Jacques Allaire

Jacques Allaire: l’engagement artistique dans la liberté pour quoi faire?

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Propos recueillis par Julie Cadilhacbscnews.fr / photo Marc Ginot /Jacques Allaire est comédien et metteur en scène. Il a joué notamment sous la direction de Dag Jeanneret, Alain Béhar, Jean-Marc Bourg, Jean-Claude Fall et Patrick Sueur. Son parcours de mise en scène l’a conduit en 2010 à monter Les habits neufs de l’empereur d’après Andersen à la Comédie Française, spectacle sombre et muet qui a été encensé par la critique. Dans La liberté pour quoi faire? ou la proclamation des imbéciles d’après Georges Bernanos, dans un duo avec Jean-Pierre Baro, il est son propre metteur en scène, exigeant autant que généreux.

propos recueillis par

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Rencontrer Jacques Allaire, c’est se confronter à l’exaltation et à l’engagement artistique à l’état pur. Entier et passionné dans ses propos, on est happé lorsqu’il raconte le cauchemar poétique qui est à l’origine de son spectacle. Voici donc la conversation d’un homme de théâtre dont le verbe fourmille d’aphorismes et qui use des mots des grands classiques comme d’un matériau malléable pour créer des toiles théâtrales qui éclaboussent d’émotion. Entendre son flot d’idées enthousiastes ou indignées, ses explications de ses carnets de croquis, bref partager le temps d’un café ( ou deux?) le plaisir de La Création, se confronter à Celui qui est toujours en querelle, l’idéalisme chevillé au corps, c’est véritablement une expérience passionnante dans laquelle nous vous invitons avec plaisir à embarquer et que nous vous restituons par touches de couleur….

Un titre provocateur et interrogatif: « La liberté pour quoi faire? »: Une pique lancée aux héritiers de la révolution de 1789 qui n’ont pas su se servir de ce soulèvement collectif?
Très exactement, c’est une phrase qu’a prononcé Lénine et que reprend Bernanos. J’ai travaillé à partir de deux textes de Bernanos: La liberté pour quoi faire et La France contre les robots qui a un titre de science-fiction, certes, et, dans une certaine mesure, c’en est un puisque Bernanos , lorsqu’il l’écrit, le projette comme étant notre devenir. Il écrit cela en 1947 donc nous, contemporains, sommes les personnages de La France contre les robots. Ce texte- pamphlet a provoqué une onde de choc et Bernanos a du prononcer une série de conférences pour s’expliquer parce qu’on lui demandait pourquoi il avait eu de tels propos, on les jugeait choquants etc.. et c’est devenu La liberté pour quoi faire. Un texte qui a une force qu’on dit prophétique; je ne crois pas que ce soit vraiment la question mais on peut parler de ça quoiqu’il n’invente rien: il décrit ce qu’il voit et c’est juste qu’il voit simplement un peu plus loin que le bout de son nez.

Un écrit visionnaire?
On le qualifie souvent de visionnaire dans la mesure où aujourd’hui tout est fait pour que les gens ne voient pas plus loin que la page de journal, l’image télévisée, ou le commentaire, qui ont déjà été bien préparés à l’avance. Aujourd’hui toute pensée rentre bien dans un moule et est généralement bien constituée dans le mode libéral – droite-gauche confondus. Les partis politique dominants – et je ne dis pas que les autres sont meilleurs- produisent un schéma organisé qui suit un seul et même chemin; tout le monde est d’accord à l’avance . Ils sont tous d’accord sur la maladie, ils discutent juste les remèdes ;moi je ne suis pas d’accord sur la maladie . Alors je me suis reconnu comme un frère en lisant Bernanos… oui, c’est comme cela que ça s’est passé.

La proclamation aux imbéciles…
La seconde partie du titre n’est pas de Bernanos à part le terme « imbéciles ». Bernanos parle de nous et de lui-même. Ce n’est pas lui qui serait supérieurement intelligent, sous-entendu qu’il y aurait des gens supérieurs et des gens inférieurs auxquels il dirait  » vous êtes des imbéciles ». Non, c’est comme on parlerait du siècle, la civilisation du XXIème siècle. Lui il appelle ça la civilisation des imbéciles et il dit qu’on est en train de constituer un peuple d’imbéciles.Or on est en 1947, au moment où tout le monde se réjouit – à juste titre- de la fin de la guerre et de la fin probable des fascismes – sous-entendu qu’on attend de s’être débarrassé de l’allié russe et du communisme et comme cela, après, on sera tranquille et le monde libre s’ouvrira enfin. Qu’est-ce que c’est qu’un monde libre? c’est le monde dans lequel nous vivons donc ce n’est pas un monde libre, c’est un monde libéral. C’est cette confusion qui est très dangereuse et qui est capitale car c’est par ce jeu sur les mots qu’est organisé le monde d’aujourd’hui. Bernanos dit à cette époque-là « bandes d’imbéciles, vous vous réjouissez mais vous mettez sur pied une civilisation qui détruira beaucoup plus de monde que les fascistes dont vous vous êtes débarrassés ; vous êtes aussi totalitaire que les fascistes. » Il parle d’une économie totalitaire et d’un monde concentrationnaire en parlant du monde libéral. Bernanos, de même, à la fin de la première guerre mondiale, quand on signe la paix, dit  » bandes d’imbéciles, vous venez de signer la prochaine guerre. » Certes, il n’était pas le seul à le dire même s’ils n’étaient pas nombreux non plus.

Faire réagir les gens
C’est venu de là mais pas dans le sens où je me sentais une mission particulière. Le spectacle est né du constat d’une souffrance et puis d’une querelle. Moi, je suis toujours en querelle. Depuis que je suis né. C’est comme ça; y’en a d’autres qui font du sport, moi je suis en querelle. Je suis en querelle avec le monde dans lequel je vis. Toujours eu envie de me battre ,pas me battre physiquement mais idéologiquement. J’ai toujours été en opposition. Je ne suis pas contre pour être contre. J’ai mon meilleur ami qui s’est suicidé et ça a été un déclencheur radical. Ce qui m’a terrorisé, c’est que quelques heures avant, il cherchait du travail dans le sens où il mettait sur pied une production; c’était un metteur en scène et il avait beaucoup de mal à avoir des réponses; c’est un métier très difficile. Cette histoire tragique et puis la question du chômage.Aujourd’hui les gens qui n’ont pas de travail, on les accuse alors qu’on est dans un chômage de masse donc il n’est pas circonstanciel. Depuis le XIXème siècle, nous sommes dans un système qui produit du chômage et on fait croire aujourd’hui que la crise est un accident.Je ne suis pas d’accord; la crise est structurelle et il en aura d’autres comme il y en a eu avant. Faire croire aux gens qu’on est dans un truc comme ça qui nous est tombée sur la tête comme la foudre, c’est se foutre de la gueule du monde. Les gens qui disent ça sont des gens dangereux, qui font peur comme les gens qui ne savent pas conduire et qui conduisent trop vite.

La rencontre avec le texte
Les mots de Bernanos ont eu un écho brutal parce que très inattendu, non pas pour leur intelligence mais parce qu’ils émanaient d’un poète. Ce n’est pas simplement une force de réflexion visionnaire mais une langue tendue à bloc. Il y a un style qui n’est pas celui d’un critique, ce dont je voulais me départir. Autant je parle comme ça, autant je ne fais pas de démonstration sur un plateau. J’essaie d’exercer un art mais je me nourris de ça. Je lis les textes et puis je ne prends que ce qui m’intéresse dedans. Je ne suis pas là pour expliquer le texte non plus.

Le cauchemar
Ma manière de fonctionner,c’est de faire le cauchemar de tout ce que j’ai gardé. Ce n’est pas une image, je fais vraiment le rêve de ce que je suis en train de travailler; je vais chercher dans le texte son fondement, son sentiment. Des rêves aux dessins…

Dans le carnet de Jacques Allaire

Je ne fais pas du théâtre social, politique dans le sens d’un parti politique mais je suis un être politique et je pense que tout le monde l’est. Je ne rentre pas dans l’explication, je veux savoir où est le suicide de Bernanos, où est l’élément fort qui produit l’écriture. Je ne suis pas un enquêteur, je cherche de moi-même ce qui fait qu’il y a des résonances et à partir de là je me mets à dessiner.On a commencé à lire des passages du texte de façon aléatoire et l’on faisait un choix de ces pages par un système de tamis permanent. Là me sont apparus très clairement des textes qui allaient ensemble. Une série de tableaux est née d’abord sur le papier que j’ai nommés de façon plus ou moins énigmatique : les lampes de poche, la propagande, la parole sincère, Icare, le cri, le mât de Cocagne, la Chute, le Christ, le Sacrifice, les écorchés, les lapins… J’ai dit aux gens avec lesquels j’allais travailler  » Voilà, dans cette pièce, il y aura des lapins et ils porteront une parole de propagande. » La fiction a lieu par la superposition avec des techniques de collage: diffraction du temps, déstructuration de l’espace, rupture de la chronologie: c’est un langage qui se pratique en arts plastiques. C’est une technique de langage très pictural, le collage. Il n’y a pas de chemin discursif et logique. Je travaille à l’abstraction même si ce que je fais est absolument concret puisque je parle du monde dans lequel je vis et que je m’adresse aux gens.La liberté pour quoi faire?

Sur scène concrètement
Je refuse d’être un acteur qui viendrait agiter son nombril sur une scène. Je ne mets en scène que parce que j’ai quelque chose qui me paraît essentiel à raconter, à dire. Et je donne à cette chose, à ce propos,une forme extrêmement éloignée de tout naturalisme, de tout réalisme. Lorsque cela est livrée à la représentation, c’est donné à vivre comme un objet à part entière. Et après les gens en font ce qu’ils veulent. Il n’y a pas de début, de milieu et de fin; il n’y a pas de personnages et ils n’ont pas de nom. On change de vêtements très régulièrement, c’est très théâtral. J’ai utilisé les techniques foraines des bateleurs qui rabattent le monde, je mets en place des moments physiques d’une difficulté extrême, j’utilise le clown, par moments on danse comme dans une comédie musicale. C’est un travail très généreux où l’on ne rechigne pas au travail pour arriver à ma vision exacte. Le travail de l’acteur, c’est de faire. C’est mieux que jouer le spectacle c’est le vivre. C’est une expérience. Les objets, les hommes, tout a pour moi la même importance sur le plateau. Ils ont tous une présence qui me permet de travailler plastiquement et de former des tableaux. Bon, c’est du théâtre alors je travaille le jeu de chaque acteur, chaque mouvement. C’est proche de la peinture. Je situe le personnage dans le cadre mais je le situe pour de vrai c’est à dire que ce n’est pas une situation anecdotique ou remplaçable: elle est unique.

A l’origine: des constats sur la société qui révoltent…
Le point d’origine, c’est mon enfance…mais ce n’est pas mon enfance qui m’intéresse, c’est qu’est-ce que j’en ai appris jusqu’à ce moment où je suis en colère. Pour les gens de ma génération, la réponse est très simple et pour les précédents, c’est encore plus marqué : le projet de la société à laquelle j’appartiens est de s’élever, d’amener un bien-être supérieur aux êtres et de permettre de vivre mieux ensemble mais pas comme un slogan politique, vivre mieux pour de vrai. Il faut quand même se souvenir qu’il y a quelques années , il y avait encore un ministère du temps libre – aujourd’hui plus personne n’y pense- ça veut dire qu’on a appartenu à une société qui pensait que l’existence avait une valeur telle qu’on pourrait permettre d’organiser mieux le temps libre. Ce temps libre n’était pas pour la consommation, pour acheter.

Sur le banc des accusés: une société de consommation
Aujourd’hui on ouvre des magasins le dimanche pour que les gens aient une occupation tellement ils sont paniqués quand ils n’achètent pas. Provoquer à ce point la nécessité de l’achat est préoccupant. On est dans une consommation telle qu’on en arrive à une consommation cannibale. Nous sommes des individus qui sont constamment dans le besoin, la carotte et les coups de bâton. Avant ce n’était certainement pas mieux, c’était différent car il y avait un projet, celui d’une humanité. Et bien sûr qu’il y avait des échecs et des catastrophes. Début XIXème siècle, après les lois de la désindustrialisation, on se bat pour que les enfants ne travaillent pas à l’âge de huit ans, que les gens travaillent moins pour qu’il y ait des jours de congé dans une semaine de travail. Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui? on augmente la durée de travail, on diminue les salaires et c’est l’entreprise qui fait plus de bénéfices et jamais l’employé qui est récompensé. Il y a des gens qui ne peuvent plus se chauffer, avoir d’eau et on crée des pauvres comme ça et on accuse les pauvres d’être pauvres. Quand j’étais petit, ce n’était pas cette pensée qui animait les gens. Avant on apportait notre sandwich au clochard . Aujourd’hui, on les appelle des SDF.

Les Sans
Quand on dit de quelqu’un qu’il est « sans », ça veut dire que c’est personne. Une absence. Sans Domicile Fixe, Sans Travail, Sans Sans… donc s’il est sans, il n’a besoin de rien. Ce type d’existence ne fait qu’augmenter alors qu’on la dénie, et elle ne fera qu’augmenter puisqu’on produit une économie qui produit de la crise.C’est un mensonge éhonté de dire aux gens que ça n’augmentera pas et qu’ils régleront ça. Ce n’est pas un système qui est fait pour rendre les gens meilleurs, c’est un système qui est fait pour faire de l’argent. Les bandits ont raison de dire que l’argent n’a pas d’odeur. Il est sale de toutes façons. L’argent n’est pas moral, les êtres oui. Dès l’instant où l’organisation du monde se fait par l’argent, c’est terminé. On supportera que des gens crèvent et on l’accepte déjà. Je voulais donc montrer que le monde dans lequel je vis est un monde de consommation permanente. On y construit des rues piétonnes, non pas pour que les gens puissent marcher, déambuler dans la ville et aller au musée, mais parce que ça permet d’ouvrir des magasins. Dans les écoles, on veut supprimer la musique, l’histoire, on a déjà presque supprimé la philosophie. On veut garder quoi? les mathématiques, la logique, l’économie? le message est clair, non? On devrait refuser ces choses-là en disant que c’est une rupture de la vie commune et qu’on rompt le pacte social. J’ai donc pensé à un grand centre commercial et un parc d’attraction. Quelqu’un qui devient Sans est sans quoi? Sans Porte-Monnaie. Il a tout le reste mais il n’a pas un porte-monnaie. Et ainsi de suite, il est Sans domicile, Sans travail et même Sans papier.Les sans sont notre cri et nous, on les a jetés dehors. J’ai eu le sentiment que mon propre cri, en tant qu’artiste, je pouvais l’exprimer alors qu’en tant qu’être humain, c’est difficile.

La révolution française comme idéal
J’appartiens à une génération où l’on nous a enseignés que la révolution française était le point fondateur de notre être moderne et j’ai trouvé ça bien. Or aujourd’hui, on célèbre le 14 juillet mais on n’ y croit pas: on agite un drapeau, on décore un type avec une médaille mais tout ça c’est pour une émission de télévision ou pour acheter des voix pour le prochain tour. On fête toutes les révolutions du moment que les gens sont morts. Avant on les trouve dangereux. J’ai travaillé sur des images de la révolution. Je voulais créer des images qui sont constitutives de l’être humain que je dois être: ça part de 1789 et de ce que j’ai appris et j’ai donc pris le drapeau. Le socle , c’est 1789. Après j’ai choisi quelques révolutions fondatrices de l’être moderne. J’ai pensé à la Commune, qui symbolise l’auto-détermination d’un peuple qui s’est terminée, certes, en bouillie et en massacres mais dans sa mise en pied elle me semble plus remarquable que 1789. Ensuite les guerres de résistance, 14-18, 39-40 et puis la guerre d’Espagne… d’un coup l’ensemble des peuples se sent dans la nécessité de chasser un ennemi commun… c’est comme si aujourd’hui on formait des brigades internationales pour aller ôter du pouvoir tel ou tel dictateur.. mais aujourd’hui ça n’est plus rendu possible; ça n’aurait rien de honteux de constituer une armée du peuple pour aider à la libération d’un pays mais on institutionnalise tout ça pour éviter que le peuple s’en occupe. Ensuite je me suis dit « c’est quoi la révolution moderne? »et je ne la vois pas; c’est la reproduction d’autres révolutions qui ont déjà eu lieu. Le désir de résistance est pourtant un désir positif, non? Il m’est apparu clairement que la seule révolte d’aujourd’hui, c’étaient les « sans », donc c’était un échec puisque ce sont des gens mis à terre, qui commencent à constituer une population gigantesque et que les proportions commencent à s’inverser.

L’ego, les amis et l’argent
La civilisation actuelle ne travaille que sur le culte de l’individu. Chacun est son propre dieu tous les matins devant sa glace quand il se coiffe, quand il se rase. Il n’y a que sa consommation et son propre ego qui a de la valeur à tel point que quasiment le centre social s’est réduit à la famille et encore ! L’individu est déifié: on dit à l’être humain  » tu es la chose la plus importante ». Ce qui est amusant, c’est qu’on parle de notre temps comme d’un point d’aboutissement : un monde dans lequel les gens passent leur temps à s’aimer, une société d’amis sans mauvais jeu de mots avec les réseaux sociaux. Les gens sont amis, ils veulent rigoler. Ils ont des assurances pour tout, ils sont abonnés pour tout et ils passent leur temps à rajeunir; ils ne vieillissent plus. Et je me dis mais « est-ce que c’est ça le modèle? un type jeune qui a plein d’amis, des abonnements et des assurances? ». L’être idéal aujourd’hui ? Les gens admirent celui qui a beaucoup d’argent comme étant le soi-même rêvé. Il suffit de regarder les journaux où la télévision…

Anatomie d’un spectacle
En digérant ce texte, la première image que j’ai vue, c’étaient 150 chaises, un mât de cocagne, des rubans partout et de la musique de foire et une grande passerelle qui se jette dans le public.  »

Du bruit et de la lumière, une expérience
J’ai pensé à un centre commercial avec des vigiles. Un endroit de bruit et de lumière. On met de la lumière partout. On a peur de la nuit et on a peur du silence. Je voulais donner une interprétation poétique et je ne voulais pas être dans la démonstration: je ne tends pas le poing vers le ciel, ça m’écoeure. Dans la rue, d’accord mais pour manifester. Je voulais créer une image qui provoque une reconnaissance immédiate pour les spectateurs, c’est à dire pour les gens. Pas dans le sens  » Ah oui, je reconnais le supermarché!!», pas une reconnaissance au sens d’appartenance mais dans le sens où l’on se reconnaît soi. Chaque élément ( acteurs, décors, lumière, musique) participe de la totalité mais aucun ne doit à lui seul jouer ou représenter la totalité du sens. Chaque élément joue ou représente des choses très précises dans le bon tempo et on laisse au spectateur un travail à faire. Je ne veux pas qu’il soit actif au sens de réfléchir mais au sens d’une expérience. Ex: vous êtes sur la mer, vous faîtes l’expérience de la mer, les odeurs, le ballottement et vous composez l’ensemble. Après je mets un cadre temporel limité et ça avance à tambours battants. En toute humilité, Je pense devoir faire un travail d’artiste sinon je me contente de jouer le spectacle des autres. Mais si je dois prendre la parole, alors je m’exécute en imaginant des tableaux.

Pourquoi des chaises?
Parce qu’à la question: que font les gens quand ils sont ensemble? je me suis dit  » ils parlent »… sur des canapés, des fauteuils et le plus sommaire, c’était une chaise. Elles sont un lieu d’échange et elles me permettent de travailler plastiquement, avec des superpositions … Pour moi, la chaise a la capacité d’évoquer l’être humain. Vous voyez une chaise et vous pensez à quelqu’un.150 chaises, c’est énorme et je me suis dit que ce texte, ce serait le voyage des chaises. Les chaises, comme un peuple, le pays dans lequel je vis. J’ai besoin de travailler avec des objets réels. Je produis de la fiction par le collage du réel.

Le mât de cocagne?
C’est l’idée que depuis qu’on est petit, il faut attraper le pompon et il y a aussi cette question  » qu’est-ce qu’on fait une fois qu’on a grimpé là-haut » et j’ai pensé à mon pote qui s’est tué. Je me suis dit « Je dois raconter ça » et j’ai pensé que Bernanos, ce sera mon pote et on part dans un jeu de superposition. Comme si vous étiez là et que je vous passais ma voix. Les gens n’ont pas la certitude de leurs perceptions mais ils sont en état d’éveil permanent.

La dernière image
Je voulais qu’elle représente l’école. Bernanos a fait de nombreuses conférences dans des écoles et il dit dans un texte où il parle du devenir du monde:  » Jeunes gens, faîtes attention aux types que vous allez devenir ». Il voulait nous prévenir de nous-mêmes. Il y a des moments où le public est en larmes. Bernanos dit par exemple quelque chose comme ça: « Imbéciles! Petits-fils et Petites Filles d’imbéciles. Oh ce n’est pas pour vous que je parle, 30, 60, 100 millions de morts, de votre idée fixe, produite par n’importe quel moyen…allez vite, vite et où? comme cela vous importe peu, imbéciles, au même moment où je vous dis ce nom, j’ai beau vous traiter d’imbéciles, vous ne me suivez déjà plus » – c’est une langue très riche et très directe. Je voulais terminer avec l’idée de travail, le travail de l’école…

La musique
Pour une scène avec les chaises, j’ai mis une musique et j’ai demandé aux acteurs que cette musique qui allait très très vite, détermine leur rythme cardiaque. Il fallait que les chaises se déplacent au tempo de cette musique. L’action doit correspondre à la durée de la musique. Ce n’est pas les acteurs qui décident de la durée du temps, c’est la musique qui décide. C’est la musique qui décide de la totalité de l’image qui doit être créée. Je travaille beaucoup avec la musique. Je la travaille en couches, en surcouches, il y a même une partie du texte pré-enregistrée. Quand je travaille un classique, il est hors de question de travailler la durée de la réplique. C’est la musique qui détermine l’espace et le temps.

Monter un classique
La question que je me suis posée, ce n’était pas pas si j’allais bien ou mal interpréter Bernanos, c’était une revendication artistique. Pour moi, les textes sont du matériau à penser. Toute la pensée qui m’a précédé devient le matériau de la pensée future. Je ne suis pas dans un exercice de commémoration ou la célébration de tel ou tel dramaturge. Ce qui m’intéresse, c’est que ce qu’ils ont écrit produit une pensée ou un sentiment supérieur. Dans une démarche volontaire, je respecte peu les classiques au sens où je ne respecte pas leur propre structure, sans forcément la casser. Pour Bernanos, c’est particulier parce que j’ai fait des collages. Je plonge dans ce qu’ils racontent et je vois après ce qui se passe. Ma technique, c’est de travailler de telle sorte que l’on ne voit plus la limite du texte. Dans Marx Matériau, je m’étais amusé à ça. Les gens croyaient avoir deviné l’endroit où commençait le texte de Marx alors que dès le « bonjour » en passant par les blagues- qui étaient celles que l’auteur envoyait à sa fille- c’était déjà Marx. Le spectateur ne doit plus savoir à quel moment c’est le texte de Marx ou pas. J’en avais enlevé les mots que les gens connaissaient de lui  » lutte des classes » etc…. J’essaie de débarrasser mes spectacles de toutes les phrases-cliché ». Chez Bernanos, j’ai ainsi enlevé tous les mots qui renvoient à la religion et à la reconnaissance de la France.
J’aime bien les classiques pour le fait qu’ils nous sont restés, qu’ils sont un patrimoine partagé et qu’ il y a des choses au travers d’eux que l’on doit pouvoir comprendre et dont on peut faire l’expérience.

Quels auteurs auriez -vous envie de monter?
Tolstoï, Goethe, Molière, ce sont les auteurs qui me viennent de suite. Dostoïevski aussi.

Les dates de représentation de La Liberté pour quoi faire? ou la proclamation aux imbéciles

Novembre 2011:
18 novembre 2011, ATP d’Uzès et de l’Uzège (30)
22 novembre 2011 La Halle aux grains – Scène nationale de Blois (41)
25 novembre 2011 Théâtre Na Loba, Pennautier – ATP de Carcassonne et de l’Aude (11)

Décembre 2011:
1, 2 et 3 décembre 2011 Parquet de bal, Sète – Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau (34)

Février 2012 :
17 février 2012 Théâtre de la Tête Noire – Saran (45)

Mars 2012:

3 mars, Alénya (66)

6 mars 2012 Le Parvis – Scène Nationale Tarbes Pyrénées (65)

Avril 2012:
5 avril 2012 Théâtre de Clermont-l’Hérault (34)

Octobre 2012:

Du 3 au 5 octobre 2012, Théâtre des Treize Vents, Centre Dramatique National Languedoc-Roussillon Montpellier (34)
Le 9 octobre 2012, Théâtre de Chelles (77)
Le 12 octobre 2012, Théâtre de Vénissieux, Scène régionale (69)
Le 23 octobre 2012, Scènes des 3 Ponts – Castelnaudary (11)
Le 25 octobre 2012, L’Arc, Scène nationale Le Creusot (71)

Novembre 2012:

Le 9 novembre 2012, Salle François Mitterrand – Figeac (46)

Janvier 2013:

Le 30 janvier 2013, Scène nationale 61 – Mortagne (61)

Février 2013:

Le 5 février 2013, Le Salmanazar, Scène de création et de diffusion d’Epernay (51)
Les 7 et 8 février 2013, Théâtre du Chêne Noir – Avignon (84)
Le 15 février 2013, Théâtre de l’Atrium – Tassin-la-Demi-Lune (69)

Juillet 2013:

13 et 14 juillet au Théâtre du Cloître – Bellac

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