Delphine de Vigan : Les variations de la passion amoureuse
Par Mélina Hoffman – bscnews.fr / « C’est l’histoire d’une femme qui écrit à un homme qui écrit, une femme sans contours, venue de nulle part, qu’il a peut-être oubliée, qui peu à peu se dessine, refait surface, cherche de l’air. Un air plus doux, apaisé. »
Mathieu Brin en a connu des femmes. De nombreuses femmes qu’il a séduites, désirées, aimées l’espace de quelques heures, parfois un peu plus longuement. Il en a pleurées aussi, certaines. A 45 ans, il partage désormais sa vie avec Elise et leurs deux garçons. Une vie heureuse et plutôt tranquille que vient pimenter la publication du premier roman de Mathieu. Le succès est au rendez-vous et de nombreuses lettres de lecteurs et d’admiratrices viennent se glisser dans sa boîte aux lettres. Jusqu’au jour où l’une d’elles, au ton étrangement familier, va éveiller en lui le souvenir troublant d’une passion qu’il croyait évanouie.
« (…) Peut-être sauras-tu lire entre les lignes, dans cet espace intact qu’aucun mot ne caresse ni ne frappe, ce que je ne sais pas dire. » Entre les lignes Mathieu reconnaît ce désir vif et exaltant, c’est celui de Sara. Sara est l’une de ces femmes qui ont traversé sa vie. Sara appartient au passé. Un passé qu’Elise est venue balayer d’un revers de main en entrant dans la vie et dans le cœur de Mathieu. Pourquoi alors, les lettres de la jeune femme qui se succèdent, toutes empreintes d’une même fièvre, bouleversent-elles autant Mathieu ? La mémoire peut-elle faire renaître une passion ancienne de dix ans ? Voudra-t-il la revoir ? Est-ce seulement ce qu’elle attend de lui ?
Très vite, Mathieu sent tout contrôle lui échapper et s’isole dans le souvenir de ce passé qui le plonge dans une insatiable soif d’écriture. Il puise dans ces lettres l’inspiration pour écrire son second roman. Plus rien d’autre ne compte. L’écriture, espace où tout devient possible ; l’écriture qui engloutit tout, qui enflamme le corps, le cœur, qui attise les sentiments les plus brûlants, ceux que l’on n’ose pas confronter à la réalité. C’est au milieu des mots qu’il la retrouve, elle qui n’a cessé de l’attendre, de l’espérer toutes ces années ; elle qu’il avait quittée un soir de décembre ; elle dont, soudainement, il ressent le besoin.
Avec la justesse, la sensibilité et la délicatesse qu’on lui connaît, Delphine de Vigan nous entraîne dans les variations de la passion amoureuse, l’intensité du désir, le pouvoir de la mémoire, ou encore les paradoxes de l’écriture qui libère et emprisonne à la fois. L’écriture, aussi, qui permet de redessiner la réalité en l’imprégnant de nos désirs les plus inassouvis. L’écriture pour tromper l’absence, le vide et l’oubli comme l’exprime Sara à travers chacune de ses lettres.
« Au fil des années, j’ai créé pour m’accompagner un être fictif, recomposé, modelé sous les doigts, conforme au besoin extrême que j’avais de toi. Tu n’avais pas d’autre réalité que celle-ci, surgie du manque, façonnée par l’attente, réinventée. Tu n’avais pas d’autre réalité que cet impossible oubli. »
L’histoire n’est pas originale et je ne cache pas lui avoir préféré Les heures souterraines [1], mais Delphine de Vigan sait la rendre délicieuse et enivrante. Chacun de ses mots sonne incroyablement juste et nous brûle, tout comme le désir brûle la plume de chacun de ces deux amants perdus.
[1] Voir ici chronique dans le numéro de juillet 2011 et sur le site Internet du BSC News.
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