Nicolas Lormeau

Comédie Française : Nicolas Lormeau fait entendre la musique étonnante des vers hugoliens

Partagez l'article !

Par Julie Cadilhac – bscnews.fr / © photo Christophe Raynaud de Lage / Croquis Renato Bianqui/ Nicolas Lormeau est un acteur français pensionnaire de la Comédie Française depuis 1996, chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres..

propos recueillis par

Partagez l'article !

Dirigé notamment par Omar Porras, Bob Wilson, Denis Podalydès, Daniel Mesguich ou encore Pierre Pradinas, il est aussi metteur en scène et a imaginé en ce printemps 2012 une version d’Hernani de Victor Hugo, une création pour le Printemps des Comédiens suite à un coup de foudre de la Comédie Française pour l’espace autour du Bassin du Château d’O. Hernani ou l’Honneur Castillan, jouée pour la première fois en 1830, est une pièce mémorable dans l’histoire du théâtre français car elle déclencha la fameuse Bataille d’Hernani et consacra la naissance du drame romantique. Comment contourne-t-on les difficultés d’une pièce qui malmène les règles des trois unités? Qui choisit-on pour jouer… le fougueux Hernani, le noble banni, marqué par la mort de son père sur l’échafaud ? la belle Dona Sol ? et le facond Don Ruy Gomez de Silva ? Avant d’avoir le loisir de découvrir le Verbe Hugolien sous les feux de la rampe, d’entendre battre le coeur des amours impossibles et des haines inextinguibles, nous avons eu l’immense plaisir de questionner Nicolas Lormeau pour qu’il nous éclaire sur ses choix de mise en scène. Rencontre avec un homme de théâtre aussi passionnant que pertinent, aussi talentueux que sympathique.

Qu’est-ce qui est séduisant quand on monte un drame romantique comme Hernani?
C’est la nature même de l’oeuvre. Ce qui est justement enthousiasmant dans un drame, c’est que c’est un drame. Jusqu’alors il y avait des comédies d’une part et des tragédies de l’autre mais tout ce qui était mélange des genres, ça n’existait pas. Dans Hernani , il y a de l’humour aussi et on s’autorise à pouvoir rire; la pièce commence par une situation grotesque – où le roi est caché dans une armoire quand même pour écouter des amants qui se retrouvent! – et ça se termine par la mort de trois des quatre protagonistes principaux. On ne peut pas donc vraiment dire que ça se termine bien (rires). Ce qui est séduisant chez Hugo, c’est son écriture même, c’est cette façon assez géniale de se lancer sans retenue, sans fausse pudeur, dans des grands sentiments. Une littérature d’exagération mais à laquelle on s’habitue très bien; effectivement il y a de l’élan, de la vitesse, de l’épaisseur dans tous les sens du terme mais qui , de mon point de vue, ne va jamais trop loin en allant très très loin. Ce qui est le plus excitant dans ce théâtre-là, c’est l’oeuvre elle-même imaginée par un jeune homme qui a 28 ans lorsqu’il écrit Hernani. C’est la deuxième fois que je vais monter Hugo, la première fois c’était au tout début de ma carrière de metteur en scène, en 1990, c’était Ruy Blas .
La vedette du spectacle, c’est vraiment la pièce de Hugo avec ses alexandrins qui n’en sont pas…tout en en étant absolument! En effet, si l’on compte le nombre de syllabes par vers, on tombe bien sur 12 et ça rime bien, ça alterne bien les masculines et les féminines; on est sur une structure classique de la versification mais quand on écoute le texte, on n’entend plus du tout cette structure classique. Victor Hugo a complètement inventé une autre musique grâce à des systèmes subtils de rejet, de rimes à l’hémistiche…il arrive à faire disparaître dans l’oreille du spectateur le vers et à le faire réapparaître à d’autres moments…ça me fait penser un peu, en peinture, à l’impressionnisme, au pointillisme c’est à dire qu’on voit bien que c’est fabriqué avec des points mais quand on s’éloigne, on ne voit plus les points, on voit autre chose: ça donne une couleur particulière au tableau et ce sont bien des points et en même temps, ce ne sont pas des points….et bien les alexandrins d’Hugo, ce sont bien des alexandrins mais ce ne sont pas des alexandrins non plus. C’est une expérience que je voulais tenter avec les spectateurs sans dogme, sans théorie: juste faire entendre cette musique étonnante, nouvelle et très révolutionnaire pour l’époque d’ailleurs.

L’espace dépouillé avec uniquement des jeux de lumière, c’est donc pour mettre au premier plan le verbe hugolien…
Exactement. Pour Hugo, le théâtre n’était pas du tout un art secondaire; il écrivait des romans et des poèmes mais je pense que le théâtre était son média de prédilection. Ses didascalies sont d’ailleurs assez foisonnantes; on voit qu’il était assez précis dans sa façon d’imaginer ses pièces. Simplement, pour le coup, c’est vraiment un homme de son temps. Hugo imaginait donc un théâtre assez marqué, des décors très alourdis, très décoratifs, presque réalistes, qui changent beaucoup…sur Hernani, on est sur cinq lieux différents, un extérieur, un intérieur, une galerie, un tombeau…tout ça est donc assez compliqué à monter aujourd’hui et les solutions scénographiques pour essayer de ne pas faire un vieux décor poussiéreux et représentatif qui n’aurait aucun sens sont difficiles à trouver parce qu’on voit bien que les personnages sont dans des espaces très concrets pour eux. Alors si on représente ce qui est dit dans les didascalies, c’est vite compliqué, oppressant, lourd…en ne mettant rien du tout, l’avantage c’est que c’est le cerveau du spectateur qui fabrique la chose et il peut fabriquer ce qu’il veut, lui, c’est plus facile.

Vous avez choisi un espace bifrontal pour votre mise en scène…
J’ai imaginé un espace bifrontal pour cette question des décors. L’avantage, c’est que le vide prend tout son sens car l’on imagine bien lorsqu’on voit des spectateurs de l’autre côté qu’il ne peut y avoir de décorations qui empêcheraient les autres de regarder l’espace. J’ai choisi de mettre les personnages en costumes 1830, en costumes romantiques, au milieu des gens. En posant les personnages au milieu des gens comme s’ils étaient Les Mots Incarnés rejoint l’idée que la vedette de ce spectacle, ce soit les mots. L’incarnation de ces mots se fait par l’intermédiaire de gens en costumes de répétition de l’époque où a été écrite la pièce – parce que l’histoire théorique se passe en 1520 au moment de l’avènement de Charles Quint. J’ai demandé à Renato Bianci, puisque ça avait été écrit en 1830, de concevoir des costumes de facture très classique, vraiment romantiques pour voir arriver des personnages sortis de ce monde-là comme si c’était des gens qui venaient répéter dans un espace vide, qui venaient faire renaître ces mots de la chair humaine et rien que de ça. C’est pour cela qu’il n’y aura rien sur le plateau , juste un espace carré; pas bifrontal au sens classique puisqu’il est presque aussi large que profond. J’ai voulu qu’on entende les didascalies en voix off au début de chaque acte pour qu’on puisse entendre ce qu’Hugo avait imaginé pour le décor et on changera simplement les lumières pour créer des ambiances un peu particulières. On ne cherche pas non plus à faire des effets recherchés, compliqués, on laisse l’espace brut en fait et on laisse les gens vivre leur histoire en face d’autres qui les regardent.

Quand on monte Hernani, on en a forcément en tête la Bataille que la pièce a déclenchée. Avez-vous eu envie de rendre hommage de quelque manière au souffle révolutionnaire et provocateur du dramaturge?
L’oeuvre d’Hugo est finalement très classique et ce qui pouvait être un peu choquant à l’époque n’a pas de raison d’être aujourd’hui. En 1830, on est six mois avant la Monarchie de Juillet, la France et le monde ont été secoués, il y a eu la révolution puis l’empire puis la restauration… et cette Bataille d’Hernani ce sont plus des batailles d’ordres établis; ça correspondrait plus maintenant à quelqu’un qui dirait qu’en 1968 il y a eu une bataille pour l’art, pour le théâtre qui se faisait devant les usines et on se mettait à poil etc…ça correspond plus à un moment politique qu’artistique la Bataille d’Hernani. La Bataille d’Hernani, c’est le vieux monde qui essaie de reprendre le leadership avec la censure sur l’art etc…en vrai, l’oeuvre elle-même est magnifique et a un souffle extraordinaire mais elle n’est pas provocatrice, ne justifie pas que des gens se battent dans la salle…les gens s’agitent dans la salle parce que certains y voient des allusions contre le régime en place et des allusions à Napoléon – et ils ont raison! mais c’est plus une bataille politique et sociétale qu’une bataille artistique. Aussi l’oeuvre n’a pas transportée avec elle sa bataille aujourd’hui…

Vous avez pu dire que vous vouliez « une lumière qui piège les acteurs »…
L’idée, c’est celle d’un ring ou d’un stade ….dès que se posent comme ça des gens au milieu de rien et qu’il y a des gens tout autour. Un peu comme un papillon pris dans la lumière d’un faisceauHernani d’un projecteur, je voulais une lumière assez brutale. Les gens sont pris par des poursuites qui les suivent. On fera pas comme au music hall où l’on voit les cercles de lumière, on shoote les bords pour que les gens ne se rendent pas trop compte qu’ils sont dans une poursuite en permanence mais en revanche, s’ils tournent la tête, ils voient ce faisceau comme un rayon laser…genre on vous regarde et on ne vous lâchera pas…et cela accentuera sans doute le côté tragique de la pièce avec l’idée que, comme dans toute tragédie, on ne peut pas échapper à son destin. Tout le monde va mourir dans cette pièce ou presque….Avec la troupe, on revient de Madrid où l’on a joué Le Mariage de Figaro et ça me fait ainsi penser aux arènes où lorsque le taureau rentre pourtant bien vivant, tout le monde sait quelle va être la fin et, dans ce lieu circulaire, la bête est pris au piège et je voulais donner cette impression un peu tellurique, un peu animale, un peu première. On arrive dans cette espèce d’arène, cet espace où l’on est pris de tous côtés par des regards..

Monter Hernani, en tant que pensionnaire de la Comédie Française, c’est s’inscrire dans l’histoire de cette grande institution théâtrale…
Oui! Toutes les oeuvres d’Hugo ont été créées à la Comédie Française. La Bataille s’est déroulée à la Comédie Française et nous avons le manuscrit de la pièce. La Comédie Française est vraiment le théâtre de la nation et on peut presque dire qu’Hugo est l’auteur de la nation. Tout le monde le connaît en France même ceux qui ne l’ont jamais lu. Un peu comme tout le monde connaît la Comédie Française, même ceux qui n’y sont jamais allés. Moi, j’essaie de m’inscrire de m’inscrire dans la tradition de la Comédie Française, qui est très longue, et je peux aujourd’hui dire, sans me mentir, que j’ai un peu oeuvré à cela, apporté ma petite contribution puisque cela fait un certain nombre d’années que je suis pensionnaire maintenant.

Vous êtes-vous inspiré de cet héritage? Vous êtes-vous documenté sur ce qui avez été fait avant?
J’ai beaucoup lu sur ce qui avait été fait. Je n’ai vu qu’une représentation d’Hernani; c’était une mise en scène d’Anne Delbée qui se jouait dehors dans un très beau lieu dans le Marais au Musée de la Ville de Paris je crois. Il y avait Clément Hervieu-Léger qui est maintenant pensionnaire à la Comédie Française jouait Hernani, Rebecca Stella jouait Dona Sol…c’était beau! Je sais que la dernière grande mise en scène à la Comédie Française était celle d’Antoine Vitez avec Aurélien Recoing dans le rôle d’Hernani. Après je suis sûr qu’il reste des images mais je n’ai pas souhaité revoir ou trop me documenter sur ce qui avait été fait auparavant. J’ai plus lu des analyses universitaires ou de chercheurs pour me nourrir encore un peu plus mais je n’ai pas trop cherché à rendre hommage parce que le théâtre, ça se passe maintenant. Evidemment qu’il y a eu un passé énorme, une histoire, une tradition mais il ne faut pas trop se faire écraser par cet héritage. Je suis plus passé par des lectures que des enregistrements qui m’auraient peut-être pour le coup intimidé…des fois, il faut oser un peu! ( rires).

Comment s’est porté votre choix sur la distribution?
On a la chance d’avoir à la Comédie Française une troupe extraordinaire et pour tout dire, l’idée de monter cette pièce est née de la conjonction de deux choses; d’abord j’aime le théâtre de Hugo et je le relis régulièrement et ça faisait longtemps que je voulais monter Hernani et lorsque Félicien Juttner a rejoint la troupe, il y a quatre ans maintenant, et que je connaissais du Conservatoire où je suis intervenant sur un sujet très passionnant qui se nomme L’intervention en milieu scolaire – un stage qui dure 15 jours- j’avais adoré son intransigeance adolescente, cette révolte à fleur de peau qu’il manifestait tout en faisant beaucoup, c’est à dire qu’il m’avait expliqué que ça ne servait à rien d’aller dans des collèges et des écoles tout en me prouvant absolument l’inverse par ses interventions et l’énergie qu’il y mettait; ça m’avait amusé parce que j’avais trouvé qu’il avait tout à fait l’énergie désespérée, et en même temps engagée et pleine d’humour du héros hugolien. Comme Hernani, lui-même n’est relativement pas très costaud et je me suis dit :  » ce gars, c’est Hernani »…car Hernani, il s’agite, il rêve de renverser le roi mais dans la pièce il a trois fois l’occasion de le faire et il ne le fait jamais! Une révolte à fleur de peau qui, lorsque l’occasion se présente, se dérobe malgré lui. Le courage de présenter ce projet à l’administrateur est né de l’arrivée dans la troupe de Félicien Juttner.

Pour Don Ruy Gomez de Silva?
Quand on a dans une troupe Bruno Raffaelli et son physique étonnant, qui a l’âge exactement du rôle tel que le décrit Hugo,  » il porte beau », son rapport aux sentiments, aux femmes, sa faconde, on ne peut pas rêver mieux pour Don Ruy Gomez de Silva.

Le Roi Don Carlos?
Carlos est un personnage censé être plus jeune au départ qu’Hernani, c’est un personnage incroyable qui se transfigure, se modifie au cours de la pièce. Au départ,il a la fonction comique de la pièce ; c’est un gars rigolo, un roi jouisseur, un clown qui va d’un seul coup devenir empereur et être sérieux en prenant ses responsabilités, je trouvais que Jérôme Pouly, qui est un ami et un acteur aux capacités de jeu hors du commun, capable d’investir des styles très différents, convenait tout à fait pour ce rôle. Il peut être très drôle comme très bouleversant. Il me fallait un acteur qui puisse incarner toutes les facettes du drame. C’est donc autour de ces trois hommes, d’abord, que mon envie s’est concrétisée…

Et pour Dona Sol?
A la Comédie Française, il y avait pas mal d’actrices qui pouvaient prétendre au rôle mais il y avait le problème d’emplois du temps très compliqués; le fait de valider le projet a correspondu avec l’arrivée de Jennifer Decker dans la troupe, que je ne connaissais pas , qui est une actrice merveilleuse et idéale pour jouer les héroïnes hugoliennes; elle a un monde avec elle, elle joue avec une générosité et une finesse qui est parfaite.

C’est donc une création pour le Bassin du Domaine d’O montpelliérain…
Muriel Mayette, lorsqu’elle a vu cet espace, a tout de suite pensé à mon projet d’Hernani lorsqu’elle a eu l’opportunité de rencontrer Jean Varela qui lui avait dit son envie d’accueillir la Comédie Française pour le Printemps des Comédiens. Ce Bassin d’O est idéal pour installer ce système bifrontal. On est sur ce sol en face des étoiles et ça va être merveilleux… L’endroit est presque idéal, on va jouer à même le sable dans des costumes sublimes et là normalement il devrait y avoir un élan lié à la nature même: les arbres très anciens, les bruits de la nuit j’imagine, qui vont rajouter un peu du drame et du sentiment normalement. Je suis très heureux car je trouve que le théâtre l’été ,dehors, c’est génial. Il y a un côté fête, un côté exceptionnel, on se retrouve ensemble…et quand il fait beau, dehors, ensemble, je crois qu’il n’y a rien de mieux!

Dates des représentations:

Les 29, 30 juin et 1 juillet 2012 au Printemps des Comédiens à Montpellier
Du 30 janvier 2013 au 17 février 2013 au Théâtre du Vieux Colombier ( Comédie Française)

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à