La leçon de jazz d’Antoine Hervé : Duke Ellington

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Partagez l'article !Par Guillaume Lagrée – BSCNEWS.FR / Leçon de Jazz d’Antoine Hervé.Paris. Auditorium Saint Germain des Prés. Jeudi 16 décembre 2010. 19h30.Duke Ellington. Antoine Hervé: piano, explications, grognements, chant. Antoine Hervé poursuit son oeuvre de salut public en propageant la bonne parole du Jazz avec un de ses Maîtres absolus, étudié aujourd’hui comme Bach […]

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Par Guillaume Lagrée – BSCNEWS.FR / Leçon de Jazz d’Antoine Hervé.Paris. Auditorium Saint Germain des Prés. Jeudi 16 décembre 2010. 19h30.Duke Ellington. Antoine Hervé: piano, explications, grognements, chant. Antoine Hervé poursuit son oeuvre de salut public en propageant la bonne parole du Jazz avec un de ses Maîtres absolus, étudié aujourd’hui comme Bach ou Mozart, Edward Kennedy  » Duke  » Ellington (1899-1974), pianiste, compositeur, chef d’orchestre.
Pour commencer, en toute logique,  » A Prelude to a kiss « . Et dire qu’il existe des malheureux sur cette Terre qui n’écoutent que du Rock ou du Baroque et qui ignorent tout de cette musique. Une minute de compassion pour eux.

Natif de Washington, il crée son premier orchestre  » The Washingtonians  » en 1923 à 24 ans. Au fil du temps, l’orchestre passa de 4-5 à 19 musiciens sans compter les chanteuses, les danseurs. Duke Ellington écrivait pour des musiciens précis comme Serge Gainsbourg pour les chanteuses. Comparaison audacieuse mais éclairante, Professeur Hervé! Le Duke a arrêté le sport pour la musique lorsqu’il s’est aperçu que la musique marchait mieux avec les filles.  » Tant qu’il y aura une jolie fille pour m’écouter jouer du piano, je continuerai  » disait-il encore à 68 ans en 1967. Il est né dans la bourgeoisie noire, a reçu une bonne éducation, fait une école de Beaux Arts. Par contre, il reconnaissait avoir plus manqué de leçons de piano qu’il n’en avait pris. Il a surtout appris d’oreille.

Exemple de standard composé par le Duke:  » I got it bad and that ain’t good « . Un Blues du Duke ne sent pas la sueur dans les champs de coton mais l’odeur urbaine des petits matins blêmes quand votre chérie est partie sans prévenir. Antoine Hervé le joue très bien.

Duke était la classe même, fidèle en amitié (avec les femmes, c’était une autre histoire), loyal, conciliant, sachant arranger les conflits. Sur le New York des années 1920 que le Duke comparait à un pot au feu, le professeur Hervé nous conseille de lire  » La beauté du monde  » de Michel Lebris. Je vous conseille  » New York  » de Paul Morand (1929), édité en poche avec une préface de Philippe Sollers qui aimerait bien savoir écrire comme cela.

Au début, le Duke était un pianiste de ragtime, musique à deux temps. Démonstration. A écouter le  » Soda Fountain Rag  » dans le  » Live at Whitney’s  » (solo de 1972). Duke a appris en regardant le piano pneumatique, en ralentissant le mécanisme pour suivre ce qui se passait. Il a appris le stride notamment le fameux  » Carolina Shout  » de James P. Johnson. On dansait dans les bars. Les gens vivaient, marchaient, dansaient, buvaient, fumaient, aimaient au rhythme du Jazz. Exemple de transformation en stride avec  » La lettre à Elise  » de Beethoven, fameuse guimauve, transformée en alcool fort grâce aux variations d’Antoine Hervé.

Le Duke était un excellent businessman. Il aurait pu devenir gangster vu ses mauvaises fréquentations. Il créa deux agences: une de communication, une pour artistes chacune travaillant avec et pour l’autre. A 20 ans, il avait déjà une voiture et une maison. A 60, il avait une centaine de costumes de scène, autant de chaussures et de chemises et ne savait lesquels choisir avant de monter sur scène. Entre 1926 et 1930, il enregistre 178 titre pour 18 compagnies sous différents noms, chaque contrat étant bien sûr exclusif. Dans les années 1920 à New York, naissance du style Jungle (rien à voir avec le style actuel d’électro). Wellman Braud à la contrebasse, Bubber Miley à la trompette, Sam « Tricky » Nanton au trombone qui jouait avec une ventouse pour déboucher les éviers, d’où le son wah wah bien avant que Jimi Hendrix n’ajoute une pédale à sa guitare électrique. Démonstration du professeur Hervé au piano en imitant avec sa voix les instruments de l’orchestre. C’est l’asphalt jungle de Harlem.

Cotton Club: artistes et serveurs noirs, clientèle blanche. Francis Ford Coppola en fit un beau film en 1984. Dans les années 1930, le Duke y joue et les concerts sont diffusés nationalement grâce à la radio WHN. C’est la gloire. Ivie Anderson, chanteuse, fut embauchée par le Duke en 1931 lors d’un passage à Chicago. Elle chantait  » It don’t mean a thing if it ain’t got that swing « . Quel Jazzman n’a pas joué ce morceau qui est une leçon de vie plus encore que de musique? Je bats la mesure du pied droit. Le charme opère toujours.

En 1925 le Duke écrit sa première comédie musicale:  » Chocolate kiddies « , bide à New York, triomphe à Berlin. C’était un compositeur à succès du début à la fin de sa carrière. Dans les années 1930 commencent les tournées internationales. C’est ainsi que Boris Vian et Django Reinhardt le rencontrent à Paris en 1938. Duke se sert de ses impressions de voyage pour composer. Ex:  » Ad lib on Nippon  » après une tournée au Japon. Il s’inspire des rythmes latins avec l’arrivée du tromboniste Juan Tizol qui lui apporte un morceau culte  » Caravan  » (écouter la version de Thelonious Monk sur l’album  » Thelonious Monk plays Duke Ellington « ). J’ai entendu Arthur H jouer ce morceau seul au piano à Lyon en 2000. C’est dire s’il dure. Juan Tizol amène aussi  » Perdido  » joué notamment par Charlie Parker et Dizzy Gillespie dans un fameux concert en Quintet au Massey Hall de Toronto en 1953.

En 1938, il rencontre Billy Strayhorn, grand compositeur, qui devient son deuxième cerveau jusqu’à la mort de Billy en 1967 ( écouter l’album hommage du Duke  » And his mother called him Bill « ). Ce tandem a hissé la musique de l’orchestre à des niveaux jamais atteints jusqu’alors ni depuis à mon avis. Billy était petit, timide, de santé fragile, homosexuel, bref tout l’opposé du Duke et pourtant ça collait.  » UMMG « (Upper Manhattan Medical Group) écrit par Billy durant un séjour à l’hôpital (comme  » Bloodcount « ).

Chez le Duke, le chef d’orchestre fait oublier le pianiste. Démonstration de riffs ellingtoniens (rythmes qui se répètent et qui pètent, saperlipopette!). Démonstration de walking bass main gauche et de riff main droite. Bienvenue au club! Exemple de pont ( cf  » Get it to the bridge  » de James Brown dans  » Sex Machine « ). Le professeur Hervé compare Igor Stravinsky et Duke Ellington avec des extraits du  » Sacre du printemps  » (merci à Mademoiselle L. pour ces précisions). Le Duke plaçait des figures à trois temps dans des mesures à quatre temps. Il était polyrythmique. Ex:  » Cotton tail  »

Il aimait aussi les ballades langoureuses et mielleuses. Ex:  » Do nothing till You hear from me « . Un bijou rare et précieux. Que dire de plus? Mon côté fleur bleue se réveille instantanément. Une autre ballade  » Mood Indigo « . Charles Mingus l’a souvent joué. Mingus vénérait Ellington bien que le Duke l’ait viré après une bagarre sur scène avec Juan Tizol (A lire dans  » Moins qu’un chien  » l’autobiographie de Charles Mingus). Une autre merveille d’élégance. Antoine reste fidèle au thème.  » Satin Doll  » qui évoque si bien la jolie fille apprêtée.

Avec l’arrivée du Be Bop, Duke Ellington devient ringard. Il est hors mode et écoute ce qui se passe. Comme il le disait:  » Il existe deux sortes de musique: la bonne et la mauvaise « . En 1956, il triomphe au Newport Jazz Festival avec un mémorable chorus de saxophone ténor par Paul Gonzalves sur  » Diminuendo and crescendo in Blue « . C’est enregistré même si cela a été probablement refait en studio.

 » In a mellow tone  » , la classe, toujours la classe. Un autre musicien classe, David Bowie, n’est-il pas surnommé  » The thin white Duke « ? John Wayne était aussi surnommé  » The Duke « . Mieux vaut écouter l’hommage de Stevie Wonder  » Sir Duke  » sur son album clef  » Songs in the key of life  » (1976).

En 1962, le Duke enregistre en petite formation trois albums avec trois géants du Jazz: Louis Armstrong, Coleman Hawkins, John Coltrane. Coltrane amène sa rythmique (Jimmy Garrison, Elvin Jones), le Duke la sienne (Aaron Bell, Sam Woodyard). Les rythmiques changent et se mélangent selon les morceaux. Coltrane est plein de respect et le Duke plein d’attention. Johny Hodges qui jouait le solo de sax dans l’orchestre sur  » In a sentimental mood  » resta pétrifié par la version de Coltrane. Tant de musiciens actuels se prennent pour des compositeurs qu’ils ne sont pas. Ils n’ont qu’à piocher dans l’oeuvre du Duke. Elle est inépuisable.

Dans les années 1960, le Duke adapta des oeuvres classiques: Casse Noisettes de Tchaikovsky, Peer Gynt d’Edvard Grieg. Il composa de la musique sacrée qu’il joua dans des cathédrales. Je me souviens avoir offert un  » Concert of sacred music  » d’Ellington au curé de Saint Malo en 1999. Il avait aimé.

 » I let a song go out of my heart « , léger, entraînant, élégant, forcément élégant.12 000 personnes assistèrent à l’enterrement du Duke en 1974. Le jour même de sa mort, Miles Davis convoqua ses musiciens en studio pour enregistrer son Requiem pour Duke Ellington:  » He loved him madly  » (album  » Big Fun « ).

Antoine joue  » Solitude  » superbe ballade jouée notamment par Sonny Rollins. Cette ballade porte bien son titre et Antoine la joue extrêmement bien.

 » Le Jazz n’a pas besoin de tolérance. Il a besoin d’intelligence et de compréhension  » ( Duke Ellington). La leçon de Jaz est finie. Alors que le public quitte la salle, la sono diffuse  » Fleurette africaine  » ( cf. début de l’article) en triumvirat avec Charles Mingus (contrebasse) et Max Roach (batterie) sur l’album  » Money Jungle « .

( Photo Juan Carlos Hernandez – Le blog )

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