Qu’est ce qu’un clown ?

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Par Damien Luce – BSCNEWS.FR / Qu’est-ce qu’un clown? Les enfants vous diront que c’est un personnage haut en couleur, bruyant, affublé d’un gros nez rouge et d’une trompette, et qui glisse sur toutes les peaux de banane. Fâcheuse définition…
Je me présente : Boudou, clown de mon état. Comme tous les clowns, je réside dans la caboche d’un être humain. Mon hôte et moi, nous apprenons tous les jours l’un sur l’autre. Le rôle de Cyrano de Bergerac m’a été confié, pour une version clownesque du chef-d’œuvre d’Edmond Rostand. Je tâcherai de lui insuffler mon âme de clown. Rude épreuve… Je compte bien m’y atteler avec tout le sérieux de ma condition, et j’espère que, le jour de la première, mon nez sera digne du sien.
Qu’est-ce qu’un clown? Les enfants vous diront que c’est un personnage haut en couleur, bruyant, affublé d’un gros nez rouge et d’une trompette, et qui glisse sur toutes les peaux de banane. Fâcheuse définition… Certes, il nous arrive de glisser parfois sur quelque cadavre fruitier, mais c’est seulement par exercice : il faut de la technique. Quant à la trompette, il s’agit-là d’un préjugé : la plupart des clowns de ma connaissance n’ont jamais embouché de trompette, à part peut-être celles de la renommée. Non, le seul élément fidèle à notre condition, c’est le nez rouge, et encore… Ni Chaplin, ni Buster Keaton, ni Harpo Marx, n’en étaient pourvus, et pourtant, quels clowns ! La définition du clown ne s’encombre pas de ces considérations matérielles. Sous notre carapace loufoque se cache un être profond, tendre ou malicieux, jamais faux ni mensonger, et dont la substance n’est pas sans rappeler le héros d’Edmond Rostand…
La sincérité.
Au commencement du clown, il y a, avant tout, la sincérité. Une sincérité exacerbée. Chacun de nous porte un clown en lui, un seul. Ce personnage-là n’est pas une affabulation : c’est nous à la puissance mille. Il est fait de toutes nos qualités, de tous nos défauts, de nos peurs, de nos rêves. Il puise sa personnalité dans le bois de notre enfance, cette matière première dont tout être humain est fait, et dont il se consume. La sincérité, donc, si elle est le lot du clown, n’est-elle pas aussi celui de Cyrano ? Elle lui donne à la fois sa superbe et ses ennemis ; elle est à la fois sa chance et sa chute.
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et, modeste d’ailleurs, se dire : mon petit
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
(Acte II, scène 8)
Ces quatre vers résument bien notre personnage, dans sa volonté de n’être jamais artificiel, jamais calculateur. Mais la sincérité a un prix : à force de « faire sonner les vérités comme des éperons », il arrive que l’une d’elle égratigne un grand de ce monde, et vous vaille de solides rancunes.
Le grotesque.
« Son âme était aussi belle que son physique était disgracieux. » Ces mots sont de Rostand, à propos d’un Pion rencontré au collège, et qui inspira sans doute le glorieux Gascon. On ne saurait parler de Cyrano sans évoquer la protubérance de son nez (et ce point commun avec le clown est le plus évident, et par là le plus insignifiant), avec ce qu’elle lui confère de ridicule, de souffrance et de moqueries. La moquerie est l’essence même du clown. Il ne cherche pas à faire rire : on rit toujours à ses dépens. Cyrano connaît les mêmes railleries :
Plus tard, j’ai redouté l’amante à l’œil moqueur.
(Acte V, scène 5)
Il est d’allure grotesque. Son physique jure avec son âme. Le grand Fabricateur, qui est parfois distrait, n’assortit pas toujours les corps aux âmes. Parfois, d’un cocon tout sale et tout rabougri, on voit sortir le plus beau papillon. Mais l’âme humaine, hélas, reste à l’intérieur, c’est notre malédiction. Et nous avons dû inventer un tas de subterfuges pour la faire jaillir hors de nous. Le clown en est un. Mais la laideur, si elle est un carcan, peut aussi être libératrice. L’homme disgracieux tâchera toute sa vie de sublimer sa laideur. Le clown et Cyrano ont en commun de glorifier leurs “défauts de fabrication”.
Apprenez que je m’enorgueillis d’un pareil appendice !
(Acte I, scène 5)
Leur apparence est assumée. Elle dicte leurs actes. Charlie Chaplin n’a-t-il pas créé son personnage de vagabond à partir de son accoutrement? Il a suffi d’enfiler des chaussures trop grandes, un chapeau trop petit, une vieille redingote, Charlot était né, avec sa gestuelle, son allure à la fois burlesque et touchante. Dans le monde des clowns, l’habit fait le moine. Et Cyrano, sans ce nez gigantesque qui « d’un quart d’heure en tout lieu le précède », n’aurait peut-être plus son panache.

L’échec.
Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui souffle – et qu’on oublie !
(Acte V, scène 6)
Ce constat d’échec, au moment de mourir, est ce qui rend Cyrano si bouleversant. Car le véritable Cyrano n’est pas celui qui parle haut, ce Gascon au geste superbe, c’est l’homme qui reste « dans l’ombre noir ».
J’aurai tout manqué, même ma mort.
(Acte V, scène 6)
Le clown, lui aussi, est un être qui manque tout. Il est toujours sérieux, plein d’espoir dans ce qu’il entreprend. Il veut bien faire, il veut épater la galerie, mais rien ne se déroule jamais comme prévu, et son échec nous fait rire ou nous émeut. Pensez au Charlot des Feux de la rampe, qui joue avec des puces imaginaires : il en perd le contrôle, elles lui échappent, et finissent immanquablement dans son pantalon. Les spectateurs sont hilares, mais le clown, lui, est en échec.
Je vous présente notre petite troupe de saltimbanques : Jacqueline Berces (Roxane), Franck Saurel (Christian), Guillaume Charbuy (de Guiche), Antoine Guiraud (Ragueneau), Thierry Victor (Le Bret) et notre homme-orchestre, Renaud Déjardin. J’invite tous les passionnés de Cyrano, ceux qui lui vouent comme nous une tendresse particulière, ceux qui voudraient le connaître davantage, à nous suivre. Ce spectacle n’est pas un spectacle comme les autres. Nous voudrions allumer une flamme autour de laquelle se rassemblent ceux qui se sentent une âme cyranesque. Visitez régulièrement notre site (www.cyranoclown.com), vous pourrez être témoins de nos pérégrinations, de nos répétitions, de nos questions, de nos doutes, de notre grain de folie… Nous vous laisserons voir un peu de cet atelier dramatique, où nous fabriquons notre spectacle avec ferveur et patience. Nous vous donnerons des rendez-vous impromptus, dans les jardins, dans les rues, afin que nous puissions commencer à tisser avec vous des liens de connivence. J’espère que cette bouteille lancée dans l’océan du web trouvera de nombreux destinataires !

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