Frédéric Cartier Lange: Graphisme et poésie au coeur du processus créatif

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Interview de Frédéric Cartier-Lange/ Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA/ Bonjour Frédéric, diriez-vous que vous aimez mêler graphisme et poésie dans vos ouvrages? Ce sont deux domaines auxquels je suis sensible. Ils ne sont pas antinomiques. Dans certains de mes travaux, je pense en particulier à « M.Modeste » et « Plumes de mots », graphisme et poésie sont au cœur du processus créatif. Pour « M.Modeste », je suis parti des textes et des meubles d’Alain Fornells car j’ai été touché par la poésie et la force de sa pratique. J’ai créé un personnage, monsieur Modeste, qui nous fait voyager à travers ces meubles totémiques. Ils évoquent la Guerre Civile Espagnole, des personnes marquantes pour Alain ou des personnages sortis de contes occitans… Ce sont des meubles faits de cagettes, planches et autres objets récupérés déjà marqués par leurs histoires. J’ai toujours été attiré par l’âme des objets de récupération. Kurt Schwitters concevait ses tableaux « Merz » comme des poèmes… Dans « M.Modeste » je mixe différentes techniques comme le dessin, la peinture et la photographie pour créer un univers qui va dans le sens de mon interprétation du texte. Le plus souvent je réalise la maquette de l’album, le graphisme ne se limitant pas à l’illustration, il déborde sur la typographie, la mise en page… cela fait également partie de la création. Dans « Plumes de Mots », album édité aux Éditions du Bonhomme vert, je pars d’un décor épuré, puis au fil des pages le rythme change, les éléments graphiques vont crescendo pour nourrir l’histoire. J’essaye d’appréhender la maquette de l’album comme on pourrait le faire pour une composition musicale. C’est un album où la frontière entre le texte et l’image devient infime.
Pourquoi vous être dirigé vers la littérature jeunesse? La littérature jeunesse est vraiment ouverte à la diversité graphique. Je suis avant tout un illustrateur, j’amène l’écriture vers des mondes que je veux mettre en image. Après deux ans sur un projet de BD assez noir, j’avais besoin de changer de sujet, de prendre quelque chose à l’opposé. C’est ainsi que « Terminus, un petit termite très déterminé » a vu le jour aux Éditions du Bonhomme vert. L’album jeunesse me permet de varier les styles, les personnages et les techniques assez rapidement. Je ne veux pas m’enfermer dans un univers en particulier. J’ai besoin d’explorer les techniques et leurs multiples métissages. C’est dans cette exploration que je prends un réel plaisir.
Né à Nîmes, un jour, vous avez naturellement eu envie d’imaginer la biougraphie d’un taureau de Camargue? Bioulet L’histoire a été écrite par l’auteur René Domergue qui me l’a présentée au cours d’un salon.Après cela je lui ai proposé un début de projet qu’il a validé et le petit taureau est né…Je suis gardois et c’est vrai que la bouvine est une culture bien ancrée ici. Mais j’ai toujours vu ces événements d’assez loin. Justement j’ai appris pas mal de choses sur ces traditions en faisant l’album. Ce qui m’intéressait dans ce projet, c’était de proposer des solutions graphiques qui sortent de l’image traditionnelle et qui m’éloignent de ce que j’avais pu faire auparavant.
…rien qu’au titre, on perçoit le désir d’insérer de l’humour…est-ce un ingrédient nécessaire à tous vos albums? Pour mes projets en littérature jeunesse très souvent un brin d’humour colore le récit surtout dans « Terminus » et « Le petit méchant loup de l’Espérou ». Ce n’est pas vraiment une volonté, je m’amuse d’abord. Mais il y a des moments aussi où j’ai besoin de créer des mondes plus noirs et qui ne sont pas forcément destinés à un jeune public.
terminusParlons de Terminus: quelles techniques graphiques utilisez-vous pour illustrer cet album? Je commence par un crayonné puis j’utilise de la gouache et des crayons de couleurs. Je cerne les zones au premier plan avec un feutre noir. Le plus souvent les personnages sont isolés du décor car je recompose le tout de manière infographique. Je réalise des retouches et quelques effets avec les logiciels adaptés. Dans « Terminus, un grand chevalier (ou presque) » j’ai réalisé des caractères typographiques découpés dans du papier que j’ai ensuite peints pour finir par quelques ajustements sur l’ordinateur. Les illustrations de l’album Terminus laissent encore une grande place au travail sur support papier avec des techniques traditionnelles ce qui n’est pas tout à fait le cas dans « Plumes de mots ».
Pourquoi un termite? Cela permettait simplement plus de jeux de mots que « fourmi »? Terminus, Terminuscule, Patermite, Termitator… Non, les jeux de mots sont venus après…Je cherchais un sujet qui n’avait pas, ou peu, été exploité. J’ai d’abord pensé aux acariens puis aux termites.Je voulais rendre ces petites bestioles plus sympathiques. Ce qui m’intéressait chez les termites c’est qu’à l’instar des fourmis et des abeilles ils vivent en groupe. Il y a donc de possibles analogies avec notre mode social. Je recherchais également un univers qui pouvait fourmiller de détails.
Petit, rêviez-vous d’être un grand chevalier? Lors d’une rencontre avec des scolaires un professeur m’a demandé parmi mes personnages quel était celui qui me ressemblait le plus.En faisant le tour de la question je me suis rendu compte qu’il y avait un peu de moi en tous. Sans doute qu’être un chevalier doit faire partie de la panoplie.Terminus - Frédéric Cartier lange
Terminus est un  » chevalier ». Est-ce par nostalgie pour les héros comme Don Quichotte auquel vous faîtes allusion? Nostalgie, je ne crois pas. Être un « chevalier » de nos jours est complètement anachronique et c’est ce décalage qui est drôle. Je suis davantage nostalgique de ce type d’humour, de dérision, qui n’a pas besoin de tomber dans la grossièreté pour faire sourire l’esprit. Terminus est à l’image de Don Quichotte dans le sens où c’est un héros qui n’en n’est pas vraiment un. Ni par sa personne (c’est un minus), ni par sa parure (objets de récupération), ni par ses actes (il n’a pas le courage de déclarer sa flamme). Mais pour moi Don Quichotte possède une arme redoutable celle de pouvoir transcender la réalité par l’imaginaire… C’est ce qui fait la force de Terminus.
Après le tome 2, Terminus s’apprête-t-il à vivre de nouvelles aventures? Pour le moment il n’y a pas de suite prévue mais les fins de Terminus restent toujours ouvertes…
plumes de motsParlez-nous de Plumes de mots… C’est l’histoire d’un oisillon qui est sur son arbre et qui se nourrit des paroles d’oiseaux de passages extraordinaires, jusqu’à ce que, à son tour il s’envole et raconte son histoire, celle de l’oiseau aux plumes de mots…C’est dans cet album que j’ai travaillé le plus étroitement graphisme et poésie. D’abord je me suis limité à un décor assez dénudé : un oiseau, un arbre et un fond presque abstrait avec de grands espaces « vides ». Je voulais laisser libre part à l’imaginaire des lecteurs. À l’inverse les oiseaux de passages contrastent par leurs couleurs et leurs détails.L’oisillon se nourrit des histoires qui lui sont contées au sens propre comme au sens figuré. Au fil des pages et des rencontres ses plumes poussent, elles se colorent et du texte gravite autour de lui. Pour la conception de cet ouvrage j’ai d’abord dessiné les oiseaux puis le texte est venu. J’ai sollicité la sensibilité de ma compagne pour travailler le texte avec elle.
Avez-vous d’autres héros en poche qui sont en train de s’aventurer sur les pages d’un nouveau récit? Quels projets pour 2011? Oui, j’ai pas mal de projets dans les tiroirs et dans la tête : il y a un marin qui m’attend pour prendre le large… Une fille avec une étrange valise… Un projectionniste au milieu des collines… Des moustiques à l’orée d’un étang et de multiples collaborations en perspective avec des graphistes, des illustrateurs et des auteurs.Peut-être d’autres personnages et projets apparaîtront entre-temps ? Il y a toujours une part d’aléatoire.En général mes projets ne sont pas des commandes, je les conçois parce que j’ai d’abord envie de leur donner forme. Ensuite, je démarche auprès des éditeurs susceptibles d’être intéressés. Ce qui manque le plus c’est le temps pour pouvoir mettre en place et concrétiser mes projets. La création jeunesse n’est pas ma seule activité je travaille comme graphiste indépendant et formateur. Il me faut jongler un peu, donc pour 2011 je ne sais pas exactement, peut-être l’histoire du marin et celle des moustiques…
Enfin, si vous deviez offrir un livre , lequel serait-ce? pour un enfant? pour un adulte? Pour un enfant ce serait un livre avec des pages vierges pour qu’il puisse imaginer ses propres histoires. Pour un adulte qui aime voyager avec les mots j’offrirais « Le rivage des Syrtes » de Julien Gracq ou encore « le marin » de Fernando Pessoa. Si c’est un passionné de graphisme ce serait davantage « la Cantatrice chauve » d’Eugène Ionesco mise en page par Robert Massin.

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