Par Emmanuelle de Boysson –PUTSCH.MEDIA / Elle est la fille de l’écrivain Gilles Lapouge. Si elle avoue que son père ne l’a pas encouragée à écrire, elle a été élevée dans l’amour de l’écriture et des lettres. Comme Claude et Jean Mauriac, Yann Queffélec, Marie Nimier, Alexandre Jardin… elle a pris son indépendance, s’est lancée, sous le regard curieux, peut-être un peu méfiant de son père. Son roman « Moi, Ghisla, sœur de Charlemagne », vient de paraître chez Albin Michel. A la fin du VIII ème siècle et de l’Empire roman, à l’orée du Moyen-âge, Charlemagne façonne son royaume et se fait Empereur d’Occident. Laure-Marie Lapouge se glisse dans la peau de sa sœur, Ghisla, et dévoile la relation incestueuse que cet homme possessif entretint avec elle et deux enfants, dont Roland, héros de Roncevaux. « Charlemagne avait un amour coupable pour sa sœur » : Vrai ? Faux ? La fiction rejoindrait-elle la réalité ? Laure-Marie nous plonge dans une époque barbare et lumineuse, comme si nous y étions ! Cette romancière passionnée d’astronomie a l’étoffe d’une grande. Un style limpide, moderne, le sens de la mise en scène, des rebondissements et l’audace d’aborder un sujet dérangeant. Elle ira loin ! Nous l’avons rencontrée.
Ecrivez-vous depuis longtemps ? D’où vous vient l’envie d’écrire ?
J’écris depuis l’âge de huit ans, à une époque où mon père n’était pas encore un écrivain. Pourquoi une petite fille s’assoit-elle un beau jour sur son lit avec un cahier et un crayon et écrit « roman » sur la première page ? Je n’en sais rien. J’aime ça, tout simplement. Stephen King dit que c’est comme si une fenêtre s’ouvrait sur d’autres mondes. Ecrire ouvre un espace de liberté. Quand j’écrivais « Ghisla », je me promenais au VIII ème siècle, je voyageais à cheval sous la neige avec les guerriers, les moines et les princesses, je me recueillais dans des chapelles silencieuses, j’entendais le chant des loups dans les immenses forêts. Ecrire est un plaisir.
Quel est votre parcours ? Quelles sont vos passions ? Exercez-vous un autre métier ? Après des études de philo, j’ai été journaliste à l’Agence France Presse, puis pigiste. Des passions ? J’en ai trop, ce qui me fait perdre beaucoup de temps. En vrac : la musique classique, le jardinage, mes enfants, les amis, la politique… Et l’astronomie. Je ne me lasse pas de découvrir l’Univers, les étoiles, les quasars, les galaxies. A dix ans, j’ai écrit au président des Etats-Unis pour devenir astronaute. Il ne m’a pas répondu !
Parlez-moi de votre famille… Avoir un père écrivain, est-ce une chance ? Vous encourage-t-il ?
C’est une chance et une malchance. Une chance, parce que j’ai vécu dans un milieu où l’on aimait les livres, les écrivains. Une malchance parce que je me demandais si j’écrivais parce que mon père écrit. Des questions qui m’ont bloquée pendant un certain temps. Un beau jour, je suis revenue à la simplicité : j’écris parce que j’aime ça, point barre. Mon père pourrait être dentiste ou charpentier, ce serait la même chose. Il ne m’a pas encouragée – il a connu trop d’écrivains qui souffraient, parce qu’aucun éditeur ne voulait de leur texte, qu’ils sombraient dans le fameux vertige de la page blanche… Il ne m’a pas découragée non plus, jamais.
Comment vous est venue l’idée de ce roman ?
Je tournicote en permanence des idées de romans dans ma tête. Un jour, j’ai imaginé un roman qui raconterait une histoire d’amour entre un roi et sa sœur. J’ai décidé – allez savoir pourquoi ! – de choisir Charlemagne comme roi et de lui inventer une sœur aimée. Au cours de mes recherches sur son règne, j’ai découvert qu’il avait vraiment une sœur, qui s’appelait Ghisla – ou Gisèle si l’on modernise son nom. Mieux : je me suis aperçue que pendant tout le Moyen Age, une légende a couru, selon laquelle Charlemagne avait un lourd péché sur la conscience : un amour coupable pour sa sœur… Un vitrail de la cathédrale de Chartres raconte ce « péché de Charlemagne », ainsi que plusieurs versions de la chanson de Roland. Du coup, je me suis sentie un peu obligée de raconter cette histoire.
Avez-vous effectué beaucoup de recherches sur le Moyen-âge ? Lesquelles ?
J’ai lu à peu près tout ce qui existe sur Charlemagne. Travaux des historiens français et allemands, chansons de geste – y compris une version norvégienne, la « Karlamagnus saga »… J’ai fini par faire des fiches. Chaque détail exigeait une vérification : qui était abbé du monastère d’Echternach en 770 ? Où était Charlemagne pour les fêtes de Pâques 776 ? Que mangeait-on, y avait-il des petits pois, des choux-fleurs ou des prunes au VIIIe siècle ?
L’inceste entre Ghisla et son frère a-t-il existé ? Pourquoi se pencher sur ce secret ? A-t-il des effets sur l’histoire ?
La légende qui a circulé pendant des siècles sur cet inceste correspond-elle à une réalité ? Aucun historien, aucune source ne confirme cette affaire. Un secret bien gardé : on ne risque pas d’en trouver des traces dans un texte officiel. Certains historiens récents n’écartent pas cette hypothèse. Je ne pense pas que cela ait eu des effets sur l’Histoire, excepté peut-être le fait que Rome n’a jamais voulu canoniser Charlemagne, bien qu’un anti-pape, Pascal III, l’ait mis au nombre des saints au XIIe siècle à l’instigation de l’empereur allemand Frédéric Barberousse.
Défendez-vous à travers ce livre le pouvoir des femmes en politique ? Qu’en pensez-vous ?
J’ai essayé de montrer que les femmes ont eu plus de pouvoir et de liberté que nous ne l’imaginons. A l’époque de Charlemagne, elles ne sont pas cantonnées à la cuisine et à la maternité. Dans les grandes familles, elles ont un rôle politique. Lorsqu’il partait en guerre, Charlemagne confiait la gestion des affaires du royaume à sa mère ou à son épouse. Il y eut des femmes à la tête de duchés importants, des lettrées, aussi, comme Ghisla, la correspondante privilégiée du grand savant de l’époque, Alcuin.
Avez-vous un projet de roman ?
J’en ai plusieurs. Un roman de fantasy devrait paraître l’an prochain. J’ai aussi en projet un roman de science-fiction et un roman historique. Je ne sais pas lequel aura la priorité…