Thomas Chagrin : La folie pulsatile d’une Amérique qui se perd

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Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Crédit-photo: Marc Ginot/ Thomas Chagrin est à la fois une pièce brutale, sensible, onirique et poétique. Mais elle est par-dessus tout profondément américaine.

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L’écriture du jeune dramaturge Will Eno répond en écho à la littérature frénétique de la Beat Generation des années 60 aux USA. Ca crépite, ça danse, ça crie, ça se tait, ça reprend, ça gueule et ça se radoucit. Thomas Chagrin est à la fois Dean Moriarty, William Burroughs, Allen Ginsberg ou Jack Kerouac. Il est à la fois survolté, désespéré, violent, sensible, romantique, salace et désabusé. Il est la figure beat par excellence exhumée du siècle dernier depuis une gare de trillage de Des Moines. Le texte a la raideur du Middle West et la poésie sensible de la Côté Est. C’est à ce titre que l’écriture de Will Eno semble emprunter à Paul Auster  la puissance des cercles concentriques d’une vie qui s’égare dans la folie, le questionnement, la réflexion et la passion. Est-ce l’influence de la Ville Monde qu’est New York d’où est originaire le dramaturge qui nous propulse petit à petit avec le narrateur dans sa propre folie comme l’a fait Paul Auster dans la Musique du Hasard ?
Thomas Chagrin, magistralement interprété par le jeune comédien Adrien Melin est d’une intelligence redoutable tout autant que l’est sa fragilité face aux événements et à la situation qu’il subit. Thomas Chagrin occupe l’espace, traverse le plateau dans toutes ses longueurs et ses largeurs tentant de reprendre son souffle tout autant qu’il tente de suivre le fil de ses idées. Et le chagrin qui suinte de tout son personnage et de tout son être n’est-il pas finalement la résurgence d’une profonde remise en question de ce que Thomas tente d’exprimer et de comprendre ? A la seule différence des personnages de la Beat Generation, Thomas Chagrin se balade, déambule et zone dans un costard cravate froissé, s’adressant tour à tour au public et à un auditoire invisible, plus lointain, insaisissable. Il s’énerve, se crispe, éructe, vocifère, se calme, tente de reprendre ses esprits, lance des boutades, retourne d’où il vient, puis finit par aller se chercher un verre d’eau. Mais au fond, Thomas Chagrin n’incarne t-il pas à lui seul les espoirs déçus de millions d’individus qui ne croient plus à ce qui faisaient la force et l’aura du rêve américain? Thomas Chagrin n’est-il pas l’un de ses millions d’américains de la classe moyenne qui tente tant bien que mal de faire front à ce qu’il considère être la déchéance de l’existence idéale telle qu’elle était conçue outre Atlantique ? Thomas Chargrin n’est-il pas tout simplement la fin du rêve américain ?
De la même façon que les écrivains Eric Puchner ou Well Towers, Wil Eno semble mettre en scène la folie pulsatile d’une Amérique qui se perd, qui s’égare et qui n’est plus en mesure de promettre  le ferment essentiel de toute existence humaine : le rêve. Le jeune comédien Adrien Melin tient à merveille le rôle de Thomas Chagrin qui demande une grande exigence dans le jeu tant le personnage est aussi complexe que frénétique, désespéré autant que possédé et qu’il doit évoluer dans un très petit espace circulaire. Quant au public, il est embarqué dans le monologue et devient rapidement un personnage à part entière qu’il faut savoir conduire et diriger à une juste mesure. Grâce à un savant dosage de talent et d’intelligence, Adrien Melin mène avec finesse son personnage tout autant qu’il lui laisse la parole. La mise en scène de Gilbert Désveaux s’accorde parfaitement à ce qui fait l’atmosphère et la gravité du propos.  Pensé sur un décor sobre et intéressant ( il y a tout de même quelque chose de la Nouvelle Orléans sur cette idée de caisses empilées et éclairées par un réverbère où Thomas Chargin trouve du réconfort), le personnage a toute la place pour répondre à des idées qui sont justes, qui surprennent, qui enchantent, et qui finissent par apprivoiser le spectateur tout en le mettant au plus près de Thomas Chagrin avec qui il aurait presque l’impression de discuter. Cette pièce est à la conjonction parfaite du théâtre, de la littérature et de la poésie. En ce début d’année, le Théâtre des 13 vents nous propose une vraie pépite théâtrale sur laquelle il serait terriblement dommage de faire l’impasse.

Thomas Chagrin de Will Eno – Mise en scène par Gilbert Désveaux – Adaptation française ( USA) Jean-marie Besset – Avec Adrien Melin – Du 1er au 9 février 2012 au théâtre des 13 vents ( Montpellier)

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