Station Service : le road-movie passionant et touchant d’Anne Bourrel

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Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / C’est un plaisir que d’accueillir tout autant que de lire Anne Bourrel qui nous propose un roman dont elle seule a le secret. Ça se passe dans un bordel, près d’une route, sur un parking ou quelque part sur la banquette arrière d’une voiture. C’est à la fois cruel, violent et tendre. Anne Bourrel trace ses personnages comme on tente de reconstituer un itinéraire. Station Service est un roman qu’il faut lire à la mesure de ce qu’il est : un road-movie passionnant et touchant.

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C’est d’abord le titre qui interpelle le lecteur. Énigmatique, délibéré, ou spontané ?
Le titre est rarement le premier élément auquel je pense lorsque j’entame un nouveau travail. Pour ce roman, j’ai écrit les cent premières pages sans vraiment m’en préoccuper. De temps en temps, je faisais des listes mais rien de convainquant ne me venait. Il fallait trouver quelque chose de simple et représentatif du texte. Finalement, j’ai pris un peu de temps pour vraiment y réfléchir et c’est là, que « Station-service » est apparu ; je n’ai pas hésité.

C’est un road-movie limité géographiquement finalement à quelques kilomètres au cœur de la zone frontalière franco-espagnole.  Ona cependant l’impression en le lisant que les personnages sont projetés dans un long voyage où aucun point de chute n’est vraiment programmé. Qu’est-ce qui vous a décidé à choisir ce cadre géographique qui est à lui seul un personnage ?
J’ai choisi de faire évoluer mes personnages sur l’autoroute de la Jonquera à Toulouse, en passant par la nationale 113 et le village de Capendu, près de Carcassonne. Il y a 135 kilomètres entre La Jonquera et la station-service et 150 kilomètres environ jusqu’à Toulouse. Cette ligne est une cicatrice sur ma géographie intérieure.

Vous abordez le thème délicat de la prostitution en mettant en scène une jeune étudiante, Bégonia qui connaît les affres d’un monde violent et glauque. Malgré l’horreur de sa situation, l’espoir ne s’évapore jamais de la voir s’en sortir. Bégonia n’incarne-t-elle pas à elle seule une allégorie du courage ?
L’horreur de ce que vit Bégonia au Grand Madam’s pourrait en faire un personnage très malsain mais, non, elle garde du recul, toujours, sur les choses et le monde qui l’entoure. Bégonia observe. Elle regarde, elle enregistre et c’est par elle que le récit se fait.
Ce personnage m’a permis de mettre en avant le manque d’à-propos des parents de Marielle qui ne sachant rien du mal et de la perversité, n’ont pas été capables d’intervenir pour guérir leur fille de ses innombrables fugues.
Bégonia en sait suffisamment sur le sujet pour agir et voir ce qu’aucun autre personnage ne parvient à voir et en ce sens, oui, elle incarne une certaine forme de courage.
Cependant, je voudrais que l’on s’interroge sur ses actes. Est-ce moral de tuer, dans les circonstances données ? Je ne le crois évidemment pas mais je voulais mettre le doigt sur le danger qu’il y a de toujours cacher les choses qui font mal. On préfère arrondir les angles et on finit par causer bien plus de dégâts encore. L’explosion menace l’étouffement. J’ai voulu en donner une illustration au stabilo.

Vous décrivez les codes d’un milieu lié au banditisme et au proxénétisme au travers de deux malfrats. Ils sont au début les geôliers de Bégonia puis au fur et à mesure que le récit avance, on perçoit une intimité que se tisse entre eux. Lors de leur séjour à la Station Service, on pourrait même les penser amis. Aviez-vous prémédité ce scénario ?
Je n’avais qu’un fil narratif très mince. Un début, une fin, une forme. Les personnages ont suivi des logiques autour de ce ruban. C’est comme cela que je préfère travailler, sans préméditation, à l’aventure. Quant j’écris un roman, je deviens architecte. Il faut visualiser tous les détails en plus de la structure, et ajouter des odeurs, des sons, voir plus qu’on ne dit afin que les personnages s’animent et prennent vie.

L’arrivée dans le trio de la petite fille fugueuse ne coïncide-t-elle pas avec le besoin de fuite des trois personnages ?
L’arrivée de Marielle, la grosse gamine mal coiffée, c’est l’entrée en scène du romanesque. Sans ce choc entre deux mondes qui n’avaient à priori rien de commun, pas de narration, pas d’histoire. En tous cas, pas celle que je vous donne à lire.

Station Service est un roman passionnant sur la Rédemption. Cette Station service n’est-elle pas finalement le point de chute qui permet ce changement et où tout se joue pour les personnages ?
J’entends souvent les héritiers du Nouveau Roman et du structuralisme fièrement affirmer que le roman est mort. Longtemps galvaudé, le terme doit être réhabilité. Le roman, qui a une histoire si bien ancrée dans notre culture occidentale demeure au contraire, polymorphe et aujourd’hui universel, une forme idéale de la pensée et de l’art, riche de toute modernité.
Parfaites pour le genre romanesque, les stations-service sont des lieux de passage, de mouvements incessants et désordonnés où toutes sortes d’histoires ont lieu, tout le temps. J’ai passé mon enfance dans une station au bord d’une nationale ; vous n’en serez sans doute pas étonné ! Chaque dimanche, à la table familiale, on aimait se refaire le film, se raconter les anecdotes de la semaine, les clients drôles, les situations cocasses, on riait beaucoup.
Je suis retournée voir cette station-service il y a quelques années. Elle a été presque entièrement rasée. Il ne reste que quatre pompes en automatique, dos à dos. A la place de la salle à manger, là où on rigolait tellement, il n’y avait qu’un terrain plat et vide. Un trait fluo mental a reconstitué la maison, le bureau, la cafétéria, la piste et le parking. J’ai voulu repeupler les lieux avec une autre famille, d’autres voix, d’autres histoires pour que, malgré la destruction, le lieu continue encore un peu de vivre.
Je n’ai donc pas vu la station comme un point de chute mais au contraire comme un point de départ. C’est là que tout peut avoir lieu, c’est de là que tous les personnages sont issus. La station-service est une matrice.

Dans Station Service, Bégonia vit un parcours initiatique profond et formidable jusqu’à son histoire d’amour avec Ali. Était-ce l’idée de départ ?
Ali Talib est apparu de dessous mon clavier de manière tout à fait inattendue, pendant ma résidence d’auteur à La Laune, en Camargue. Il était absolument irrésistible, un regard noir très velours, beaucoup de douceur silencieuse et d’intelligence. Il était parfait pour Bégonia et vraiment capable d’entrainer le récit ailleurs, dans une zone lumineuse qui venait faire un contrepoint à la noirceur de la Jonquera.
Je demeure très attachée à Ali Talib, j’aimerais qu’il revienne visiter mon imaginaire. Peut-être dans un autre texte.

Peut-on dire que Marielle, la petite fille, est le personnage qui fait tout basculer et qui apporte au trio la chance d’une vie nouvelle ?
Je voyais la chose autrement : dans la mécanique du roman, c’est le trio et surtout Bégonia, qui permet à Marielle d’accéder à un statut de personnage. Sans eux, sans le regard de Bégonia, Marielle n’aurait été vue par personne, elle n’aurait pas existé.

La Station Service n’est-elle pas finalement le lieu de toutes les révélations et de tous les pardons autant qu’elle est le passage obligé près de la frontière au-delà de laquelle les personnages ont tenté d’abandonner leur passé ?
Tous les personnages ne vont pas réagir d’une manière identique à leur passage à la Station. Un même événement n’aura pas un retentissement équivalent sur un groupe de personnes qui l’aura vécu en commun.
Tout se révèle à la station, mais rien ne se pardonne, absolument rien. C’est plutôt la question de la vengeance qui anime tous ces personnages.
Je ne pense pas que le trio ait essayé d’oublier qui ils sont et ce qu’ils ont fait. Ils n’ont pas de sens moral, ce sont des brutes ignorantes. S’ils mentent, c’est pour mieux se cacher et ne pas se faire prendre. S’ils s’arrêtent à la station, c’est parce qu’ils s’y trouvent bien. Ça leur fait des vacances. Et puis Bégonia se prend pour une justicière. Elle accomplit ce qui, selon sa logique, doit être accompli.

> Le site de l’éditeur

> Le site d’Anne Bourrel

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