INTERVIEW de la photographe ALYZ TALE par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/ Photographies d‘Alyz Tale
Bonjour Alyz, quelle est votre formation? Bonjour Julie. J’ai un DESS de commerce international. A l’heure actuelle je travaille dans la pub (synchro pub/musique à l’image pour être exacte) et suis journaliste les soirs et week-end (pour les magazines Elegy et Rock & Folk), le reste du temps je fais de la photo, domaine dans lequel je n’ai donc aucune formation académique. Ceci dit, j’ai été modèle photo pendant une petite dizaine d’années et c’est très formateur, d’autant que plusieurs photographes pour lesquels j’ai posé sont devenus des amis et m’ont grandement aidée (comme Paul Von Borax, Andy Julia ou encore Eric Martin), je leur en suis d’ailleurs très reconnaissante. Mais si j’avais eu le choix et les moyens, je n’aurais évidemment rien eu contre des études de photo.
Quelles sont vos influences picturales, photographiques…? Elles sont très nombreuses mais celle qui m’a donné envie de prendre un appareil photo, c’est Sarah Moon. C’était en 2003, le fameux été de la canicule, j’étais coincée à Paris, ce qui tombait assez mal vu que j’ai une sainte horreur des périodes de grosses chaleurs. Une des rares échappatoires à Paris dans pareil cas : les musées ! Cet été-là, la Maison Européenne de la Photo consacrait une rétrospective au travail de Sarah Moon, que je ne connaissais que de loin, je ne m’étendrais pas mais en résumé : ça a été une véritable claque et probablement un déclencheur, même si je n’ai commencé à faire de la photo que quelques années plus tard.
Qualifieriez-vous votre univers de fantasmagorique ? Peut-être pas toutes les images mais une bonne partie oui, il est certain que je reste rarement très proche de la réalité.
Les coiffures apprêtées, le teint blanc, les yeux écarquillés qui fixent l’objectif, sont des éléments récurrents dans votre travail, non? Pourquoi? Je suis d’accord sur les deux premiers points, moins sur les yeux qui fixent l’objectif : Il y a des regards directs dans mes photos c’est vrai, mais le regard le plus récurrent et celui que je préfère est le regard lointain, dans le vague, presque vide, je dis souvent à mes modèles « fais-moi un regard de poisson mort ». Pour répondre à votre question : je suppose que ça vient du fait que j’aime les personnages intemporels, pas tout à fait réels, comme sortis d’un conte ou d’une étrange histoire.
Auriez-vous aimé pouvoir photographier les grands bals de Versailles? Vos modèles ont souvent quelque chose de très » désuet chic « …. j’ai pensé notamment à l’esthétique du film Marie -Antoinette de Sofia Coppola en me baladant sur votre site… Merci pour la référence ! C’est un film que j’ai bien aimé et qui, à mon avis, ne méritait pas l’acharnement de la critique qu’il a subi. J’aime bien l’idée du « désuet chic », mais je ne sais pas si Versailles et ses bals m’auraient inspirée plus que ça. Bien sûr il y aurait de quoi s’en mettre plein les mirettes et j’en aurais bien profité ! Mais quitte à effectuer un petit voyage dans le passé, je me laisserais plus volontiers tenter par le regard charbonneux d’une Louise Brooks ou le flegme élégant d’un Oscar Wilde.
L’usage régulier de fonds monochromes, est-ce aussi une façon de vous centrer sur vos sujets? Oui c’est vrai mais pas seulement, c’est aussi l’occasion de choisir et travailler la couleur, je suis une obsédée de la couleur en photo. C’est également lié à la difficulté de trouver des lieux intéressants pour shooter et à un manque de moyens financiers pour créer des décors. C’est marrant que vous souleviez ce point car j’ai commencé une série sur le thème des couleurs et du monochrome cet été, en collaboration avec la très créative maquilleuse et coiffeuse FoxyChrys, j’avoue qu’on s’amuse beaucoup à faire cette série.
Est-ce pour les faire jaillir du cadre ou pour les « noyer » dedans, en floutant les contours, en faisant des êtres des caméléons qui s’immiscent dans le décor? J’adore le flou en photo, il rend les couleurs merveilleuses et donne aux photos un aspect intemporel, presque de peinture. Il confère également au sujet ce côté irréel et onirique auquel je tiens. Au départ, je jouais avec les flous Photoshop, faute de moyens, et je n’en étais jamais vraiment satisfaite, mais aujourd’hui que je peux le faire à la prise de vue, c’est la fête du flou, je m’éclate ! Parfois peut-être un peu trop, on me l’a déjà reproché – sans doute à juste titre – mais c’est ce que j’ai envie de faire pour le moment, donc je ne me pose pas trop de questions.
Beaucoup de rouge dans vos compositions, non? Oui ! Je n’ai pas vraiment d’explication rationnelle à donner, les photos qui contiennent du rouge (quand il est beau) attirent immédiatement mon regard, elles me parlent, donc j’injecte du rouge dans mes images. Parfois l’utilisation est symbolique bien sûr (comme dans la petite mise en scène de « …To the sea » par exemple), mais la plupart du temps c’est une utilisation spontanée. Cela vient également du fait que j’aime travailler les couleurs complémentaires, avec un faible pour le rouge et le vert.
Chacun des portfolios sur votre site propulse dans un univers chatoyant de couleurs et de sensibilité et il est donc impossible d’embrasser tout cela en quelques questions…alors parlez-nous de « leur histoire » par exemple… quel était votre projet lors de la création de ces photos? « Leur histoire » est une série initialement destinée à une revue artistique (Interfaces), qui s’est malheureusement éteinte il y a quelques mois, du coup la série n’a jamais été publiée. Dans la revue, la série devait s’appeler « Le petit théâtre de leur vie ». Elle mettait en scène des personnages qui font de leur vie un théâtre (La diva, le clown, la dompteuse…). Ces portraits sont volontairement très serrés pour être au plus proche du modèle et chacune de ses émotions, chacun de ses regards ou de ses non-regards. Je connaissais déjà la plupart des modèles de cette série avant de la commencer, plusieurs sont des amis proches, ce qui a grandement facilité l’échange que je recherchais. J’avais écrit un petit texte pour chaque personnage, je mettrai peut-être ces textes sur mon site pour expliquer et compléter la série.
Y-a-t-il des modèles qui répondent davantage à votre esthétique? Y-a-t-il des visages dont les expressions sont adaptées à vos attentes photographiques ? Je n’ai pas vraiment de critères, mais il est évident qu’il y a des visages qui me parlent plus que d’autres. Pour te donner un exemple : la semaine dernière j’ai donné ma carte à une jeune femme qui était assise en face de moi dans le métro, c’était la première fois que je faisais ça. Généralement, j’aime travailler avec des modèles que je connais ou que j’ai au moins déjà rencontrés , ce qui permet de sentir les gens (et accessoirement d’éviter les mauvaises surprises). Mais là, elle me semblait si parfaite dans l’univers que j’aime que je n’ai pas pu la laisser partir ! Elle a des cheveux roux, un visage fin et très dessiné, et de grands yeux clairs plein d’expressions, de ces regards capables de passer de l’innocence au mépris en une fraction de seconde. Tout ce que j’aime ! J’ai quand même mis cinq stations avant de lui parler, mais je ne regrette pas. Pour répondre à ta question, on peut dire que dans l’absolu, en photo, j’ai un faible pour les cheveux roux, les taches de rousseur et les grands yeux clairs en général, mais pas seulement, beaucoup de visages peuvent me plaire et m’interpeller.
Être photogénique ou pas, est-ce une expression idiote pour un photographe? Non, ce n’est pas idiot, c’est même important. Un modèle photogénique n’est pas nécessairement un modèle « beau », c’est surtout un modèle qui prend bien la lumière et qui fait passer une émotion face à un objectif, deux qualités indispensables selon moi.
Certaines de vos photos sont étourdissantes… comment travaillez-vous les couleurs de vos créations? rajoutez-vous des filtres? Comme je le disais tout à l’heure, je suis véritablement obsédée par les couleurs en photo, elles interviennent à tous les stades de création de la photo : dans le choix du décor, des accessoires, de la tenue du modèle, du maquillage, à la prise de vue avec éventuellement des gélatines ou en jouant sur les températures de couleur, et en postproduction : je peux passer des heures sur Photoshop à chercher la teinte que je veux. D’ailleurs je n’y arrive pas toujours, ce qui ne manque pas de me frustrer. Dans la mesure où la photo n’est pas ma profession principale, je tiens à ce qu’elle reste une passion et un plaisir avant tout, c’est pour cette raison que je ne me prends pas trop la tête et ne me pose pas trop de question… sauf quand il s’agit de la couleur, je peux devenir névrosée !
Vos modèles portent souvent un élément excentrique: un chapeau, un parapluie, un bandeau sur les yeux, des chaussures, un masque de Comedia Dell’Arte ou d’animal…est-ce le détail nécessaire pour que l’oeil accroche? J’aime que mes photos racontent une histoire : ajoutez un masque ou un bandeau à un modèle et la photo prend une toute autre dimension : pourquoi ce masque ? Que cache-t-il ? Le signe d’un problème de communication ? Une perception différente du monde ? Est-ce un rêve ? Un cauchemar ? Qu’évoque-t-il ? Vous pouvez tout imaginer, du plus simple au plus tordu. Souvent, j’ai ma petite idée sur ce que je veux dire à la base mais il est très intéressant de n’en rien dire et d’attendre les interprétations des autres, c’est très instructif, parfois très drôle (d’autre fois pas du tout). Après, pour ce qui est des chaussures, l’explication n’est pas bien recherchée ni profonde : comme une majorité de représentantes de la gent féminine, je suis une fana de chaussures, je ne vous dirai même pas combien j’en possède de paires car je n’en sais rien, je n’ai jamais osé les compter.
Enfin, quels projets en cours pour 2010/2011? En ce moment je termine la série sur les couleurs dont je parlais tout à l’heure, en collaboration avec la maquilleuse et coiffeuse FoxyChrys. Je prépare également une photo pour une exposition collective hommage à l’incontournable BD Skydoll, de Barbara Canepa, qui aura lieu en novembre à Paris. Toujours au rayon des expos, une affiche réalisée avec le graphiste Novis est visible à la Galerie L’Art de Rien pour leur exposition « Big Brother is Watching You ». Sinon, je viens tout juste de faire des photos de Benjamin Lacombe pour la promo de son livre pop up « Il était une fois » (un ouvrage sublime !), je suis ravie d’avoir fait ces portraits, pour moi Benjamin est l’illustrateur le plus brillant de sa génération, sincèrement. Et j’ai trois autres séries en cours dans des styles très différents : une série très féminine et sensuelle de polaroids à la chambre photographique (mes premiers essais purement argentiques), une autre série de portraits simples sur les gens qui vivent de leur passion, elle s’appelle « Quand je serai grand » et, pour une fois, colle complètement au réel ! Je vais bientôt mettre le début sur mon site. Et enfin une série de petites histoires imagées, sorte de romans photos dont plusieurs sont déjà visibles sur mon site. Je m’amuse beaucoup à créer ces petites histoires, à terme j’aimerais en faire un petit livre, mais comme je suis passablement nulle pour me vendre je ne sais pas si ça arrivera. Ah oui, et il y a aussi une expo en préparation aux 3 Baudets prévue pour janvier, avec plusieurs auteurs des éditions Ragage..