Théâtre Majaz

CROISADES: une pièce artistiquement engagée où chacun trouvera sa part de vérité

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Partagez l'article !Propos recueillis par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/Crédits-photo Mariko( Portrait) et Fateen Bakri ( Spectacle)/ Ido SHAKED et Lauren Houda HUSSEIN sont les deux fondateurs et dirigeants du Théâtre Majâz. Du 1er juin au 3 juillet 2011, dans la salle de répétition du Théâtre du Soleil, ils présentent Croisades, une pièce jouée par des comédiens […]

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Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA/Crédits-photo Mariko( Portrait) et Fateen Bakri ( Spectacle)/ Ido SHAKED et Lauren Houda HUSSEIN sont les deux fondateurs et dirigeants du Théâtre Majâz. Du 1er juin au 3 juillet 2011, dans la salle de répétition du Théâtre du Soleil, ils présentent Croisades, une pièce jouée par des comédiens israéliens, palestiniens, franco-libanais, franco-iraniens, marocain et espagnol, dont Ido est le metteur en scène et Lauren Houda, une comédienne du spectacle. Interprétée en hébreu, arabe et français et sur-titrée en français dans son ensemble, cette pièce souhaite nous rappeler combien les croisades sont toujours d’actualité et, sans citer de lieu précis, nous invite à une réflexion universelle sur la notion de choix et de camp. Une démarche artistique et humaniste à découvrir avec intérêt.

Le texte de Michel Azama est-il une création pour le Théâtre Majâz? Comment le résumeriez-vous?

Non, Michel a écrit cette pièce en 1988 à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon lors d’une résidence d’écriture de 4 mois. Il a créé une ville métaphore qui regroupe toutes les villes martyrs du monde. Les conflits ainsi que les époques s’y trouvent mélangés. On y suit un groupe d’adolescents, deux amis d’enfance forcés de se séparer des deux cotés de la « ligne », un couple qui tente de s’aimer malgré les frontières et d’autres qui deviennent accro à la guerre. Autour d’eux, des morts en errance qui, sur le chemin, nous racontent leurs histoires. Michel Azama construit cette pièce autour des Méditerranées, mettant ainsi en relation la Croisade des Enfants de 1212 et les croisades contemporaines : les enfants guerriers de l’Afrique, les enfants des clés en Iran, la jeunesse palestinienne de l’Intifada et les adolescents israéliens de Tsahal…Nous avons traduit la pièce en arabe et en hébreu, nous la jouons dans ces langues ainsi qu’en français avec surtitrages.
Quelle est la base de votre chemin théâtral?Croisades - Fateen BakriC’est notre diversité, culturelle, linguistique, artistique mais ce sont également nos ressemblances. Qu’est ce qui peut rassembler une libanaise et un israélien? Qu’est ce qui peut tous nous rassembler? C’est tout simplement que nous avons une Histoire, très ancienne en commun, une culture qui s’est imprégnée de celle de l’autre et sûrement que nous partageons les mêmes colères et les mêmes espoirs.
Le théâtre est-il une arme redoutable, votre moyen à vous de rentrer en croisade contre l’obscurantisme et le fanatisme? Dénonce-t-il plutôt les systèmes politiques de répression et d’occupation?

Le Théâtre est notre remède à nous contre la corruption, que ce soit celle de l’esprit ou celle du pouvoir mafieux, pour rendre la foi en l’humain. Nous sommes pacifistes mais cela ne veut pas dire que nous n’osons pas regarder les choses en face. Depuis toujours les artistes sont des cibles car ils mettent en danger toute forme de répression, tout simplement parce qu’ils sont les passeurs de parole des sans voix et des sans nom. Il y a quelques semaines, le comédien et metteur en scène Juliano Mer Khamis, qui dirigeait admirablement le Théâtre de la Liberté de Jénin, a été assassiné devant son théâtre. Juliano se battait contre toute forme d’occupation avec des mots. Il faut croire que ceux-ci ont plus d’effets que les balles.
Votre compagnie cherche à être un exemple, à être la preuve que coexister est possible… Son exemple a-t-il déjà fait des convertis, des repentis au sein de vos spectateurs?
Ce n’est pas nous qui allons signer la paix, ni construire les murs d’apartheid. Nous avons le pouvoir de mélanger les langues, elles sont à nous. Sur scène nous ne faisons qu’une piqure de rappel. Les langues et les cultures ne connaissent pas encore de frontières. Si cela sert d’exemple, nous sommes heureux. Avant de coexister il faut tout d’abord pouvoir exister avec dignité, et tant que l’occupation et la répartition injuste du pouvoir continuera, cette coexistence dont on parle tant ne sera pas possible.
croisadesVictime et bourreau, vous affirmez que vos personnages sont un mélange paradoxal de ces deux tendances. Est-ce une réaction humaine, un sursaut de survie?
Les victimes d’aujourd’hui deviennent les bourreaux de demain. Il ne s’agit pas d’un phénomène propre au Proche Orient, cela fait partie de l’Histoire guerrière de l’Humanité. C’est exactement contre cet engrenage qui sacrifie notre jeunesse que nous nous battons.
Marek Halter , que nous recevions le mois dernier dans le magazine, dit que « celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va »…pour embrasser l’autre, faut-il d’abord être au clair avec sa propre identité? Est-ce un constat que vos expériences théâtrales métissées ont pu faire?
Il n’y a aucun prétexte pour repousser la rencontre avec l’autre, selon nous. La connaissance de soi se fait à partir de cette rencontre. Nous devons nous réapproprier notre mémoire.
Croisades est une pièce polyglotte en hébreu, arabe et français…le mélange de ces langues doit créer une impression magique sur le plateau, presque mystique, non?
Le plateau est déjà un espace sacré, un lieu à protéger de la bêtise. C’est l’endroit du rêve et de la liberté totale. Nous ne faisons qu’amplifier un phénomène linguistique et culturel qui existe déjà et que le monde s’efforce d’ignorer.
Croisades est une pièce de théâtre construite sur l’idée du choix? Un choix cornélien où l’on perd des deux côtés? Y-a-t-il quand même une forme d’espoir possible?
Bien sûr, nous ne ferions pas cela sinon! L’espoir existe au quotidien, le mélange est déjà là, même si les sphères d’en haut sont constamment victimes de cécité ! Les adolescents Ismail et Yonathan disent dans la pièce que  » d’un côté ou de l’autre, tout le monde nous pousse vers le cimetière ». Alors où réside le choix? Quelle marge de manoeuvre avons- nous? La pression dont sont victimes ces adolescents s’exprime dans le non dit perpétuel, dans une mémoire que l’on nous vole en silence….
Par quel artifice mêlez-vous sur le plateau plusieurs époques dans cette pièce » historique »?Théâtre majazzNous faisons essentiellement un travail corporel, mais on ne vous en dira pas plus. Il faudra venir voir le spectacle !
Dans la pièce, les morts se relèvent pour parler…..comme une sorte de choeur antique qui conseille et commente l’action?
La mort permet la parole à ceux qui n’ont ni voix ni nom. Le moment où ils se libèrent du poids de leur vie. Ils ne conseillent ni ne commentent l’action, mais ils s’abandonnent avec sincérité face au public.
Les personnages principaux sont des adolescents…. inspirés par ceux avec qui vous avez fait des ateliers en Israël?

Oui, cela a été un travail qui nous a beaucoup inspirés. Ces ateliers nous ont donné la matière nécessaire à nos personnages. La réalité intervenait sans cesse dans la création grâce aux échanges et aux improvisations que nous avons eu avec ces deux groupes, l’un israélien et l’autre palestinien. Leur implication et leur engagement nous ont poussés vers un travail plus juste et plus profond.
Vous dîtes que Croisades est une pièce où le pays en question n’est jamais nommé pour conférer une puissance quasi-mythologique au récit. Expliquez-nous cette image.

C’est puissant parce que c’est à la fois très situé et en même temps sans indication spatio-temporelle. Michel Azama dit d’ailleurs que chaque personne y voit une guerre différente, qu’en fonction du moment ou l’on lit ou voit la pièce on la rattache à la guerre précédente. Chacun y trouve sa part de vérité, qu’elle soit bonne au mauvaise.Ce mélange de tragédie et d’un contexte très actuel donne cet aspect mythologique à la pièce.
Comment a été reçue la pièce en Israël?
Certains étaient soulagés, émus et étonnés par le spectacle. Pour eux c’était plus qu’une pièce mais tout un voyage. Pour d’autres, le reflet de leur propre réalité était trop violent, ils y ont vu une attaque personnelle. Ce qui n’est pas le cas.
Quel souvenir de cette invitation d’Ariane Mnouchkine à poursuivre votre travail au Théâtre du Soleil? Est-ce la première fois que ce théâtre abrite vos recherches théâtrales?
Oui, c’est la première fois. Il n’y avait pas d’endroit plus rêvé que le Théâtre du Soleil pour nous accueillir. Ariane Mnouchkine nous a apporté son soutien et toute son équipe nous a aidé à aller au bout de notre recherche. Notre engagement, aussi bien d’un point de vue de la création que du point de vue politique, avait besoin d’une « île » en dehors des frontières qui nous séparent.
Au travers d’une démarche artistique et engagée, vous travaillez pour jouer devant deux publics: l’un concerné et vivant les tensions du Proche-Orient, l’autre abreuvé d’images médiatiques sur ce conflit: est-ce au final le même spectacle qui est joué?

Oui c’est le même, et en même temps il vit sa propre trajectoire, il se perfectionne avec le temps. La France est aussi impliquée dans ces conflits. Nos dirigeants participent financièrement et politiquement à le pérenniser. C’est une question d’intérêts.Donc le public ici est aussi concerné dans le sens où le gouvernement français y participe.La pièce ne parle pas seulement du Proche Orient, mais d’un système qui repose sur l’intérêt des « puissants ».
Enfin, avez-vous une anecdote, un moment fort à nous raconter lors de la création? et lors d’une représentation?

Les enfants et les adolescents de Saint Jean d’Acre qui nous ont suivi pendant toute la création sans forcément comprendre tout le spectacle (au niveau des langues), et qui sont venus à de nombreuses répétitions et représentations. Ils restent pour nous, ceux qui nous ont donné nos plus beaux souvenirs, et aussi le plus d’espoir.
Pour découvrir toutes les dates de ce spectacle, c’est ICI!

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