Stéphane Poulin : de l’art de chevaucher la licorne

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Par Maia Brami – bscnews.fr / « Le monde de la réalité a ses limites ; le monde de l’imagination est sans frontières. » Jean-Jacques Rousseau. Paris, 3 novembre, attablée au Café Daguerre, je guette l’arrivée de l’illustrateur québécois Stéphane Poulin — considéré comme le plus grand talent de sa génération, deux fois lauréat du Prix du Gouverneur Général du Canada — qui co-signe ce mois-ci avec le poète Carl Norac, Au pays de la mémoire blanche, un album somptueux aux éditions Sarbacane. Dehors, le ciel est bas et des camions livreurs piétinent. Le lieu est mal choisi. Trop bruyant. Je relis mes notes, caresse la couverture du livre, me lève une fois ou deux pensant l’apercevoir, m’inquiète, appelle l’éditeur afin de récupérer le numéro de mobile de l’attachée de presse, tapote les chiffres sur le clavier de mon vieil I-phone, tombe sur quelqu’un qui n’a rien à voir, m’excuse et raccroche. Le voici enfin. Je lui tends une main, il me tend sa joue en rigolant, je lui donne du « vous », il me demande de le tutoyer.

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Assis devant un jus d’orange, qui n’en a ni la saveur ni l’aspect, nous entamons la discussion. Une heure d’échange passionnant, un dialogue en état de grâce, sans conteste mon plus bel entretien en dix ans. Subtile et enivrante maïeutique, où l’essentiel se dégage au-delà des questions et réponses, où, entre nous, le livre comme un ciel reflète et éblouit par ses nuances infinies. Je lance des pistes, m’essaie à des interprétations, répète mon émerveillement et en face, Stéphane Poulin acquiesce, s’étonne, jubile, lève les sourcils intéressé. Quel bonheur de pouvoir rendre ce qu’il m’a donné !

Galvanisée par notre rencontre, je le quitte impatiente d’aller retranscrire l’entretien. Une fois chez moi, j’allume mon magnéto : la bande est muette, le fichier vide, tout est perdu, « mémoire blanche », amnésie. Quelle ironie ! Je hurle, j’essaie de faire parler la machine, pleure de colère et de tristesse à l’idée d’avoir perdu les mots de Stéphane Poulin, nos voix tissées, l’ensemble et le détail, ses intonations, son accent, ses expressions typiquement québécoises, ses citations littéraires, tout, tout, tout. Je suis accablée comme la fois où mon ordinateur m’a effacé le chapitre d’un roman en cours, je me sens volée, trahie, désespérée de ne pouvoir conserver à jamais l’intégralité de cette discussion, jusqu’aux respirations et aux silences. Au téléphone, je me déverse à des oreilles amies, qui me répondent : « Tout est là, Maïa, tout est dans ta tête, fais-toi confiance ! ». J’allume mon ordinateur et bégaie des mots, noir sur blanc. Me revient alors cette phrase : « Je voulais une typo en blanc sur noir, des mots qui percent la nuit comme des étoiles. »

L’aboutissement du rêve de sa vie
L’homme est longiligne, élégant. Habillé dans des tons gris brun vert indéfinissables, on le dirait sorti de son album. Il porte veste, gilet et montre …

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