De même que son jeu est profondément juste et touchant, ses mises en scène laissent un souvenir marquant tant ,à la joie commune d’être ensemble, elles associent le plaisir complice des surprises que l’on sert au spectateur ravi, une direction d’acteurs remarquable et une volonté ténue de faire vibrer le texte et de lui rendre hommage dans une ambiance de joyeux drilles. On n’oublie pas ainsi la délirante et non moins brillante représentation de la genèse qu’il avait imaginée avec les Histrions de Marion Aubert et que l’an passé, des centaines de spectateurs ont applaudi avec enthousiasme ses Règles du Savoir-Vivre dans la Société Moderne. Richard Mitou retrouve pour cette nouvelle saison les étudiants de dernière année de l’ENSAD pour des Numéros Cabaret inspirés de textes du dramaturge et metteur en scène israélien Hanokh Levin. Une création pour le Printemps des Comédiens 2012 qui s’apprête déjà à être un rendez-vous incontournable de ce mois de juin sous la pinède du Domaine d’Ô….
Si vous deviez présenter en quelques mots le travail et le personnage d’Hanokh Levin, vous diriez?
C’est quelqu’un que j’ai découvert il y a une dizaine d’années et qui est une grande figure de la dramaturgie et du théâtre israélien. Il est mort jeune d’un cancer foudroyant, il est né à Tel Aviv en 1943 donc juste avant la construction d’Israel. Très tôt, il a commencé à écrire des petites pièces satyriques qui étaient totalement opposées à la guerre, à l’espèce de fierté nationale qui accompagnait les israeliens face à la guerre qu’ils menaient pour les territoires occupés; tout cela peut sembler un peu triste mais pas du tout car c’est quelqu’un qui avait une force de théâtre incroyable et il a commencé par écrire des saynètes courtes, des sketches, absurdes, drôles, critiques, ironiques qui pourraient sembler très axés sur son quotidien et sur ce qui se passait dans son pays…mais ils ont une force universelle incroyable qui dit que la guerre est toujours le quotidien de l’homme, que l’amour nous attend et il y a un humour yiddish qui est là, très fort, sur ce qu’on peut ressentir en tant qu’être humain. Après, son oeuvre s’est amplifiée, il a écrit des pièces mythologiques, il a essayé d’inventer une nouvelle tragédie contemporaine mais moi, ce que je travaille aujourd’hui, c’est plutôt tout le pendant farces, comédies. Levin a déployé son talent d’écrivain sur tous les registres. Il a touché à tous les théâtres, s’est inspiré d’énormément de formes différentes, il a créé un théâtre absolument unique – ce qui fait qu’il est aujourd’hui l’auteur israélien le plus reconnu, joué partout, traduit par Laurence Sendrowicz depuis 2000. C’est quelqu’un qui a une culture très très dense et qui est devenu un vrai homme de plateau, qui a été metteur en scène et a amené des formes nouvelles et totales de théâtre avec une alchimie de la scénographie, de la chanson , de la farce, de la tragédie, du clown. Tous les arts du théâtre ( scénographie, lumières, costumes, musique, musiciens sur le plateau )formaient un spectacle total.
Je travaille sur un théâtre musical, et même si les thèmes abordés sont cruels, noirs, si la guerre et la mort sont présentes, ce que le spectateur verra, c’est d’abord une place de village où se déploient des humanités, des figures humaines qui vont essayer de traverser une vie…
Comment avez-vous constitué ce canevas théâtral?
On ne joue pas une pièce de Levin mais plusieurs petites pièces comme une sorte de cabaret éclaté…J’ai travaillé sur des recueils de textes. En traduction française, on n’a actuellement qu’une vingtaine de pièces de son oeuvre à disposition et la traductrice Laurence Sendrowicz a notamment regroupé des sketches que Levin avait écrit de 1960 à 1990. Ensuite, dans d’autres de ses pièces, j’ai récupéré des chansons et j’ai fait ensuite un montage avec plusieurs petits sketches, chansons, saynètes qui donne à entendre un peu tout l’univers de cet auteur. Les Numéros en fait partie mais est une petite pièce qui ne dure pas plus de vingt minutes.
Doit-on s’attendre à voir un cabaret?L’avez-vous imaginé avec des rendez-vous incontournables comme dans tout cabaret?
C’est pas du tout un cabaret comme on peut l’entendre , du genre cabaret d’entre-deux-guerres ou cabaret brechtien, c’est un cabaret dans le sens de la forme contemporaine qui va être employée…il y a une sorte de voyage qui se crée, une petite dramaturgie du plateau qui fait qu’on n’est pas juste dans une succession de sketches et de numéros, il y a une petite histoire sensible; c’est ce que j’appelle la dramaturgie du plateau…c’est à dire qu’il va se passer quelque chose entre le début et la fin du spectacle; un voyage qui s’accomplit chez les spectateurs et les acteurs ; on ne sera pas les mêmes à la fin de la pièce. Ce n’est pas une forme de cabaret dans lequel on fait numéro, chanson, numéro etc…les comédiens seront tout le temps vingt sur le plateau avec les musiciens et il y aura comme une espèce de vie commune..c’est une sorte de cabaret hybride.
Mêler la musique au théâtre, c’est la marque de fabrique d’un mélomane inconditionnel?
J’adore avoir un groupe en direct sur le plateau. Levin avait des musiciens aussi sur le plateau quand il montait ses pièces – il y avait des chansons dans ses pièces- et donc je voulais qu’il y ait de la musique, de la danse, de la chanson. Des sketches clownesques et d’autres plus émouvants sur l’existence humaine. Levin a connu la guerre et elle est donc toujours là, toujours présente mais il y a une forme de vie, de survie, de joie et c’est ce que l’on retrouve un peu dans la musique yiddish – et il y en aura dans le spectacle aussi! .C’est une musique qui a quelque chose de très festif et en même temps de très douloureux, très nostalgique.
Qu’est qui vous a touché dans l’écriture d’Hanokh Levin?
J’ai été touché par cette écriture parce qu’elle a un humour très fort, universel et en même temps une espèce de tendresse sur l’humanité splendide.
Vous avez une expérience de metteur en scène de théâtre ET d’opéra: ce cabaret , c’était l’occasion de réunir ces deux types de direction?
Il faut se méfier de la musique car elle a un pouvoir évocateur émotionnel plus directement fort que le théâtre. Dans le texte, il y a un travail à faire chez le spectateur pour aller vers l’acteur, pour l’écouter, alors que la musique a une force émotionnelle immédiate. Et en même temps, c’est tellement beau la présence physique de musiciens sur le plateau qu’effectivement, dans les dernières mises en scène que j’ai faites, dans les Histrions par exemple, il y avait des musiciens sur le plateau, l’an dernier pour les Règles du Savoir Vivre, j’avais un trio de musiciens aussi. J’avais envie de creuser une forme de théâtre un peu hybride où le théâtre, la musique, la danse, le chant seraient convoqués.
Quelle est votre conception du théâtre?
Je conçois le théâtre comme un moment de cadeau et – même si j’aime beaucoup d’autres formes de théâtre ,comme celle par exemple du Déjeuner chez Wittgenstein dans lequel je joue- dans la forme de théâtre que j’ai envie de défendre, on essaie de créer une interactivité avec le public. Alors il y aura des surprises, des cadeaux offerts et partagés. L’objectif est de retourner au caractère exceptionnel et unique de la représentation avec presque l’idée que l’on joue une pièce ce jour-là pour ces gens-là.
L’an passé, les Règles du Savoir Vivre comptaient dans leur distribution trois comédiennes et de nombreux élèves du Conservatoire Dramatique de Montpellier…et cette année?
Dans les Règles du Savoir Vivre, on avait trois comédiennes professionnelles – qui étaient sorties toutes les trois de l’ENSAD il y a plusieurs années – et puis des musiciens et puis de la figuration qui était proposée par les élèves de 2ème année de l’ENSAD. J’espérais déjà pouvoir monter un projet avec eux en 2012. Cette année, il y a quatorze élèves sortants de l’école et l’an passé avec eux, on a travaillé sur l’oeuvre d’Hanokh Levin, sur une pièce notamment qui s’appelle L’Enfant rêve et des petits sketches. On s’est dit qu’on allait tenter de monter une forme cabaret. Dans ces Numéros, ils sont donc acteurs à part entière – et ils ont le talent pour l’être! Il y a aussi un quintet de musiciens dont un chanteur lyrique qui se nomme Eric Perez.
Vous êtes aussi issu des Conservatoires nationaux de Région de Bordeaux et de Montpellier. Travailler avec des jeunes comédiens, c’est par nostalgie, challenge, plaisir de la pédagogie ou de la transmission?
Déjà comme élève à l’école, j’animais des ateliers; un peu plus âgé, j’ai monté des compagnies avec des copains et après j’ai toujours travaillé avec des gens qui ne se disaient pas metteur en scène mais chef de troupe . Je me considère un peu comme ça, comme quelqu’un qui a envie du collectif et il y a l’idée d’un travail de groupe. Quand j’avais monté les Histrions, j’avais réuni vingt comédiens qui étaient de ma génération , et effectivement une génération raconte quelque chose, et quand ils s’étaient retrouvés sur le plateau, il y avait un esprit de troupe. Je suis assez sensible à cet esprit de groupe et avec des gens en formation , il y a un esprit collectif qui est beaucoup plus disponible qu’avec une distribution avec des stars. Et puis, je me considère d’abord comme un acteur qui met en scène des projets qui lui tiennent à coeur. Je ne mets pas en scène un projet tous les ans alors je veux que ce soit un évènement humain, un partage, une aventure humaine assez belle.
C’est un cabaret dans le sens que c’est quelque chose qui est vraiment donné au public; on n’est pas dans un quatrième mur, le public fait parti de l’aventure.
Vous avez évoqué la présence du clown dans cette mise en scène. Y-a-t-il des figures particulières qui s’imposent à vous lorsque vous évoquez cette figure du clown?
Dans le dernier numéro du spectacle, on travaille sur le clown. Il y a tellement de formes de clowns…on se réfère pas à une figure en particulier. Dans le jeu de l’acteur, il y a des moments clownesques. Je travaille en fait sur plusieurs codes de jeux.
En tant que comédien, quels projets pour la suite?
Je fais un petit break. J’ai beaucoup tourné cette année avec Radio Clandestine de Ascanio mis en scène par Dag Jeanneret, la création du Malade Imaginaire de Molière mis en scène par Renaud-Marie Leblanc,, Déjeuner chez Wittgenstein ce Thomas Bernhard mis en scène par Frédéric Borie . Avec cette grosse saison de jeu et cette mise en scène, j’ai envie de me consacrer un peu à l’enseignement… avant de rejouer évidemment!
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Dates des représentations:
Du 8 au 26 juin ( relâche les 10,15,20 et 21) 2012 au Printemps des Comédiens ( Montpellier)