Christophe Pellet

Christophe Pellet: une pièce salutaire sur la mentalité française

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Interview de Christophe Pellet, dramaturge/

Propos recueillis par Julie Cadilhacbscnews.fr/ La Conférence est un texte controversé dans le milieu théâtral et qui a été peu invité sur les scènes françaises. Cette pièce met en scène, en effet, un dramaturge contemporain, excédé et même empoisonné par « l’Etat français, l’esprit français et les entreprises culturelles du territoire français » qui regrette amèrement d’avoir accepté de faire une conférence, justement!, dans une de ces entreprises culturelles qu’il abhorre.

propos recueillis par

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Mais derrière ce cadre théâtral, monte un discours plus général sur la mentalité française et ses travers insupportables où l’on dissimule, collabore et dénonce avec une hypocrisie élégante. La Conférence est jouée du 13 au 17 septembre 2011 au Théâtre des 13 Vents, à Montpellier, par le charismatique et époustouflant comédien Stanislas Nordey, qui en est aussi le metteur en scène. L’occasion d’entendre ce texte à la prose grondeuse qui roule et se déroule en vagues de mots qui giflent souvent, s’émeuvent soudain et tremblent puis repartent gorgés d’aigreur et de folie contre un système défaillant au sein d’une société impassible et cupide. Mais place aux mots du dramaturge lui-même…

Cette pièce est née de l’envie de faire un hommage à Thomas Bernhardt, l’auteur misanthrope dont les monologues opèrent par longues phrases répétitives et obsédantes?

Oui, c’est un hommage à cet écrivain que j’aime beaucoup. Mais c’est aussi un texte très personnel, quasi documentaire.

Vivez-vous comme lui une relation d’amour et de haine avec votre pays natal? Pensez-vous que c’est ce tiraillement qui fait la force d’une écriture?La conférence

Dans le cas de Bernhard, de son vécu, certainement. Mais ce sont surtout ses admirations pour la musique et les grands écrivains qui ont nourri son oeuvre. La haine de l’Autriche ne suffit pas à faire de lui le grand écrivain qu’il demeure. De mon côté il n’y a pas de haine, car la France actuelle n’est pas l’Autriche d’après guerre qu’a connue Bernhard.

Votre installation en Allemagne a -t-elle été le déclencheur, le révélateur de ces défauts ou avez-vous migré, justement, parce que cet état d’esprit vous semblait insupportable?
Non ce n’est pas pour cette raison. J’aime tout simplement voyager, c’est l’une de mes passions. Etre ailleurs, avoir du recul, vivre dans une autre culture, un autre environnement : oui, cela nourrit mon écriture. Et m’aide à vivre aussi.

Quelle oeuvre de Thomas Bernhardt vous a profondément touché?
L’oeuvre est tellement cohérente : c’est comme un long cri, une unique phrase magnifique qui nous parvient, et nous aide à vivre. Mais si je devais isoler deux textes ce serait : «Oui», et «Des arbres à abattre».

A quel point Thomas Blanguernon ne vous ressemble pas?
Thomas Blanguernon c’est moi, mais en même temps, ce n’est pas moi : je n’ai pas sombré dans la folie.

En quelques mots, que reproche Thomas Blanguernon à cet esprit français?
Peut être avant tout son assurance. Qui peut entrainer par moments un repliement sur soi. Heureusement, ce n’est pas le cas dans la culture, il y a en France une belle volonté de montrer ce qui se fait ailleurs. Mais il faut être vigilant. Cette qualité ne doit pas disparaitre.

Cette conférence est-elle un prétexte à faire disserter la folie? La folie est-elle selon vous un topos littéraire commode pour crier ses obsessions et ses rancoeurs?
Oui : c’est le sujet central du texte : le parcours d’un homme qui passe par l’isolement dans un premier temps, et la folie. Ce texte ne parle pas de théâtre, il parle avant tout d’un individu surpris dans une mélancolie, puis une dépression suite à la perte d’êtres proches (le personnage d’Esther Cohen, l’amie suicidée, est un catalyseur dans le texte). Il a une prise de conscience, une terrible lucidité. Mais finalement devient-il fou ? N’est- il pas au plus près de lui-même justement et dans un raisonnement salutaire et libérateur ?

Allez-vous souvent au théâtre? Peut-on être dramaturge et fuir les représentations?
J’y suis beaucoup allé; et puis je me suis un peu lassé, à force de voir les mêmes classiques, avec les même mises en scène formatées. Je suis plus intéressé par les textes contemporains, que je lis. Beaucoup de mes amis sont d’ailleurs des auteurs.

A priori vous n’avez assisté qu’à une représentation de Stanislas Nordey… pourquoi? Pensez-vous que l’auteur doit rester lointain à la création théâtrale ou est-ce parce que vous évitez au maximum de mettre les pieds sur le sol français?
J’ai beaucoup aimé le spectacle et j’y suis retourné deux fois ! Mais je laisse libre le metteur en scène qui apporte au texte un autre regard, je dirais : une autre écriture, car la mise en scène contemporaine est une véritable écriture. Je ne suis pas allé aux répétitions par exemple… Après, voir le spectacle tous les soirs, c’est une chose impossible pour moi.

Le système culturel allemand est-il plus en adéquation avec vos aspirations et vos idées?
Ce n’est pas tant le système allemand en lui même (qui est assez proche de la France, et de nos sociétés libérales occidentales dans leur ensemble) que de l’énergie qui se dégage d’une ville comme Berlin (ou Leipzig en ce moment), où les artistes sont dans un environnement plus accueillant, plus ouvert. Ou l’argent n’est pas le seul sésame.

Votre pièce circule sur de nombreuses scènes françaises…souvent victimes des incohérences et défaillances que vous accusez…ironie dramatique?
Très peu de scènes au contraire. Seul Jean Michel Ribes et l’équipe du Rond Point ont soutenu le texte depuis le début. Je leur dois beaucoup. Ensuite Stanislas Nordey a monté le texte seul avec l’argent de sa compagnie, et l’a représenté au Rond Point. Jean Marie Besset, qui, lui aussi, a toujours soutenu l’ensemble de mon écriture, a aimé le spectacle et l’accueille aujourd’hui. Je dois aussi citer d’autres lieux : des Scènes Nationales qui ont soutenu financièrement d’autres Conférences : celle mise en scène par Renaud Marie Leblanc à Marseille au Théâtre de Lenche et à la Scène Nationale du Merlan. Puis la mise en scène de Mathieu Roy, soutenue par les Scènes Nationales de Thouars et de Sainte. C’est à peu près tout. Maintenant, il y a, grâce à ces trois « vaillants pionniers » si j’ose dire, un intérêt pour le texte, qui apparait plus complexe, moins démagogique. J’attends une quatrième version avec un jeune metteur en scène Sylvain Martin, au bar du théâtre de Genevilliers. J’aime bien l’idée que ma Conférence soit dans des lieux autres, à côté… Grâce à ces différentes mises en scènes, le texte apparaît dans toute sa complexité, chose qui n’est pas apparue aux décideurs, ou programmateurs, à la seule lecture.

Ne peut-on pas trouver quelque chose d’agaçant dans cette bien-pensance intellectuelle qui pratique l’auto-flagellation mais n’essaie pas de bouger le système en place?
Parler de soi, profondément, s’autoflageller, c’est une manière de bouger le système, de faire prendre conscience d’un dérèglement. Souvent l’artiste est au service d’un divertissement, une bonne humeur ou une agitation pour divertir (masquer) justement. C’est très bien : j’adore les grands films hollywoodiens par exemple qui sont dans ce système de pur divertissement (voire de propagande dans le cas de certains produits). J’aime beaucoup aussi les maîtres du boulevard (qui ont enchanté ma jeunesse) comme mon ami Pierre Barillet. Mais il faut parallèlement, d’autres expériences, d’autres recherches : le public est libre de choisir. Ce qu’il faut : c’est lui laisser encore ce choix. Ce droit à choisir, surtout dans le théâtre dit « public ».

Le bât qui blesse, au théâtre, n’est-ce pas, aussi, son public? De plus en plus « spécialiste » et «théâtraux» et de moins en moins populaire?
Une partie du public est hélas prisonnier d’une machine diabolique et décervelante : la télévision. Elle donne le ton. Une surenchère terrible, obscène, hypnotisante. Mais qu’est ce qu’un public populaire ? je ne sais pas. Le théâtre n’a pas à se poser la question. L’artiste doit toujours s’élever, se dépasser lorsqu’il crée, et rester sincère : à partir de ce moment là, on touche le public quel qu’il soit, même en le choquant, même en lui proposant quelque chose d’autre qui peut le désarçonner, mais qui après coup fera son chemin. Si le théâtre renonce à ça, il n’a plus qu’à laisser la place à la télévision. Et s’il veut faire comme la télévision, il n’y arrivera pas. Que les scènes soient à la fois le lieu du dérèglement et de la réflexion. Et le public sera là. Ce n’est pas en montant des classiques que le public, le grand public- si ce mot à un sens- reviendra dans les salles. Les artistes doivent aussi miser beaucoup sur le jeune public, les rencontres et partages avec les enfants et les adolescents – via l’éducation nationale – c’est fondamental. L’avenir du théâtre passe par cette « formation du regard ».

J’insiste, mais… vous dîtes que le théâtre est un épiphénomène des désillusions et des dysfonctionnements de la société française….mais qui fait, qui parle au théâtre et qui vient voir les pièces en France dans les théâtres subventionnés par l’Etat? Ce public semble n’être le reflet que d’une part infirme de la société, non?
Dans les salles du Théâtre public je suis persuadé qu’il y a toutes sortes de gens : peut-être, c’est vrai, un public plus homogène que dans les salles de cinéma. Mais tout dépend du spectacle. Encore une fois, le spectateur fait son propre choix, et il faut le lui laisser. On ne doit l’obliger en rien. Lorsque j’étais enfant, je n’allais jamais au théâtre, j’ai grandi dans un quartier populaire où il n’y avait pas de théâtre, mes parents eux- mêmes n’allaient pas au théâtre… j’allais voir des films d’horreur ou de science fiction… et puis un jour, au Lycée, un professeur nous a amenés au théâtre, cela a été le déclic, c’était «Drôle de gens» de Gorki mis en scène par Jean Claude Fall, je m’en souviens parce que j’ai gardé le programme, je n’ai pas compris grand chose, peut- être même me suis-je ennuyé?… mais en tout cas, cela m’a marqué. Et puis après il y a eu, bien sûr, le choc de la Bérénice de Gruber au Théâtre Français… mais là j’étais déjà « formé », si j’ose dire. C’est ce parcours, cette formation-là de l’enfant, qu’il faut poursuivre.

Stanislas NordeyN’est-on pas à l’ère d’un théâtre extrêmement narcissique où l’on parle de soi pour venir se voir soi sur scène? Est-ce ce que vous parlez de cela dans La Conférence?
Un artiste qui ne parle pas de soi sur une scène ou dans un film, ne m’intéresse pas. Il faut parler au plus près de soi pour toucher les autres; Sinon, on les divertit (ce qui est déjà pas mal). Ou au pire, on les ennuie parce que que le spectateur ne sait pas qui lui parle, quel être humain-artiste s’adresse à lui. Il peut aussi y avoir la beauté pure sur une scène : là c’est une fascination d’un autre ordre. Mais la beauté, c’est encore l’expression d’une individualité. Or la majeure partie des spectacles (cinéma ou théâtre) sont au service d’une narration efficace, d’un divertissement, ou d’une dénonciation générale de la misère du monde. Il y a très peu de spectacles qui tentent de faire autre chose, ou prennent les risques de la mise à nu, du dérèglement (qui est tout de même l’une des fonctions de l’art, sans cela il n’évoluerait pas). Comme par hasard, c’est sur ces spectacles-là, fragiles et minoritaires, que l’on tape le plus.

Pensez-vous vraiment que la crise économique a renforcé ce malaise français? Ou est-ce simplement que vous êtes déçu qu’elle n’ait pas provoqué une réaction de contestation? Un soulèvement libérateur?
La crise économique pourrait être un déclencheur : une façon de passer à autre chose, de « penser » autre chose, un autre système, d’autres formes de vie sociale. Elle peut être aussi l’entrée dans une période régressive ou réactionnaire. Les hommes politiques sont figés dans quelque chose, dans une frilosité. L’artiste, lui, peut tenter, à son niveau, des expériences autres. Une utopie. Hélas, l’artiste ne peut rien de plus. Ce qu’il faudrait c’est que les politiques soient un peu plus artistes dans l’âme. Déjà le minimum qu’ils puissent faire, c’est de soutenir la création. Et puis les artistes peuvent aussi choisir une autre voie que celle des subventions : puisqu’il n’y a plus d’argent nulle part, trouver des lieux autres, des interventions autres. L’art comme le pain est de toute façon nécessaire à l’humain. On ne peut pas s’en passer.

Enfin, avez-vous un projet d’écriture en cours? Pourriez-vous nous en parler en quelques lignes?
Mon prochain texte qui paraît à l’Arche cet automne, évoque les nouveaux rapports sexuels et amoureux à l’ère du flux. C’est un thème qui m’a toujours passionné : l’évolution de la sexualité et de l’amour. On n’aime plus aujourd’hui comme il y a vingt ans. La sexualité est différente, même si l’on ne s’en rend pas compte : c’est inconscient.
À l’artiste de proposer des pistes nouvelles en évoquant les changements profonds qui s’opèrent et le dérèglement salutaire que ces nouveaux rapports proposent.

L’interview de l’interprète, Stanislas Nordey sur Divergences FM en partenariat avec le bscnews.fr Cliquez ICI

Crédit-photos: Théâtre des 13 Vents

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