Poésie: des mots toqués pour la jeunesse

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Interview de Françoise Laurent / Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA/ Les mots toqués: un titre qui invite à plaisanter et à jouer? Avant tout, il faut savoir que j’écris, très égoïstement, pour moi. Ecrire, c’est transmettre une humeur, une façon de percevoir le monde à un moment donné. Et en effet, en écrivant les Mots toqués, j’avais envie de m’amuser, m’amuser en travaillant, envie de plaisanter, faire un pied de nez au langage.
Le cachalot est au chocolat ce que la baleine est à la madeleine? Il m’arrive très souvent de « lire trop vite », des affiches, des panneaux, et je déforme inconsciemment les mots. Par exemple, au lieu de lire le « vignoble varois », sur l’autoroute A8, en traversant le var, depuis toute petite, je lis « L’ignoble varois ». Cette prédisposition (due à une dyslexie) j’ai voulu en faire une richesse dans les Mots Toqués. Le cachalot et le chocolat, la baleine et la madeleine, sont présents dans ma tête depuis longtemps. Pour moi, c’est un jeu de construire du sens à partir de sonorités.
Diriez-vous que vous écrivez des fables ou des poèmes? Plutôt des fables. Elles n’ont pas toutes une « morale », je déteste faire la morale, mais je dirais davantage qu’elles font appel au bon sens : le sens de l’humour fataliste face à la vie.
Férue depuis toujours de jeux de mots? Avez-vous des références littéraires qui jouent délicieusement aussi avec la paronymie et autres jeux de langue et dont vous avez toujours admiré le travail? Références littéraires ? Raymond Devos, Pef, bien sûr… et l’écoute du langage des enfants qui, en s’appropriant des mots dont ils ne comprennent pas le sens, inventent des merveilles.
Pourquoi choisir un public jeunesse? les enfants sont-ils plus sensibles à la poésie? Mais qu’est-ce que la poésie ? Pour moi, c’est un travail sur le registre émotionnel en direct. C’est à dire, sans le support d’une « histoire ». Je ne sais qu’inventer des histoires, poétiques parfois. Ecrite en vers et en rimes. Est-ce de la poésie ? Pour les adultes, en poésie, je ne sais qu’écrire à partir de tableaux. Il me faut un support concret, un point de départ. Sur mon site, on peut découvrir mes écrits sur les œuvres d’artistes. Autrement, je trouve mes émotions un peu fades et quelconques.
N’avez-vous jamais été tentée d’écrire pour les adultes? Mais j’écris pour les adultes ! Des polars. Au début, je n’écrivais que pour eux. Des romans intimistes, qui ont viré au noir. C’est mon éditrice du Ricochet qui m’a poussée à écrire pour la jeunesse. J’ai plongé dans ce monde avec un peu d’appréhension, au début. Ne serai-je pas « gnangnan » ? C’était mon angoisse. Adapter mon écriture, sans « tomber » dans un langage spécialement pour enfants… trouver la limite entre l’accessible et la facilité. Pour moi, une performance de funambule !
Prenons au hasard ces titres: « Quand navret navré, asperge aspergée », « L’échalotte chochotte et le saucisson polisson ». Comment ont-t-ils éclos? Avez-vous des techniques pour piéger les mots toqués dans votre stylo ou s’invitent-ils à l’occasion et il faut alors les noter dans des petits carnets de peur qu’ils ne s’échappent? Tous les textes des Mots Toqués sont nés durant un été, en Haute-Saône. Nous avions loué un gîte, à plusieurs copains, et, moi qui ne fais jamais à manger, ni les courses, j’ai pris chacun de nos repas comme base de départ à un poème. J’avais branché mon esprit sur le détournement de mots, et mes amis n’ont pas pu passer un repas tranquille. Chaque aliment était « décortiqué », travesti, décomposé pour être reconstruit différemment… je crois qu’à la fin du séjour, tout le monde parlait de travers ! A noter que j’ai réellement un frère, qui s’appelle Paulo, et à qui la peau du poulet plaît particulièrement.
Comment sont nés les Mets mécontents? Après des heures d’aire de jeux dans la cuisine? Pour les Mets Mécontents, ils venaient après un repas orageux. A cause de moi, peut-être. J’énervais un peu avec mes jeux de mot. Je nous ai tous vus comme des aliments furieux.
A l’école, on enseigne à distinguer les différents niveaux de langue et les enseignants réclament souvent l’utilisation du langage soutenu…au détriment du langage familier et courant selon vous? Le langage familier regorge de perles sonores dont on ne peut se passer en poésie? Je suis par ailleurs (mais est-ce vraiment ailleurs ?) enseignante, et, s’il est bien nécessaire d’apprendre aux enfants à discerner les niveaux de langage, l’utilisation du langage courant n’est pas du tout prohibée. Cela dépend du contexte et du « récepteur » comme on dit. Ce qui est intéressant, c’est d’écrire un texte, en remarquant bien la différence entre le discours, soutenu, du narrateur, et le langage parlé des dialogues. Ce moment où l’écrit rejoint la parole car il la traduit. On peut même écrire des textos, dans un texte, du moment qu’il est clairement Françoise Laurentspécifié que c’est un texto ! (et donc, une écriture, je dirais « schématique »)
La poésie, haut-lieu de liberté, est-ce le message que vous souhaitiez transmettre aux enfants? Pour moi, l’Ecriture est un espace de liberté. Poétique ou pas. C’est un espace de liberté, car c’est un espace de rencontre avec soi-même. Un miroir. Et les miroirs ne renvoient pas que l’image de celui qui s’y regarde. Ils renvoient aussi le monde autour. Ceci dit, la poésie, de part ses contraintes (vers, rimes… si l’on adopte l’idée que la poésie doit obéir à ces contraintes), ouvre un champ plus large à l’imagination. En effet, je suis persuadée que les contraintes favorisent l’imagination. Les contraintes formelles. Lorsqu’on doit, impérativement, utiliser un son, on est bien obligé de sortir de sa pensée première. Obligé d’aller voir ailleurs, dans des terrains inexplorés. Sortir de ses habitudes, ses tics, ses idées toutes faites.
Enfin, quel(s) projet(s) pour cette fin d’année? Une nouvelle parution? 4 nouvelles parutions en jeunesse : « Les habits d’Amélie » : au Ricochet, printemps 2011. L’histoire d’une tortue qui n’est pas contente de sa carapace. Elle rêve d’autres habits et va les emprunter à différents animaux… « Y a des hauts, y a des bas » – au Ricochet : recueil de poésies sur le thème des vêtements (même collection que les Mots Toqués) – en 2012  » 5 merveilleuses histoires de poneys et chevaux », chez Hachette. Un coffret comportant 5 histoires qui se passent dans un poney club + le décor à monter et les figurines des personnages. Novembre 2010 Et enfin, je viens de l’apprendre, un policier pour les enfants qui sortira chez Rouge Safran en 2012.

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