Vanessa Gustaw :  » Publier des jeunes auteurs qui en ont dans le stylo »

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Propos recueillis par Harold Cobert – bscnews.fr / «Publier des jeunes auteurs qui en ont dans le stylo », tel est l’objectif de Vanessa Gustaw, fondatrice d’une nouvelle maison d’édition, « Bleu Pétrole ».  Cette jeune femme n’a que 24 ans, mais la détermination n’est, de toute évidence, pas une question d’âge. Le lancement de cette nouvelle maison d’édition s’articule autour d’un concours de nouvelles (ouvert de janvier 2011 au 31 juillet de la même année) aux auteurs de moins de 35 ans. Rencontre avec la jeune éditrice.

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Nouvelles dans le sens large du terme puisque les textes récoltés pour l’occasion (294 manuscrits) peuvent aller jusqu’à une centaine page – Le joueur d’échecs de Stefan Zweig n’est guère plus long, et on hésite bien entre le classer comme une longue nouvelle ou comme un court roman. Le lauréat sera publié sous les couleurs éditoriales Bleu pétrole (sortie de l’ouvrage prévue pour avril 2012), et le vice-lauréat se verra offrir une semaine en formule « bed & breakfast » dans le Château de Lourmarin, également résidence d’artistes, et le troisième prix consistera en un abonnement d’un an à la revue XXI.
Pour les désigner, Vanessa Gustaw et son équipe ont tout d’abord procédé à une sélection de 5 manuscrits parmi les 294 reçus (* les lauréats 2011 en bas de page). Restent aujourd’hui en lice Florie Adda (Etats mixtes sur papier), Arthur Cahn (Apparences communes), Muriel Delaporte (Trompe l’œil), Perrine Gaudé (Petite Frida) et Marc Pondruel (Michigan Avenue). Pour départager ce pentagone final, elle préside un jury aussi prestigieux qu’éclectique : Nils Ahl (critique littéraire au Monde des Livres, auteur à L’Ecole des Loisirs, fondateur du Prix de l’Inaperçu, directeur du remarquable Dictionnaire des séries TV), Ornella Caddoux (étudiante en édition et communication), Patrick Goujon (écrivain), Stéphanie Hochet (écrivain, Prix Lilas 2009 pour Combat de l’amour et de la faim, Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres 2010 pour La distribution des Lumières), Kevin Juliat (étudiant et bloggeur critique littéraire sur actulitteraire.com), Christian Kirk-Jensen (graphiste), Lucie Léna (étudiante et future éditrice), Pia Petersen (écrivain), Guillaume Robert (éditeur et directeur littéraire chez Flammarion), Diane Schittenhelm (rédactrice de chroniques littéraires, bloggeuse sur lebloglecteur.fr), Olivier Schittenhelm (grand lecteur passionné) et Carole Zalberg (écrivain).
Les résultats seront proclamés dans deux jours, le 17 novembre 2011, à partir de 19h30 (horaire pour le public) au café L’Indifférent (26, rue Pierre Fontaine, Paris 9e). A cette occasion, et avec le concours de l’association culturelle L’Envolée bleue, « des comédiens, dixit le dossier de presse de l’événement, liront des extraits des textes sélectionnés. Jone, peintre graffeur, réalisera une performance artistique au rythme des phrases, pour mettre directement sur toile le vocabulaire littéraire, et lui donner une nuance bleutée originale. (…) Enfin, la soirée se terminera par un concert de Jon Malkin. »
Enfin, toujours d’après le dossier de presse, « en partenariat avec la RATP, les éditions Bleu pétrole exposeront la fabrication de leur premier livre aux mois d’avril et de mai 2012, dans les vitrines culturelles de la ligne 14 et à la station Saint-Germain-des-Prés, parce qu’il n’y a aucune raison que l’on ne marche pas sur les traces de Gallimard ! » Le ton est donné.
A une époque où le monde du livre traverse lui aussi une crise et où nombre de petites maisons sont nées sur Internet et les réseaux sociaux, quelle place y-a-t-il encore pour une nouvelle venue ? Le BSC News a eu envie de rencontrer Vanessa Gustaw pour l’interroger plus avant sur sa future ligne éditoriale, ses ambitions, sa stratégie de développement et de distribution.

Pourquoi avoir choisi le nom « Bleu Pétrole » pour votre maison d’édition ? Que voulez-vous signifier ?
La couleur « Bleu pétrole » m’est venue rapidement en tête, et rendait bien compte de l’univers, de la ligne éditoriale que je souhaitais lui donner : le bleu, comme l’a très bien dit Fabienne Raphoz des éditions Corti dans son entretien avec Philippe Lançon pour Libération, est « à la limite entre le mièvre et l’indicible » ; il y a le côté « fleur-bleue » mais également « la traduction en couleur du rêve ». Le bleu est « une couleur violente et impossible ». Le Bleu pétrole, c’est une poésie corrosive, un onirisme toxique. Le Bleu pétrole, c’est aussi Bashung, que j’admire. J’avais vraiment envie de marquer visuellement cette maison d’édition, qu’un univers s’imprime dans la tête des gens, pour signifier que les éditions Bleu pétrole sont liées à l’image et souhaitent publier des textes forts, qui secouent, qui mélangent les genres.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer une maison d’édition ?
La découverte, après des années d’enseignement de classiques, d’une littérature vivante, contemporaine. J’ai suivi des études littéraires, du lycée à la fac en passant par la classe préparatoire, et ai été sidérée par l’absence de références aux auteurs d’aujourd’hui, pire, par les moqueries de certains professeurs envers les velléités artistiques de certains, comme si les écrivains contemporains, ça n’existait pas (ils semblaient s’arrêter à Marguerite Duras, et encore). J’ai donc découvert tardivement et par moi-même la littérature d’aujourd’hui.
Les initiatives comme les Tick’Art, qui ont malheureusement été arrêtées, me semblent de la plus haute importance (des écrivains rencontraient des élèves de lycée ou de collège en classe et en librairie). Quand on pense littérature, on pense patrimoine culturel, comme un pays lointain, figé, accessible uniquement par certains initiés. On pense « écrivains morts » ! J’ai eu envie de passer de l’autre côté de la barrière, promouvoir une littérature en mouvement, actuelle. Je voulais aussi échanger avec des auteurs, des artistes, être au cœur du processus de création, témoin d’une évolution, ce qui est impossible avec des écrivains muséifiés.

Vous dites vouloir « publier des jeunes auteurs qui en ont dans le stylo ». Qu’entendez-vous par là en terme de ligne éditoriale ? Sous-entendez-vous que les autres éditeurs, notamment les grands, ne publient que de la littérature molle ou « sans estomac » ?
Je n’ai pas cette prétention ! Je pense en effet que les livres publiés actuellement ne sont pas tous bons, mais d’excellents auteurs sont publiés par de moyennes et grandes maisons. Heureusement. J’admire le travail de Sabine Wespieser, Liana Levy, 13e Note, Le Dilettante, Minuit… ; Gallimard, Stock, Actes Sud publient de très bons textes.
Je voulais plutôt mettre l’accent sur le fait que les jeunes bons auteurs (jeunes en écriture, s’entend) peuvent avoir du mal à accéder à la publication, surtout si leur projet littéraire sort un peu de l’ordinaire, ou est considéré comme « commercialement non rentable ». Ce n’est pas évident de prendre des risques quand on est un éditeur, grand ou petit, car on se dit que les libraires ne voudront pas du livre, ou n’arriveront pas à le vendre, que les lecteurs cherchent des livres « pour se divertir ». J’ai envie aujourd’hui d’essayer de prendre ces risques. Et puis j’étais contente de ma formulation un peu rock’n roll !

Gilles Cohen-Solal, cofondateur de la maison d’édition Héloïse d’Ormesson, dénonce l’hystérie de l’économie du livre comme étant la seule à répondre à une diminution de la demande par une augmentation de l’offre. N’avez-vous pas peur de vous retrouver noyés dans la profusion de livres de la production française ? Comment comptez-vous vous distinguer et vous imposer ?
Grâce à Christian Kirk-Jensen, qui est un graphiste hors pair, et qui a des idées en or ! Il est certain que la fabrication du livre, son aspect, seront travaillés pour en faire un bel objet et donner aux gens l’envie de l’avoir dans leur bibliothèque. En ce qui concerne le contenu, je crois que la sélection qui a été faite met en avant des textes forts, qui n’hésitent pas à traiter de sujets difficiles, complexes, par des constructions formelles originales.
Ce qui est important, je crois, c’est justement de ne pas hésiter à vouloir créer de nouvelles maisons d’édition. On entend partout que le marché de l’édition est saturé, mais on a la chance d’être dans un pays qui défend, par ses lois, la bibliodiversité (encore faut-il espérer que cela va durer). Qu’est-ce que ça veut dire dans ce cas, que la production littéraire doit être assurée par seulement une dizaine de maisons ? Une maison d’édition, c’est un engagement, un point de vue sur le monde, une volonté d’apporter un regard singulier sur les choses. Il est certain que ce n’est pas évident de s’imposer et de se faire connaître aujourd’hui, en raison de l’importance de l’offre éditoriale, mais l’équipe de Bleu pétrole y croit et est pleine d’énergie pour faire la promotion de ses livres.
En ce qui concerne la question de l’offre et de la demande, je ne suis pas d’accord sur le fait qu’il y a une diminution de la demande. D’ailleurs, comment évaluer la demande de consommateurs de livres ? Je crois qu’un livre doit rencontrer ses lecteurs, et non l’inverse. Il faut faire des livres pour donner envie aux gens de les lire, et non faire des livres en fonction de ce que les gens voudraient lire. Quand je vais en librairie, j’attends d’être surprise par la découverte d’un livre que je ne pensais pas acheter. Je ne supporte pas cette idée de livres marketés, formatés en amont pour plaire à une cible. Un livre, ce n’est pas un yaourt ni un téléphone portable, même si certains affirment que si. Certes, on entend que la lecture est en crise, et les gens lisent peut-être moins qu’ils ne regardent des films, ou la télévision, mais si on prend, par exemple, le succès de la Revue XXI, c’est bien que les gens ont envie de lire des textes de qualité. Les créateurs de cette revue ont pris un risque, et ils ont réussi à rencontrer un public. Pourtant, je ne suis pas sûre qu’une « demande » de ce type de production éditoriale aurait été mise à jour si une étude marketing avait été effectuée… Qui lit encore des revues ? Près de 200 pages de texte ? Qui coûtent 15 euros, en plus ? Pari gagné, pourtant.

Quel est votre stratégie de développement et de diffusion ?
Après la collection « littérature », qui sera lancée avec la publication du lauréat du concours en mars, j’ai d’autres idées de collections, d’essais par exemple : un point de vue croisé sur des œuvres actuelles (arts-plastiques, cinéma, littérature…) qui inspirent des écrivains (encore cette idée que les essais critiques et théoriques ne doivent pas être réservés aux auteurs, cinéastes et artistes morts). Ou encore une collection de petits livres féministes, qui serait réalisée en collaboration avec une amie-collègue-éditrice-en-puissance qui souhaite concevoir depuis un petit bout de temps un projet éditorial de ce type. Pas mal d’idées donc, car il est important d’avoir un certain rythme de publication pour trouver un diffuseur et être présent chez les libraires.
D’ailleurs, pour la diffusion, je suis en contact avec une jeune femme, Laure Bernasconi, qui a monté sa structure de diffusion, « Le Bruit des abeilles », avec laquelle j’aimerais beaucoup travailler et qui est intéressée par le projet.

Comment vous situez-vous dans le florilège de petites maisons qui fleurissent depuis ces dernières années via le développement du web ?
C’est difficile à dire, car, le mot est bien choisi, il y en a un florilège…

Pourquoi avoir choisi d’organiser un concours de nouvelles pour lancer votre maison d’édition ?
Ça a permis de changer un peu le fonctionnement habituel de l’édition littéraire et des concours, car un concours d’écriture qui propose comme premier prix une publication à compte d’éditeur, c’est assez rare. Ca m’a permis également de rassembler un jury incroyable, qui m’apporte beaucoup (conseils, critiques, soutien) et sans lequel le projet n’aurait pas été ce qu’il est. Un concours, ça a un début et une fin, et une fois lancé, on est obligé de se tenir à ce qu’on a annoncé, on ne peut plus reculer. C’est assez effrayant, mais surtout grisant. Ca permet d’aller au bout de son projet, de créer une émulation collective.

Comment avez-vous choisi votre jury ?
J’avais envie de réunir tous les corps de métiers qui font les livres aujourd’hui, un jury éclectique, pour recueillir des avis, critiques et conseils différents. Un éditeur ne va pas raisonner de la même manière qu’un écrivain ou qu’un libraire. C’est cette variété de points de vue que j’ai cherché à rassembler. Guillaume Robert, directeur littéraire chez Flammarion, qui était un des professeurs de mon master édition (master 2 LMA de Paris 4), qui a pris le temps de me conseiller et qui semblait très ouvert à tout type d’initiative un peu différente, ce que j’ai apprécié. Stéphanie Hochet, Carole Zalberg, Patrick Goujon et Pia Petersen, quatre écrivains dont j’admire les œuvres, et qui sont aussi des lecteurs très exigeants. Nils C. Ahl, critique au Monde des Livres, auteur jeunesse, mais aussi d’un Dictionnaire des séries télévisées ; une personne brillante et pleine d’humour, dont les conseils avisés me sont très précieux. Diane et Olivier Schittenhelm étaient des libraires dont j’appréciais vraiment le travail, qui orientaient leurs rencontres en librairie autour de jeunes auteurs non immédiatement reconnus par les médias ou le public, une vocation de découvreurs, de révélateurs, donc. Christian Kirk-Jensen est un graphiste exceptionnel, qui a accepté de travailler pour Bleu pétrole, et dont la sensibilité artistique me semblait indispensable pour m’aiguiller dans mes choix éditoriaux. Et Ornella Caddoux, Lucie Léna et Kévin Juliat, les étudiants du jury, sont des personnes qui s’investissent sur Bleu pétrole et dont l’avis et l’enthousiasme compte beaucoup pour moi.
Des liens se sont créés, tous sont très investis dans le projet, c’est encourageant.

Comment voyez-vous Bleu Pétrole dans dix ans ?
Comme une maison indépendante qui aura réussi à publier des textes forts et engagés et à tenir debout, en résistance à l’industrie du divertissement et aux plans de rigueur du gouvernement qui décide de taxer le livre et la culture quand les banques dirigent le monde en s’en mettant plein les poches (je n’arrive toujours pas à me remettre de l’annonce de la hausse de la TVA sur le livre… Comme disait Ornella, notre fabuleuse attachée de presse : « Et la TVA sur le désintérêt pour la culture, elle passe à combien ? » C’est le moment de mettre les livres d’André Schiffrin entre toutes les mains !).

1. Florie Adda, États mixtes sur papier
2. Arthur Cahn, Apparences communes
3. Marc Pondruel, Michigan Avenue et autres nouvelles

(Crédit Photo Jérôme Nguy)

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