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Manu Larcenet : Apologie des héros imparfaits

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Partagez l'article !Rencontre avec Manu Larcenet- Propos recueillis par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/ Avec Manu Larcenet, on ne parle pas de héros mais de personnages. Ses créatures, bien loin d’être parfaites, sont dotées de failles qui en font des sujets attachants ou, en tous cas, attractifs car ils sont prétexte à narration inépuisable. Ce sont des […]

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Rencontre avec Manu Larcenet- Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA/
Avec Manu Larcenet, on ne parle pas de héros mais de personnages. Ses créatures, bien loin d’être parfaites, sont dotées de failles qui en font des sujets attachants ou, en tous cas, attractifs car ils sont prétexte à narration inépuisable. Ce sont des êtres comme Marco, jeune photographe écorché en mal d’inspiration, sensibles parfois jusqu’à la folie comme Polza Mancini , meurtrier illuminé, obèse au nez d’oiseau.Ils s’extirpent du crâne de l’artiste et sont des petits bouts de lui , sortes d’ horcruxes dont le nombre, souhaitons-le, sera illimité. En effet, ses textes sont d’une finesse remarquable, alliant humour et introspection et sa dernière série, Blast, est dotée d’un excellent scénario-polar où le suspense est ménagé avec une dextérité d’orfèvre. Quant à son trait, il ne mérite que des compliments largement mérités: sans céder à la facilité, il propose au lecteur une esthétique personnelle et alternative vis à vis de laquelle on ne peut rester indifférent…Rencontre avec un artiste bonhomme, généreux et modeste…Rencontre avec Manu Larcenet, un « monstre » de la bande-dessinée française contemporaine.

Emile Zola disait que « le Premier homme qui passe est un héros suffisant »: dans quelle mesure cette définition s’applique à Marco, le héros de votre Combat Ordinaire?

Ah oui, direct, on commence avec Zola… (rires)

Votre héros doit-il être un homme du quotidien?

Eh bien, oui, ce vieux Emile avait absolument raison! On a vécu jusque dans les années 80 la mode du  » héros », le type extraordinaire qui faisait des choses extraordinaires…même Tintin est un type extraordinaire. Au bout d’un moment, quand on vieillit un petit peu, on a l’impression que ces héros-là ne suffisent plus et qu’il faut en trouver des « qu’on puisse éventuellement côtoyer ou connaître ». Les héros sont davantage aujourd’hui des personnages centraux que des héros: ils font partie du quotidien, n’ont pas de super pouvoirs ou des choses extraordinaires à raconter.

Ce titre , Le combat ordinaire, sous-entend que la vie fait de nous des héros..?

– Non, il ne faut pas le comprendre dans le sens où l’on est tous des héros dans notre vie..mais plutôt dans l’idée que l’on peut tous être le personnage d’un récit. Assurément, toutes les vies sont intéressantes mais c’est la manière de raconter qui est importante …comment les raconter pour les rendre attrayantes aux lecteurs, c’est un peu ça mon objectif.

Quelles qualités font de Marco ce héros suffisant qui a conquis un très grand nombre de lecteurs?

Honnêtement, c’est encore un grand mystère. J’ai tiré ce personnage d’une partie de ma vie, d’une partie de la vie des gens que je côtoie, d’une partie de Le combat ordinairechoses que j’ai lues…peut-être dans le sens que c’est un personnage introspectif et qu’on n’a pas forcément l’habitude de lire ce genre de de bandes dessinées, à part des bds underground sur l’introspection. Vraiment pour moi, à chaque fois que je crée un truc et que ça a un écho chez les gens, c’est toujours un mystère: je n’ai aucune explication à ça.

Dans Blast, pourquoi avoir basculé dans la noirceur?

A la relecture du Combat Ordinaire, je trouvais que ce n’était pas une bonne série parce qu’on évitait justement la noirceur…on restait dans quelque chose de nostalgique et d’un peu superficiel…ce qui était le but au départ d’ailleurs de rester là-dedans: ce n’était pas un personnage très noir, Marco. La noirceur est donc ce qui manquait à ce que j’avais envie de raconter, donc j’ai basculé à l’extrême. J’ai imaginé un personnage très très noir pour faire Blast.

Histoire, oui, de ne pas faire vivre deux héros similaires…

On va dire « personnage  » car « héros » est un terme qui sonne d’une façon bizarre pour moi. Le personnage de Blast est plus extraordinaire que Marco dans le sens qu’il est plus radical mais il n’est pas beaucoup plus intelligent….j’ai du mal à le qualifier, il est difforme. Blast, c’est une bd sur la difformité, sur la différence. Marco n’était pas ainsi, Marco se sentait juste un peu différent. Le personnage de Blast, lui, est différent et se construit par sa différence.

Vous avez défini Polza Mancini comme  » le personnage sur lequel plaquer toutes les obsessions »….

MES obsessions.

Blast est-il un moyen de les exorciser?

Non, je ne cherche pas à exorciser quoi que ce soit, ni à me guérir ou à être plus heureux…je cherche à nourrir mon récit donc du coup, je trouve que ce personnage-là permettait d’étaler au grand jour des choses morbides que d’autres récits ne m’ont pas permis de faire. Moi, je n’ai jamais réussi à me raconter dans un seul livre. Il faut des petits bouts de chaque pour que je puisse exprimer différentes facettes. Je ne peux pas tout exprimer en un livre, en une série ou en un personnage; donc là, voilà, c’est la partie extrêmement noire que j’ai, comme tout le monde et que je n’avais pas encore eu l’occasion d’étaler au grand jour.

Blast

Est-ce que vous auriez pu imaginer un personnage de ce genre avec un physique d’Apollon?

Ah oui…enfin, ça aurait été plus compliqué pour moi qui suis plus proche du personnage de Polza que d’un physique d’Apollon et que j’ai un certain nombre de choses à dire de véridiques sur cette difformité-là..ça ne me dérangerait pas de dessiner un Apollon mais il faudrait que j’imagine quels sont les problèmes d’un Apollon. Là, j’avais besoin d’exprimer un truc sur la différence donc du coup j’ai pris ce type qui est différent déjà, ne serait-ce que par son corps; c’était plus simple et puis…. c’est plus marrant à dessiner les gens pas lisses.

L’obésité n’était donc pas un choix aléatoire…et Polza Mancini n’aurait pas pu être un grand dégingandé…?

Si…mais j’aurais raconté complètement autre chose. Raconter cette histoire-là avec un autre personnage que lui n’aurait pas été possible.

Polza et son père ont des nez-bec d’oiseau: pourquoi?

Je suis depuis tout petit fasciné par les oiseaux et je suppose que ça se ressent quand, sans réflexion aucune, je me mets à dessiner des personnages. Quand j’ai fait des recherches pour Polza, je n’ai pas du tout réfléchi; je me suis arrêté au moment où je trouvais qu’il avait une tête qui me convenait et il avait une tête d’oiseau. Mais pour le père, c’est plus compliqué. J’ai fait des recherches longtemps pour faire un visage humain et un jour, en me promenant avec mes enfants, on a trouvé un crâne de pie complètement blanchi et soudain je me suis dit que c’était stupide d’essayer de dessiner le père en humain sachant qu’il était mourant…je voulais avoir quelque chose de plus morbide et voir ce crâne de pie, je me suis dit que j’avais trouvé le personnage, qu’il serait juste un squelette d’oiseau. Et puis ça crée un décalage dans la lecture de l’image, les gens peuvent se demander pourquoi c’est un oiseau…pourquoi? Il y a simplement aussi une pudeur à ne pas montrer le visage…pour moi de mon père… pour Mancini de son vrai père… une volonté de montrer ce visage sous un masque.

Mancini est un aliéné. Au milieu des policiers rationalistes, il passe pour un fou…pourtant vous lui offrez le meilleur rôle…est-il un sujet efficace pour dénoncer le bien pensant et la soi-disant normalité?

Eh bien j’espère…c’est un peu le but du jeu. Et en même temps je n’ai pas de certitude et je ne suis pas plus du côté des fous que des gens normaux, je m’en moque un peu de tout ça. On est juste dans une période où il ne fait pas bon d’être normal, différent, difforme. Et je ne parle même pas des Roms: il suffit de regarder dix minutes la télé pour se rendre compte à quel point la difformité est bannie de tout ce qui est censé représenter la vie…regardez les publicités, les programmes jeunesse, les programmes féminins! Tout ça est tellement factice que je préfère les gens pas lisses, a priori… ça ne veut pas dire évidemment que je vais traiter les gens beaux de crétins absolus, ce serait une bêtise…mais j’aime bien la difformité, j’aime bien la difficulté…j’aime bien les gens cassés. Dans les artistes, je préfère toujours les gens cassés aux gens heureux. C’est pas militant, je ne suis pas militant mais il y en a un peu marre de cette société où l’on ne voit jamais de vrais gens abîmés.

Le Blast semble replonger en enfance par ses dessins raturés et primaires…est-ce une sorte d’émotion primitive?

Ce sont des dessins d’enfant, tous. Oui, c’est quelque chose qui remonte à l’enfance, je l’ai imaginé un peu comme ça; c’est une sensation primitive, oui.

Police et psychanalyse: deux univers a priori antithétiques. Souhaitiez-vous mettre en place un cadre absurde pour les confidences de Mancini?

C’est un récit : il y a une montée dans une intrigue qui s’ébauche dans le premier tome et qu’on commencera à peine à définir dans le deuxième. Il fallait pour Bill Baroudcette intrigue un cadre policier; j’étais à peu près obligé de le faire. J’ai choisi la garde à vue parce que c’est un moment passionnant puisque, lorsque l’un décide de parler, les deux autres sont obligés de l’écouter et éviter de l’interrompre etc…et comme les flics savent que c’est un personnage qui peut s’arrêter à tout moment, ils sont pendus à ses lèvres, ce qui me permet à moi comme astuce de récit, de pouvoir lui faire dire exactement ce que je veux même si la vraie police s’en ficherait un peu…alors que ces flics-là, cette histoire, ils sont obligés de l’écouter. Ils sont particuliers, ces policiers, parce qu’ils attendent quelque chose, visiblement, mais pour avoir ce quelque chose, il faut qu’ils passent par là où Mancini est passé…ça me permet donc de raconter l’histoire et de faire des digressions, si ce n’est psychanalytiques, du moins introspectives.

Le maître du jeu, c’est quand même Mancini qui ne révèle que ce qu’il veut…

Bien sûr et jusqu’à la fin, on ne saura pas ce qui est vrai et ce qui est de l’ordre du fantasme dans ce qu’il dit. Est-ce que c’est totalement vrai, est-ce un total mensonge? C’est un peu comme les gens qu’on côtoie tous les jours: il y a des petits et des grands mensonges, il y a des vérités, tout est un peu mélangé…

Les prochains tomes resteront dans le même cadre de garde à vue?

Oui…sans doute que le dernier sera plus basé sur le fait qu’il soit déféré donc on le verra sans doute un tout petit peu en prison mais les 4/5 de l’album se passeront en garde à vue. Ce n’est pas passionnant , dit comme ça, mais évidemment comme on s’échappe souvent avec des retours en arrière….

Pourquoi avoir choisi le noir et blanc?

Ecoutez, ça a été un grand hasard: je m’étais mis à redessiner en noir et blanc par plaisir parce que c’était ma formation à Fluide Glacial et que j’ai toujours préféré le noir et blanc à la couleur. J’ai montré mon travail à mon éditeur en lui disant qu’on allait chercher un coloriste pour colorier tout ça…et quelques jours après, il m’a rappelé en me disant qu’il préférait que ce soit en noir et blanc. Du coup, j’étais vachement content parce que c’est rare les éditeurs qui préfèrent le noir et blanc. Il n’y a que les éditeurs Underground qui préfèrent ça. Et là, il m’a laissé faire mon album tranquille donc c’était encore mieux quoi…ça ne me dérangeait pas que ce soit en couleurs mais moins j’ai d’interventions extérieures ( puisque je ne suis pas capable de faire la couleur moi-même), plus je suis tranquille. C’est plus donc pour une question de confort moral car je peux me dire: « je suis seul à la barre et je n’ai pas à me soucier de comment va faire le coloriste derrière ». Moins que pour servir l’ambiance…certes, elle est bien en noir et blanc mais elle aurait pu être bien aussi en couleurs si le coloriste avait été bon. Oui, en tant que plaisir personnel, c’est génial puisque je suis seul à faire tout.

L’Intégrale de Bill Baroud est parue en mai 2010. Cet espion assez peu glamour est de vos premiers héros de BD. Déjà, à cette époque, vous créiez donc un personnage à l’écart, hors des normes. Est-ce parce qu’absurde et non-sens sont les deux ingrédients indispensables à votre humour?

Ah bien oui oui oui…moi j’ai été biberonné aux Monty Python donc je vois difficilement l’humour autrement que par un non-sens…c’est à dire que dans la palette humoristique , qui est immense, peu de choses m’amusent à part le non -sens..mais même Sempé, je trouve que souvent il fait du non-sens. Le non-sens, c’est très fin, c’est quelque chose qui fait appel à l’inconscient dont ça rejoint encore cette histoire de psychanalyse ou d’introspection…ça fait souvent appel à des choses enfouies. C’est pas du gag à l’état pur.

Si on récapitule: la meilleure source d’inspiration, c’est toujours soi-même….?

Disons que je ne comprends pas que l’on puisse faire autrement; je ne suis pas un acteur, je ne peux pas incarner dans mon crâne des personnages vraiment différents de moi . Oui, je trouve mes sujets essentiellement dans mes préoccupations. J’aurais du mal, par exemple, à écrire un album avec une fille comme personnage central. Je ne pense pas être capable de faire ça. C’est comme dans la vie, je me permets de parler de ce que je connais et pour le reste, j’essaie de me taire pour éviter de dire des conneries. Comme j’essaie d’être le plus pertinent possible, je m’attache à faire des sujets sur lesquels j’ai réfléchi.

On peut quand même faire rire avec des êtres « parfaits »? Vous aviez réalisé pour Fluide de nombreuses histoires prenant pour thème  » Les

Le sens de la vis

super-héros injustement méconnus »: de quel super-héros aviez-vous justement redoré le blason?

C’est vieux mais je me souviens que ce n’étaient justement que des super-héros avec des problèmes. Je me rappelle qu’il y a avait un petit garçon qui ne pouvait pas aborder les filles sans avoir la diarrhée tellement il avait peur et il avait transformé ça en pouvoir…et il y en avait aussi un autre qui se droguait, il consommait de l’héroïne, et il avait des pouvoirs à ce moment-là. Des super-héros avec des failles…c’est un peu ce que l’on disait au début, les personnages lisses ne sont pas intéressants. Donner les attributs d’un personnage lisse à un personnage cassé, c’est toujours une source éventuelle de rires.

D’autres projets en préparation à part le second tome de Blast?

Le tome 2 est fini et va sortir, je pense, en début d’année 2011. On vient de sortir un livre dans ma propre boîte d’édition qu’on a co-fondé avec Nicolas Lebeudel et qui est le deuxième tome de la série « Le sens de la Vis » ( avec Jean-Yves Ferry): c’ est un album rigolo sur « Qu’est-ce que le dessin? »…et puis j’ai plein d’autres choses en tête pas encore très formées car je suis encore sous l’impact de Blast pour l’instant.

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