Vanessa Place: Domaine sexuel à la barre
Par Stéphanie Hochet – PUTSCH.MEDIA/ Vanessa Place n’est pas une femme banale. Avocate à Los Angeles, critique d’art, écrivain…les photographies la montrent les bras tatoués, toute de noir vêtue comme une rockeuse. Son premier opus traduit en français (et son sixième ouvrage) : Exposé des faits ressemble à son auteur : il est étrange et fort. Ce livre réuni cinq dossiers à charge délivrés par un greffier anonyme dans lesquels sont exposés les détails de l’accusation à l’encontre d’un appelant – autre terme pour accusé -, suivis de trois arguments pour des plaidoiries. Presque tous ces cas sont des crimes sexuels et correspondent à la spécialisation de Vanessa Place, avocate en charge de la défense des criminels sexuels. L’auteur s’en explique : il est question [dans le domaine sexuel] des libertés fondamentales de l’individu. Rapportées dans une terminologie particulière, celle de la justice, ces histoires se concentrent autour d’événements bruts, livrés sans recherche littéraire classique. Cet aspect clinique est doublement intéressant : on découvre le cœur des dossiers d’un avocat, et on assiste à la réalité sociale d’une certaine Amérique où le sordide et la violence n’ont pas fini de s’épanouir. Viols sur mineurs, tentatives d’approches pédophiles, matraquage policier, et recrutements de jeunes prostituées par des souteneurs sont le quotidien des bas-fonds de Los Angeles. Exposé des faits livre des renseignements stupéfiants sur les règles du milieu de la prostitution. On y voit le travail d’approche et le processus d’endoctrinement des macs qui repèrent des jeunes filles perdues, fugueuses la plupart du temps, sans famille solide. La première étape s’appelle l’accroche : le souteneur paie l’hôtel et des vêtements neufs à l’adolescente (parfois 13 ou 14 ans) qui comprend assez vite qu’elle doit bosser en échange. Si le travail n’est pas accompli dans la soumission exigée par le mac, la deuxième étape consiste à punir : l’adolescente est contrainte d’avoir des rapports sexuels avec le souteneur, elle sera battue, humiliée jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’il n’est pas dans son intérêt de résister. L’essentiel est de décourager les prostituées de sortir du circuit : l’artère de rues où les prostituées exercent leur profession. Elles se doivent de résister aux approches d’un autre mac (qu’elles ne regardent pas dans les yeux parce que cela signifie qu’elles seraient prêtes à travailler pour lui), certaines portent des tatouages au nom de leur mac ( !). D’autres règles dominent le milieu : on touche les parties intimes des clients avant de partir avec eux pour être sûr qu’ils ne sont pas de la police, les relations entre macs et prostituées reposent sur la suspicion, on tient son souteneur pour un protecteur et on l’appelle daddy (papa)… C’est ensuite à l’avocat de la défense de s’emparer des dossiers. Dans la première affaire de viol, l’avocat établit que l’appelant n’a pas pratiqué de coït oral sur la victime comme le dossier à chargel’affirmait puisque l’appelant possédait un matelas à eau et qu’il pesait à l’époque une centaine de kilos… Sec et concret, le livre de Vanessa Place bouscule la vision qu’on pourrait avoir de la justice, mais aussi de la littérature en s’inscrivant dans la filiation de 10e chambre, instants d’audience de Raymond Depardon. Titre: Exposé des faits Auteur: Vanessa Place. 121 pages. Éditions: ere. Septembre 2010. Traduit de l’américain par Nathalie Peronny.