L’évangile selon Pilate : l’humilité retrouvée

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Par Julie Cadilhacbscnews.fr /

« – As-tu la foi?

– Seule la foi sauve. »

Voilà un texte qui redonne la foi. Mais attention, on entrevoit déjà les grands cris scandalisés de l’intelligentsia bien pensante pour qui est souvent de bon ton d’être agnostique et cartésien – Parenthèse philosophique: Descartes n’a t-il pas essayé de prouver l’existence de Dieu?- ce roman parle d’une foi universelle: celle que l’athée nommera peut-être « espoir en la vie et les hommes » ou « positivisme » , le bouddhiste  » nirvana », le chrétien « amour de Dieu », le musulman « allégeance à Allah »…une foi protéiforme et bienveillante qui peut naître partout , loin, très loin dans le désert ou au plus profond de soi, dans l’amour du prochain, dans la méditation, dans la confiance en soi, au côté de ceux qui aiment ou en tendant sa joue à l’ennemi. Loin des bonimenteurs du miracle, de la secte grossissante des égoïstes, des insupportables déteneurs de vérité.

Dans cette évangile éclairante, Eric-Emmanuel Schmitt ne délivre en filigrane qu’un seul message, reprenant un principe fondateur de la philosophie de Socrate : « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien. » Une ligne de conduite qui prêche la remise en question et l’humilité en toutes circonstances. Comme Yéchoua, le protagoniste principal, il nous apprend à douter , à faire des paris, à s’engager, à croire mais à se souvenir aussi que la sagesse, c’est de ne jamais violenter les croyances de l’autre et avoir la modestie de ne pas imposer ses convictions. Une évangile bouleversante d’humanité qui parle du divin.

Qui est Jésus? Marie est-elle l’immaculée conception? Juda a-t-il vraiment trahi pour trente deniers? Pilate était-il le romain implacable que l’on accuse? L’école biblique et laïque imposent depuis des décennies une lecture des évangiles canoniques de Matthieu, Luc, Marc et Jean. Celle de colons romains barbares alliés aux juifs saducéens et pharisiens s’étant acharnés sur le vilain petit canard qui menaçait de ses idées novatrices leur confortable suprématie. L’évangile selon Pilate joue à dépoussiérer des siècles d’obscurantisme, propose des pistes d’interprétation alternatives et rappelle SURTOUT l’utilité de se poser des questions, exprime la volonté naturelle de résoudre les problèmes afin de s’en soulager mais insiste sur le devoir d’accepter l’irrationnel et de comprendre ainsi toute la spécificité du mystère.

« Le troisième jour, tu reviendras« 

L’incarnation et la Réincarnation du Christ n’ont peut-être pas de preuves tangibles et transgressent toute logique mais le mystère doit-il être nié sous prétexte qu’il résiste à une explication humaine?

Deux parties pour ce roman éclairant: d’abord, un prologue émouvant du Christ le soir de son arrestation; puis une série de lettres de Pilate, adressées à son frère resté à Rome, qui narrent l’enquête menée par le gouverneur pour dissoudre la rumeur intempestive de cette « ressuscitation ». Suivie d’un journal d’un roman volé où Eric-Emmanuel Schmitt, comme il se plaît souvent à le faire, confie au lecteur ses doutes et ses déboires créatifs, cette évangile selon Pilate est un petit chef d’oeuvre littéraire: par son humour élégant, la fluidité du verbe, sa documentation pointilleuse qui se métamorphose en une mue de prose limpide.

C’est un roman qu’on ne lâche plus, qui intrigue par son audace et séduit par son propos. Une cinquième évangile contemporaine qui ne cherche pas à convertir mais à faire réfléchir. Un livre qui rend intelligent. Car l’intelligence, c’est d’abord la tolérance et la sensibilité. Eric Emmanuel Schmitt ne manque ni de l’une ni de l’autre et ses romans partent toujours de qualités essentielles dont devraient disposer tous les êtres: ouverture à l’autre et partage, curiosité grandissante pour le monde et ses mystères. Sa pérennité littéraire, déjà annoncée par son succès auprès d’un très grand nombre de lecteurs fidèles ( jugée souvent dévalorisante par des jaloux qui souhaiteraient la même et méprisent de façon arrogante et risible un nombre conséquent de lecteurs sensibles et sensés), permet cependant de préserver une autre foi toute particulière: celle de la survivance du bon goût littéraire et des aèdes passionnés.

L'évangile selon PIlate

« Grandir fut rapetisser. Grandir fut une chute. Je n’appris la condition d’adulte que par les blessures, les violences, les compromis et les désillusions. L’univers se désenchanta. Qu’est-ce qu’un homme? Simplement quelqu’un-qui-ne-peut-pas….Qui-ne-peut-pas tout savoir. Qui-ne-peut-pas tout faire. Qui-ne-peut-pas ne pas mourir. La connaissance de mes limites avait fêlé l’oeuf de mon enfance: à sept ans, je cessai définitivement d’être Dieu ». ( Eric-Emmanuel Schmitt).

A lire aussi:

– L’interview de l’auteur à l’occasion de la sortie du recueil de nouvelles: Concerto à la mémoire d’un ange.

La chronique de Concerto à la mémoire d’un ange

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