que j’ai quitté la Côte d’Ivoire à 12 ans. J’ai passé plus de temps ensuite en France qu’à Yopougon.

Quelle part de vos souvenirs d’enfance ressortent dans l’atmosphère de la BD Aya ?
Le fait que tout le monde se mêle des affaires des autres, qu’on est vraiment très solidaires entre nous, car les pères partent au travail et ne s’intéressent pas trop à la vie de famille. On vivait avec ces mamans qui résolvaient un peu tous les problèmes de la maison et du quartier !
Vous donnez dans la BD une image de la femme très forte, qui se débrouille toute seule…
En Afrique, on dit : « la femme est un homme comme les autres » ! Certaines femmes se réveillent à cinq heures du matin, préparent les enfants, vont vendre sur les marchés des aliments ou des objets jusqu’au soir. Ce sont les mères qui, aujourd’hui, en Afrique, sont commerçantes, gèrent la crise économique, et nourrissent toute la famille. J’ai connu cela aussi dans les années soixante-dix. C’était important pour moi de parler dans la BD du courage de ces femmes et de leurs motivations.

Et elles sont très libres, amoureusement, sexuellement…
Oui, on a l’impression que la femme africaine est derrière ses fourneaux, et subit la volonté de son mari. J’ai encore cette image de ma mère qui s’habillait avec des pantalons à pattes d’éléphant, qui prenait la voiture, qui partait travailler chez Singer, car elle y était secrétaire. Toutes les femmes qui ne travaillaient pas et qui vivaient dans notre quartier étaient assez indépendantes aussi.

C’est toujours le cas aujourd’hui ou c’était propre aux années soixante-dix pendant lesquelles vous situez l’histoire de Aya ?
Cela existe encore, oui. J’ai des amies de mon âge qui travaillent, s’occupent de leurs enfants, de leur famille, sortent le soir, ou ne sont pas forcément mariées. Une femme africaine n’a plus besoin d’être mariée pour être valorisée !

Vous avez donné à Aya le physique d’une grande personnalité politique.
Avec le dessinateur Clément Oubrerie, quand on cherchait « notre » Aya, on a eu du mal à la trouver, on ne voulait pas qu’elle soit une super bimbo, ni qu’elle soit vilaine. On avait fait plusieurs tentatives : Aya en « afro », Aya pulpeuse… Un jour, on feuillette un magazine et on voit le visage de la député d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali, cette femme engagée qui est menacée d’une fatwa. Et Clément me dit : « pourquoi pas elle ? » C’est une militante, elle est jolie… Et notre personnage d’Aya a des convictions, elle espère faire des études, réussir dans sa vie et elle défend les autres… Donc je suis contente que Aya lui ressemble physiquement.

Vous donnez des recettes de cuisine africaine à la fin de chaque tome de Aya, pourquoi ?
Pour savoir cuisiner, il faut juste goûter ce qu’on fait. En Afrique, quand j’étais enfant, on allait ramasser des légumes pourris au marché et on cuisinait à la maison pour jouer ! On imitait nos mères. Donc, j’ai toujours su cuisiner. Pour moi, c’est partager un bon moment. En Afrique, toutes les femmes se retrouvent, chacune parle de son mari, et dit comment ramener son mari avec une bonne sauce quand il va s’aventurer ailleurs… C’est le quotidien, c’est la vie, énormément de plats africains portent le nom d’un moment. Nos plats possèdent tous une signification, comme nos pagnes. Il y a des plats pour réveiller quelqu’un après une nuit alcoolisée, par exemple. Donc ajouter des recettes à la fin de la BD, c’est une façon de dire : « venez voir chez moi, ce n’est pas si différent de chez vous, c’est juste la façon de résoudre les problèmes qui changent ».

Et vos lecteurs, que vous disent-ils sur Aya ?
On a toutes sortes de lecteurs, de toutes couleurs, de toutes religions… Je trouve cela génial. Certains n’ont jamais lu de BD dans leur vie parce qu’ils pensaient que c’était destiné aux enfants et finalement, ils adorent la série. Beaucoup de gens ont vécu aussi en Afrique, on ne se rend pas compte mais énormément de Français « de souche » sont nés là-bas et quand ils nous disent : « on sent la poussière dans vos BD,.. », cela nous rend très fiers avec le dessinateur ! D’autres ont appelé leur fille Aya… parce que c’est une jeune fille tellement parfaite !

Dans quelle mesure est-ce qu’écrire a été bénéfique dans votre vie ?
Mon truc, c’est raconter des histoires, j’aime beaucoup parler. Dès ma venue en France, j’ai toujours raconté mes souvenirs, c’était très important pour moi de ne pas les oublier surtout, car c’était ce qui me rapprochait de mon pays. Je n’ai pas demandé à venir en France au départ. L’Afrique fait partie de moi, c’est ce noyau qui m’a aidée à être une femme, c’est le cas toujours aujourd’hui. Jeune femme, je racontais des histoires aux enfants que je gardais, aux neveux, aux nièces et ce sont les autres qui m’ont encouragée à écrire. Alors j’ai commencé à écrire et ce fut une vraie thérapie. Quand je me suis retrouvée dans une chambre de bonne, sans télévision, sans loisirs, sans argent, cela m’a aidée d’écrire pour ne pas devenir folle entre ces quatre murs, et c’est devenu un plaisir. Quand j’écris, j’ai du mal à suivre un planning. J’aime sortir, écrire dans le métro, dans les bars, dans un parc, car j’ai besoin des gens, c’est mon oxygène. Cela vient peut-être de mon enfance où on se mêlait de la vie des autres, alors j’écoute les conversations dans le métro, je ne peux pas m’en empêcher.

Est-ce que raconter des histoires vous a aidée à l’école à être acceptée par les autres ?
Le succès que j’ai eu ! J’étais la star de l’école ! Quand je suis rentrée pour la première fois dans ma classe en France, dans une école du 18e arrondissement, je me suis dit : « ce n’est pas moi qui dois les accepter, c’est à eux de m’accepter ! » Alors j’ai commencé à raconter des histoires. Je disais : « je me suis fait mordre par un serpent, je chassais le lion avec mon grand-père », et je montrais mes blessures, ma cicatrice de morsure de serpents… En plus, je jouais bien au foot ! Donc je n’ai pas eu de problèmes pour m’intégrer. Je racontais mes histoires aux autres, tout simplement.

A 12 ans, quelle image aviez-vous des Français en arrivant à Paris ?
Je débarquais de mon pays avec mon accent et mes préjugés… parce qu’il n’y a pas que les autres qui ont des préjugés, j’en avais aussi. Je croyais que tous les blancs étaient comme Rahan et vivaient avec des ours pour se protéger des loups… Et j’arrive ici, il faisait froid, c’était l’hiver, les blancs étaient habillés, et ne ressemblaient pas du tout à Rahan !!!

Vous avez fondé une association « Des livres pour tous », pouvez-vous nous en parler ?
Mon association, c’est vraiment ma fierté. Je suis allée dédicacer Aya à Abidjan et tous les enfants sont venus avec une feuille de papier, mais pas avec le livre. Cela m’a rendue triste de faire une histoire si positive sur l’Afrique alors que ces africains ne pouvaient pas se l’acheter. Gallimard a alors édité une version souple en Côte d’Ivoire, moins chère, mais ça ne suffisait pas. Je me suis dit : « puisque je ne peux pas donner de livres à chaque enfant africain, je peux ouvrir des bibliothèques, où des livres de toutes sortes, du roman classique au manga seront présents. » Avec un groupe d’amis, on a créé cette association et des bibliothèques jeunesses avec des animateurs, des jeux, des concours, du théâtre… On en a fait deux à Dakar, mais le but, c’est d’en ouvrir dans toutes les grandes villes africaines. On organise des partenariats avec des maisons d’édition françaises qui nous offrent des livres neufs. Et l’on achète des livres africains pour soutenir le marché du livre sur place. Aujourd’hui en Afrique, il existe davantage de lieux pour faire la fête ou d’églises que d’écoles ! Or, une bibliothèque, cela veut dire moins d’enfants dehors, dans la rue ou en train de boire de l’alcool au « maquis »… Ils peuvent venir y lire, rencontrer les autres, discuter… C’est un lieu de vie.

Aya de Yopougon – 7 tomes
TF1 Editions

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