Patrick Marty

Le Juge Bao: symbole d’une justice indépendante

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Partagez l'article !Propos recueillis par Julie Cadilhac– bscnews.fr/ Illustrations de Chongrui Nie/ Photos DR/ Les éditions Fei sont une jeune maison d’édition créée par XU Ge Fei, chinoise passionnée par la culture française. Souhaitant multiplier les échanges entre ces deux pays, elle a choisi la bande-dessinée comme support à ce partage de cultures. Rencontre avec […]

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Propos recueillis par Julie Cadilhacbscnews.fr/ Illustrations de Chongrui Nie/ Photos DR/ Les éditions Fei sont une jeune maison d’édition créée par XU Ge Fei, chinoise passionnée par la culture française. Souhaitant multiplier les échanges entre ces deux pays, elle a choisi la bande-dessinée comme support à ce partage de cultures. Rencontre avec un de ses illustrateurs chinois et son binôme scénariste français, auteurs du Juge Bao.
Patrick MARTY, le scénariste
Le Juge Bao est une sorte de Robin des bois chinois ? Qu’est-ce qui vous a plu dans ce personnage?
Le Juge BAO n’est pas un héros fugitif, un justicier hors la loi, comme Robin des Bois, où les chevaliers d’Au Bord de l’Eau, le grand classique chinois. C’est un personnage historique, et un véritable magistrat qui lutte contre la corruption, hors du commun, vieux de mille ans et toujours aussi célèbre en Chine, qui rend la justice sans distinction d’appartenance sociale, avec la même rigueur, la même attention, que l’on soit prince ou paysan. C’est tout cela qui m’a plu chez lui. J’ai un profond respect pour les hommes et les femmes qui mènent ce type de combat, hier, comme aujourd’hui. J’aime l’idée d’une justice indépendante. Notre symbole de la justice, les yeux bandés et brandissant le glaive et la balance, me paraît clair. Je suis souvent dérangé, voire choqué, par la vindicte populaire, relayée par les médias, qui fait parfois perdre la boussole aux magistrats, eux même bousculés par la pression politique, ici en France, ou ailleurs. Le Juge BAO est à ma connaissance le seul homme, ministre de la justice, à avoir tenu tête à l’empereur, Rhen Zong. A l’époque, c’était la mort assurée pour quiconque tentait d’aller à l’encontre des désirs du Fils du Ciel, et généralement, toute la famille jusqu’aux cousins éloignés était éliminée systématiquement.

Comment est né le projet du Juge Bao?
Il est né du désir de Fei, l’éditrice, qui souhaitait aborder pour sa première série un personnage historique chinois, emblématique de cette grande culture, et de mon envie d’aborder le genre policier. Le Juge BAO s’est trouvé à la croisée de ces deux chemins. Ensuite Chongrui Nie le dessinateur nous a été présenté par l’agence Beijing Total Vision, et nous n’avons pas mis plus de deux minutes pour décider que ce serait lui qui dessinerait la série. Il a quarante ans d’expérience, ses dessins sont fabuleux. C’est l’alliance du dessin traditionnel que l’on trouvait dans les grands classiques des années 80, et d’une mise en scène et d’un découpage que nous avons voulu plus cinématographique. Cela donne à la BD, une dynamique et une esthétique originale, qui semble- t- il, a séduit les lecteurs français.
Le juge Bao est-il le seul personnage ayant réellement existé dans vos tomes? Avez-vous fait un travail d’historien Le juge Baoet de biographe pour écrire ce scénario? Quelle part est consacrée à l’imagination seule?
Tout d’abord l’équipe qui entoure le Juge BAO est issue de personnages ayant existé. Gongsun Ce, le médecin légiste, greffier, assistant du Juge, les lieutenants Ma Han et Wang Chao – il y encore un petit doute sur le personnage de Zhan Zhao- quant à Bao Xing, il est signalé dans certains écrits mais c’est un adulte. Je l’ai volontairement rajeuni pour avoir une relation de maître à Élève entre lui et le Juge. La tradition orale puis le roman à partir du 17ème siècle ont beaucoup façonné ces personnages, ce qui m’a permis à mon tour de prendre un peu de liberté. Dans les séries télévisées, les auteurs chinois représentent le Juge BAO grand, tout noir, avec une lune blanche sur le front. Les historiens que j’ai rencontrés à Kaifeng, l’ancienne capitale de l’empire des Song du Nord, m’ont confié qu’il mesurait 1,62 et qu’il était tout blanc…J’ai fait un travail de recherche autant dans le domaine historique que dans les représentations diverses et variées que l’on peut trouver en Chine. Le personnage historique et ses avatars fictionnels sont tous intéressants car ils donnent une vision de ce que la culture chinoise a façonné au fil du temps. Aujourd’hui, le Juge BAO est un véritable mythe en Chine, un demi-dieu. Ma part d’invention réside dans la trame policière. J’invente les intrigues en m’appuyant parfois sur une histoire, un cas, trouvé dans la biographie du Juge, mais c’est rare. Il y a le contexte historique, la dynastie des Song du Nord, cet itinéraire qui porte le Juge Bao aux confins de l’empire pour mener une opération de lutte contre la corruption, et puis il y a les personnages qui animent les intrigues et qui sont totalement fictifs.
Pourquoi s’inspirer de la biographie d’un personnage historique d’une autre culture que la sienne? Pensez-vous apporter un regard « étranger » sur ce personnage?
« Enrichissons-nous de nos différences » disait Claude Lévi-Strauss. Quant au regard, c’est celui d’un auteur français qui tente d’être le plus proche de l’esprit chinois. En cela je suis aidé par Fei, l’éditrice, et Chongrui Nie, le dessinateur. Je crois que le résultat est assez convaincant. Les Chinois l’ont acheté pour le diffuser sur téléphonie mobile à partir du 1 Mai prochain. Et Jean Pierre Dionnet s’est demandé, dans son blog à la sortie du premier numéro, comment un scénariste français pouvait « penser » si bien chinois…
Le juge Bao vous a-t-il conquis aussi parce qu’il a vécu au XIème siècle? Ce Moyen-âge asiatique dispose-t-il de charmes auxquels vous êtes sensible?

La dynastie des Song du Nord est une des périodes les plus brillantes de l’histoire chinoise. La société de l’époque est très complexe. Plutôt que moyenâgeux, les Song du nord font plutôt figure de « Renaissance » si on compare avec l’occident. La capitale impériale de l’époque comptait 500 000 habitants. Autour de l’an mille, chez nous, on était bien loin de leur savoir, et même d’avoir l’équivalent social et politique. A cette époque là, la Chine avait 5 siècles d’avance sur l’occident dans tous les domaines.
Le juge bao 2Avons-nous besoin de héros incorruptibles aujourd’hui qu’il faille ressortir les vieux fantômes? Les auteurs ne font qu’écrire des histoires qui ont une correspondance avec leur époque. Nous sommes les miroirs de nos contemporains. On n’a rien inventé depuis la bible, l’Iliade et l’odyssée. La corruption, les crimes et les injustices existent encore et toujours, partout sur la planète, et, avec la vitesse et les multiples moyens de communications, on aurait presque l’impression que notre époque est la pire à ce niveau là. Le Juge BAO n’appartient pas aux chinois, il est universel, et intemporel.
Pourquoi 9 tomes? Est-ce un chiffre symbolique?

C’est un chiffre magique en Chine et juste l’espace qu’il me fallait pour raconter ce road movie policier.
Enfin, quand sort le prochain tome? Toutes les manigances dans les prochains tomes auront-elles , de près ou de loin, de beaux yeux de femmes qui les enflammeront? Les enquêtes du Jube Bao répondent-elles à des schémas itératifs comme dans les polars?
Comme dans le polar, il y a des femmes avec du charme, fatales ou aimantes, des intrigues et des manigances, des crimes et de la corruption et un retour au palais impérial où le Juge Bao aura fort à faire pour déjouer les intrigues de la cour. Mais je n’en dévoilerai pas plus. La parution du prochain tome est prévue pour le 2 décembre 2011 chez tous les bons libraires que je remercie au passage pour avoir soutenu le Juge Bao dès sa sortie.
Chongrui nieChongrui Nie – Le dessinateur/ traduit du chinois par XU Ge Fei (Editions Feï)
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce scénario?
L’histoire est très recherchée et le caractère de chaque personnage est vraiment très riche.
Quel est votre parcours de dessinateur? Comment avez-vous décidé de travailler pour l’éditrice Xu Ge Fei?

Plus jeune, je me suis forgé une base très solide en peinture. À force de m’exercer dans le domaine de la bande dessinée, des illustrations et de la peinture à l’huile, mon niveau n’a cessé de s’améliorer. Lorsque l’éditrice Xu Ge Fei a découvert mes œuvres, elle a vraiment apprécié mon style et espérait pouvoir travailler avec moi. Lorsque j’ai lu le scenario que l’on m’a proposé, j’ai été aussi très intéressé par l’histoire du Juge Bao. C’est ainsi que notre coopération a débuté.
Travaillez-vous pour d’autres maisons d’édition en Chine? Aimeriez-vous le faire?

Pour le moment, non. Car je me concentre sur la série « Juge Bao ».
Echangez-vous souvent avec Patrick Marty lors de la création d’un tome? La distance, est- elle, selon vous, davantage un atout ou une contrainte pour deux artistes qui sont séparés par des milliers de kilomètres?

Aujourd’hui, grâce à Internet, la distance n’est plus un problème. Certes, les milliers de kilomètres qui nous séparent peuvent se traduire par une différence de culture et de perception des choses. Mais ceci apporte plus d’avantages que d’inconvénients, car cela permet à nos deux cultures de se compléter.
Quelle technique graphique utilisez-vous dans Juge Bao?

J’utilise principalement les techniques traditionnelles de peinture en noir et blanc et de gravure.
Vous semblez accorder beaucoup d’importance aux visages et à leur expression: est-ce une tradition de l’iconographie chinoise ou une préférence personnelle ?
J’y accorde beaucoup d’importance parce que l’histoire en a besoin. Dans une bande dessinée, la représentation de l’expression particulière d’un visage est essentielle, et c’est aussi la clé de ma création personnelle.
Vous êtes-vous inspiré d’autres représentations de l’histoire du juge Bao?
En ce qui concerne les vêtements et accessoires, j’ai effectivement eu besoin de me référer à des films et des photographies.
Le Juge Bao est-il un « héros national » en Chine? Est-ce un récit que le peuple garde dans sa mémoire vive ou simplement une histoire étudiée à l’école?
Le Juge Bao, par sa volonté de maintenir l’ordre et la justice à tout prix, est un vrai symbole en Chine. Le souvenir de son honnêteté et de son intégrité font donc avant tout partie de la mémoire collective de notre pays. C’est une personne connue par tout le monde en Chine, que ce soit par les adultes ou les enfants.
Un idéal de justice et d’humanité qui part en guerre contre la corruption… notre monde aurait bien besoin de juges Bao aujourd’hui… est-ce pour cela que ce juge Bao nous séduit tant?

Cette histoire n’est pas seulement une lutte contre la corruption, elle contient également une variété d’émotions humaines très complexes liées entre elles. C’est pourquoi ces émotions traversent les pays, les ethnies, les religions et le temps…

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