Pierre Stasse : un jeune romancier très prometteur

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Partagez l'article !Par Emmanuelle de Boysson – bscnews.fr / Diplômé de Sciences Po, Pierre Stasse a obtenu le 1er prix du Concours de Nouvelles. Sa nouvelle a même été publiée dans Le Monde 2. Sa rencontre avec Guillaume Robert, membre du jury, le conduit à publier chez Flammarion son premier roman, « Les Restes de […]

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Par Emmanuelle de Boysson – bscnews.fr / Diplômé de Sciences Po, Pierre Stasse a obtenu le 1er prix du Concours de Nouvelles. Sa nouvelle a même été publiée dans Le Monde 2. Sa rencontre avec Guillaume Robert, membre du jury, le conduit à publier chez Flammarion son premier roman, « Les Restes de Jean-Jacques », en 2009. A 24 ans, ce jeune homme doué et passionné de littérature prépare le concours du Barreau. Son deuxième roman, « Hôtel Argentina », paraît en janvier 2011 chez Flammarion. Au cœur de l’été argentin, « Hôtel Argentina » raconte l’itinéraire d’un jeune voyageur dans une famille divisée par les secrets. Pierre Stasse nous fait découvrir un Buenos Aires fascinant qui respire au même rythme que le narrateur. Son style élégant, son sens du récit, de l’intrigue et son art d’évoquer des personnages inoubliables font de lui un des romanciers les plus prometteurs de sa génération. Par son souci de s’éloigner de l’autofiction, il est précurseur de cette nouvelle vague d’écrivains en quête d’aventures, d’histoires fortes. Ne dit-il pas que l’autofiction « ne peut que mener à l’affaiblissement de la production littéraire en France » ?

Parlez-nous de vous, de votre enfance, de vos passions…
J’ai vingt-quatre ans et suis en train de redevenir étudiant à Paris. Je ne peux pas vous parler de moi car je ne sais absolument pas faire ça. Vous parler de mon enfance requerrait beaucoup de temps et j’ai de sérieux doutes sur l’intérêt de la chose. Pour mes passions, je crois qu’il ne serait pas complètement éhonté de parler du vin, des « spaghetti aglio olio e peperoncino » et des instants où la chaleur est écrasante dans le Gard. Les autres passions se situent soit dans la zone dont je ne sais pas parler, soit dans celle dont je ne veux pas parler.
Comment faites-vous pour concilier l’écriture et la préparation du concours du Barreau ?
J’ai obtenu le Barreau en 2009 après avoir terminé Sciences-Po et continué des études de droit, puis j’ai consacré l’année 2010 à voyager dans le monde entier. Les Restes de Jean-Jacques, mon premier roman, est sorti alors que j’étais en amphi en train de passer des concours blancs pour le barreau. Ces années sont chargées et passionnantes, et peut-être est-ce là l’unique secret : je parviens à concilier ces choses-là car je les trouve intéressantes. Le sommeil paraît alors moins capital. Le reste n’est qu’une question d’organisation. Mais je crois que le problème se pose à toutes les personnes avides de culture et de découvertes. Le temps manque et il faut bien se débrouiller. Cela n’a rien à voir avec le fait de devoir concilier plusieurs métiers ennuyeux pour s’en sortir.
Comment vous est venue l’envie d’écrire ? Parlez-nous de votre famille…
Mon envie d’écrire est née de mon amour pour la lecture, mon amour pour la littérature. Je suis impressionné par ce que certains écrivains parviennent à créer dans l’esprit du lecteur et j’ai voulu essayer. Lorsque j’ai écrit mes premiers textes de fiction, vers 18-19 ans, je ne me doutais pas que le fait même d’écrire, indépendamment de tout lien avec le lecteur, était une expérience bouleversante, incroyablement physique et, en ce qui me concerne, l’unique moyen d’exprimer ma vision du monde.
L’idée de ce roman est-elle née d’un voyage à Buenos Aires ? Qu’est-ce qui vous fascine dans cette ville ?Je suis effectivement parti à Buenos Aires tout seul pendant plusieurs mois. Avant de partir, j’avais terminé un texte que j’hésitais à montrer à mon éditeur. J’avais consacré un an et demi à son écriture, à Paris, mais je n’en étais pas satisfait. Ça ne s’explique pas : vous sentez que « quelque chose » ne va pas et votre esprit est tellement embourbé dans l’immense réseau de mots que vous avez tissé qu’il devient illusoire de déceler la faille dans votre propre texte. Alors, du jour au lendemain, j’ai pris un billet pour Buenos Aires, sans savoir pourquoi ni vraiment pour combien de temps. Je ne songeais pas à écrire un nouveau texte, mais simplement laisser reposer l’ancien et découvrir un pays magnifique.
Cette ville est un mélange délicat à décrire : une confrontation entre un monde figé, probablement perdu, un premier XXe siècle heureux, une longue période de gouvernance militaire criminelle et enfin un dynamisme moderne, qui fait de Buenos Aires un lieu plein de jeunes entrés dans la mondialisation. Mais Buenos Aires est davantage : elle est la rencontre entre la misère économique et la prospérité historique, entre une nostalgie quasi pathologique, dont le syndrome le plus connu (et mal interprété) est le tango, et une projection absolue vers le futur grâce à ses artistes. Buenos Aires abrite la cohabitation entre la vieille aristocratie devenue bourgeoise et la dangerosité rencontrée dans n’importe quelle ville où une frange considérable de la population a du mal à vivre. Buenos Aires est une ville autant qu’un état d’esprit, une fragile « intranquilité » aurait dit Pessoa.
Enfin, et j’arrêterai ici pour la géographie du livre, comme dans chaque roman (en tout cas de celui-ci) Buenos Aires n’est pas simplement un lieu géographique réel : c’est également, pour le narrateur, un espace intérieur où les différentes versions d’une même vérité se rencontrent. Je crois que nous possédons tous un espace similaire.
Aviez-vous la même envie que le narrateur : « Études terminées, métier délaissé, le temps était venu de disparaître ». Quel est pour vous le sens de ce voyage ? Pourquoi ce roman ?
Pour le narrateur, il semble que ce voyage corresponde à une respiration : il part, quitte tout, et saute dans l’inconnu, il agit comme un être en totale liberté (il a un peu d’argent, peu voire pas de responsabilités et est en bonne santé). À sa respiration propre vient se mêler la respiration de la ville, immense, chaude, envoûtante, qui très vite lui prouvera que la liberté totale est extrêmement difficile à préserver.
Je repense à une phrase d’Albert Thibaudet, qui rappelait que « le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible, le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle ». La puissance de l’autofiction en France nous incite tous à envisager derrière les mots d’un auteur les empreintes de sa propre vie et je suis persuadé que c’est une erreur car elle ne peut que mener à l’affaiblissement de la production littéraire en France. Je ne pense pas que les lecteurs souhaitent savoir quels personnages composent ma famille réelle, puisque ces derniers n’habitent pas mon roman. Je crée des personnages qui font appel à l’imaginaire, incomplets et modulables, des personnages qui sont des projections de ma sensibilité mais qui, si je n’ai pas raté mon coup, devraient pouvoir correspondre aux projections des lecteurs. C’est la raison pour laquelle je ne parle pas de « mon père » dès le début du roman, mais bien du père du narrateur. Les femmes rencontrées, les aventures vécues, les drogues consommées, les drames endurés, la violence assumée, les joies éprouvées, les secrets révélés, bref, tout le prisme de sensibilité au cœur de la création littéraire, s’il se situe au cœur de ce roman, ne se situe pas nécessairement au cœur de ma vie personnelle. Si Hôtel Argentina contient sans aucun doute les « directions infinies de ma vie possible », le lecteur n’a pas besoin de savoir, et à mon humble avis ne souhaite pas savoir, si j’ai suivi toutes ces directions durant le voyage que j’ai effectué à Buenos Aires. Cependant, je dois admettre que je partageais avec mon narrateur le plaisir de la disparition momentanée, à l’autre bout du monde.
Dès le début, vous parlez de votre père : « Mon père est mort… Je sais qu’il a vécu à Buenos Aires… ». On s’attend à une recherche, sur les traces de ce père. Pourquoi n’avez-vous pas été dans cette voie ?
Je ne crois pas que mon narrateur cherche consciemment son père dans cette Argentine. Je ne souhaitais pas écrire un roman « familial » classique qui viendrait s’ajouter à la somme de ceux qui existent déjà. Certains romanciers possèdent le thème de la famille comme thème de prédilection : ce n’est pas mon cas. Je m’intéresse à la liberté, au hasard, à la violence et à la beauté.
On dirait que le narrateur se recrée une famille très particulière. Qu’est-ce qui l’attache tant à ces personnages hauts en couleur ? Vous êtes-vous inspiré de personnes réelles ? Leurs secrets que je ne voudrais pas révéler sont-ils vrais ?
Le narrateur se recrée une famille, ou en tout cas les événements la recréent pour lui ! Je crois qu’il s’attache à eux par curiosité et par humanité. Le narrateur s’attache à eux car ils lui font découvrir Buenos Aires autrement que comme un touriste, et, par voie de conséquence, lui permettent de se poser certaines questions que jamais il n’aurait osé se poser seul. J’essaye de créer des personnages qu’on a envie d’aimer et dont le comportement suscite une réflexion chez le lecteur : les personnages d’un seul bloc m’ennuient.
Quant à leurs secrets et à l’origine de ces secrets, ma réponse rejoint la précédente sur mon voyage à Buenos Aires. Hôtel Argentina est un roman, un pur roman. Je trouverais catastrophique que ma vie privée vienne empiéter sur le droit légitime du lecteur à une projection littéraire libre de tout parasitisme.
Je suis favorable à ce qu’un écrivain demeure une abstraction pour le lecteur, sauf à ce qu’il s’agisse d’un écrivain engagé, en politique par exemple.
Comment avez-vous construit cette histoire ? Avez-vous fait des recherches ? Lesquelles ? Cette histoire est le résultat d’un jet continu sur une période assez courte. J’ai écrit quasiment sans m’arrêter, jours et nuits, jusqu’à sentir, physiquement, que j’avais « expulsé » cette histoire hors de mon cerveau. En ce qui concerne la cuisine d’auteur, j’écris sans plan prédéfini, et en ne sachant à peu près rien de ce que je vais écrire. Ça paraît irresponsable d’écrire ainsi et ça comporte certains risques (par exemple, le précédent manuscrit, auquel j’ai consacré un an et demi, restera dans un tiroir), mais la liberté que permet une telle méthode d’écriture (si tant est qu’on puisse parler d’une méthode) mérite tous les aléas.
Je n’ai pas fait de recherches à proprement parler. Je possédais déjà tous les éléments susceptibles de nécessiter une recherche particulière avant même de savoir que je souhaitais écrire ce livre. Je fonctionne comme ça : je lis sans arrêt et prends des notes dans un carnet. Les notes n’ont aucun rapport entre elles et souvent demeureront de simples notes. Parfois, elles me servent et se retrouvent dans un roman. Mais je n’ai pas eu besoin de me rendre en bibliothèque ou de chercher dans des archives pour bâtir ce roman.

Avez-vous d’autres projets ?
J’ai des projets de théâtre et je souhaiterais écrire d’autres romans, mais je vais devoir effectuer ma scolarité à l’École de Formation du Barreau, faire des stages, etc. Tant pis, je trouverai le temps ! Ma priorité est Hôtel Argentina. J’aimerais tant pouvoir partager cette histoire avec les lecteurs. De tous mes projets littéraires, c’est le seul qui compte à l’heure actuelle.
(Crédit Photo Arnaud Février)

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