Mirabeau : l’interview d’outre-tombe

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Par Harold Cobert – bscnews.fr / Je fréquente Mirabeau depuis de nombreuses années. Les circonstances de notre rencontre seraient trop longues à exposer ici, mais j’entretiens avec lui un dialogue soutenu et régulier. Aussi me suis-je dit que faire de lui une interview post-mortem au sujet de son ouvrage le plus sulfureux, Ma conversion ou le libertin de qualité, ne serait peut-être pas une mauvaise idée.

propos recueillis par

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Votre roman s’ouvre par ces lignes : «Jusqu’ici, mon ami, j’ai été un vaurien ; j’ai couru les beautés, j’ai fait le difficile. À présent, la vertu rentre dans mon cœur ; je ne veux plus foutre que pour l’argent ; je vais m’afficher étalon juré des femmes sur le retour, et je leur apprendrai à jouer du cul à tant par mois».
Un gigolo, donc, comme vous diriez aujourd’hui !

Pourquoi avoir choisi ce type de personnage ?
Pour pouvoir critiquer et dénoncer le vice de toutes les couches sociales de l’époque.

C’est-à-dire ?
Contrairement à l’impression de désordre, d’anarchie et de simple gaudriole que l’on pourrait tout d’abord ressentir à la lecture de ce roman, celui-ci est extrêmement construit. Ma conversion procède en effet d’une succession de tableaux, d’une véritable galerie de portraits agencés dans un ordre précis, où se succèdent, pour l’essentiel : la financière, la négociante, la dévote, la prude, la Présidente, l’Américaine, la vieille aristocrate, la jeune noble citadine d’apparence vertueuse, les femmes de cour, la favorite, une abbesse et une grande partie des bonnes sœurs de son abbaye (des temples de la vertu comme écoles du vice), l’aristocrate de province, la jeune paysanne apparemment ingénue, les actrices, le père Ambroise (utilisant son statut de directeur de conscience pour abuser du corps de ses jeunes brebis repentantes), l’épouse, etc. De plus, l’ouvrage se divise en deux parties distinctes, structurées autour d’un passage clef, où notre libertin de qualité se recueille dans un jardin – métaphore classique au XVIIIe siècle de l’ordre social et du pouvoir politique. Dans la première, le narrateur s’élève un peu plus à chaque conquête dans l’échelle sociale. Dans la deuxième, aux allures de ce roman picaresque, il part battre les provinces et les campagnes, et mesure à quel point le vice, dont il a constaté l’omniprésence à Paris, s’est infiltré dans les moindres recoins de l’hexagone, même les plus reculés. Le vice a pénétré partout, il règne en maître sur les âmes et les corps. De retour à Paris, notre libertin s’essaie même au mariage pour tenter d’y échapper. Tentative nulle. Il se sépare de sa « femme » et reprend une vie de débauche encore plus effrénée qu’auparavant, bien décidé, un fois trépassé, à aller « foutre chez les morts ».

Ma conversion serait donc une sorte de Candide à rebours, un Voyage au bout de la  nuit avant la lettre ?
Je n’avais pas pensé à ce bon vieux Voltaire en écrivant ce livre, encore moins à Céline, mais, oui, on peut voir les choses de cette manière. Car notre libertin de qualité ne va pas d’infirmation en infirmation comme le jeune Candide, mais de confirmation en en confirmation. Il ne part pas courir le monde et les beautés pour être détrompé de certaines illusions ou certaines idées fausses qu’il aurait reçues pour véritables, mais pour confirmer ses convictions. Même les deux seules figures qui semblent de prime abord pures et vertueuses, placées d’une manière rigoureusement symétrique dans le roman par rapport à l’axe centrale que constitue le jardin – Julie, la jeune noble citadine, et Nanette, la jeune paysanne –, n’apparaissent lumineuses qu’à la manière de deux chandelles vacillantes. Une fois éteintes, parce que consommées par le narrateur et s’avérant d’autant plus corrompues qu’elles semblaient ne pas l’être, elles augmentent la noirceur et l’obscurité qui planent et s’abattent sur l’ensemble de l’ouvrage.

En quoi ces deux figures sont-elles la preuve définitive que le vice triomphe de tout et que toute la société française du XVIIIe siècle est corrompue ?
L’épisode de Julie montre que l’innocence et la vertu ne peuvent résister à la tentation et aux appâts du vice. Celui de Nanette, en le prolongeant, montre que l’innocence et la vertu sont non seulement impuissantes face au vice, mais surtout qu’elles ne sont qu’un leurre d’apparat, une idée abstraite, virtuelle diriez-vous aujourd’hui, fausse, sans aucune réalité ni existence effectives. En effet, lorsque notre libertin est à la campagne, loin de Paris – et donc plus proche de la Nature, supposée originellement et par essence vertueuse, Rousseau oblige –, il est presque enclin à des sentiments purs et sincères, parce qu’ému par la simplicité de Nanette. Mais cette dernière s’avère au final aussi rouée et corrompue que n’importe quelle petite maîtresse citadine. C’est un brutal retour à la réalité. D’autant plus brutal que, vivant plus proches de la Nature, loin des tentations et de l’hypocrisie des grandes villes, on aurait pu espérer, ou du moins supposer, que les jeunes filles des campagnes en fussent épargnées. La nuit se referme. Retour à Paris et à la débauche, seule issue possible dans un monde corrompu de part en part.

Dans votre correspondance avec Sophie de Monier, vous écriviez au sujet de Ma conversion : « Tu ne saurais croire combien ce cadre, qui ne semble rien, amène de portraits et de contrastes plaisants […] ; c’est une bonne charge et un vrai livre de morale. » Un « vrai livre de morale », vraiment ?
Bien sûr ! Une peinture négative du vice, une caricature de la corruption des mœurs pour mieux la dénoncer, une gigantesque contrefision dirait la rhétorique [mot barbare qui signifie simplement un conseil ou une invitation ironique que l’on invite implicitement à ne pas suivre]. D’autant plus que, par les effets du procès de lecture pornographique, le lecteur ne peut que ressentir physiquement de l’aversion pour ce genre de pratique et de comportement, et donc l’abhorrer et le désapprouver. Si Ma conversion est un ouvrage subversif, ce n’est pas dans le sens où il inviterait à la débauche, mais parce qu’il subvertit le genre pornographique en le détournant de la simple production d’un effet de désir chez son lecteur pour procéder à une véritable dénonciation en règle de tous les dysfonctionnements sociaux.

C’est donc en ce sens que cette pornographie est politique ?
Elle est politique au sens étymologique du terme, mais également parce que mon narrateur s’élève dans l’échelle sociale jusqu’à devenir le favori de la favorite du roi et obtenir une sorte de ministère où il distribue places et avantages sans en avoir ni les compétences ni l’ascendance ; preuve de la dégénérescence de la monarchie française pour laquelle l’intérêt du peuple et de la nation n’est qu’une considération lointainement secondaire. Une manière de dénoncer les abus et les dérives arbitraires du pouvoir par le petit trou de la serrure, pour ainsi dire…

Que diriez-vous aux lecteurs du BSC News pour leur donner de lire Ma Conversion ainsi que vos autres œuvres du second rayon ?
Je leur dirai ce que le narrateur de Ma conversion écrit dans son épître dédié à « Monsieur Satan » et signé « Con-Désiros » : « Vous serez instruit de quelques tours de bissac où, tout fin diable que vous êtes, vous auriez eu un pied de nez. Mais que votre chaste épouse n’y fourre pas le sien ; car aussitôt cornes de licornes s’appliqueraient sur votre front séraphique. (…) Puissent les tableaux que j’ai l’honneur de mettre sous vos yeux ranimer un peu votre antique paillardise. Puisse cette lecture faire branler tout l’univers ! »

Ma conversion ou le libertin de qualité, Lectures amoureuses de Jean-Jacques Pauvert, La Musardine, 8€.
Œuvres érotiques de Mirabeau, L’Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 24,50€.

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