Propos recueillis par Maïa Brami – PUTSCH.MEDIA / Interview de Claude Jetter :Laissez la canicule sur le trottoir et faufilez-vous dans l’allée fleurie qui mène à l’Espace des Femmes, à deux pas de St Germain des Près. De rencontres en lectures, de concerts en expositions, Antoinette Fouque a imaginé un lieu dédié à l’art : poutres apparentes, piano à queue et clapotis zen de la fontaine, un dépouillement qui sied à merveille aux clichés noir et blanc de la photographe Claude Jetter : You said babies ? et Abtract close-ups, c’est à voir jusqu’au 31 juillet.
Parlez-nous des photos de bébés accrochées aux murs…
Les bébés, c’est mon premier dossier, un travail sur trois ans. Souvent, les spectateurs pensent qu’il n’y a qu’un seul bébé. En fait, il y en a dix. Dix nourrissons. Tous les clichés ont été pris en lumière naturelle.
Pourquoi photographier des bébés et pourquoi de cette manière — par moments, on s’approche de l’abstraction ?
D’une part, la sublimation d’un désir d’enfant — réalisé plus tard — et d’autre part, le fait que ma meilleure amie venait d’accoucher de son deuxième. Ce qui m’a donné l’opportunité d’aller chez elle, de choisir le moment propice pour les prises de vue. Il y a une progression dans le « dossier bébés ». Au début, ils étaient très clairs, sans matière, ensuite j’ai insisté sur le rapport aux parents. Et enfin est apparue une recherche de la matière, qui a conduit à mon deuxième travail, sur les animaux cette fois — de l’hippopotame à l’agame aquatique — avec le souci de m’approcher d’eux toujours davantage pour qu’on ne puisse plus reconnaître la matière. Dans le cas de l’agame par exemple, on ne saurait dire s’il s’agit de sa queue ou d’une pomme de pin ! Toujours dans ma recherche de matière, j’ai rencontré un monsieur qui avait un corps, une peau extraordinaire : imaginez la joie de pouvoir même mettre en place ses plis ! (rires) Ensuite, je me suis intéressée à des peaux de personnes noires et j’ai été très étonnée de la réflexion de la lumière sur leur corps. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils attrapent la lumière de manière évidente. À nouveau, les photos sont prises de plus en plus près, avec de plus en plus de matière, pour un résultat qui tend vers l’abstraction.
Savez-vous pourquoi vous partez du corps pour aller vers la peau, vers des plis, des marques, vers l’abstraction ?
Lors d’une exposition consacrée à mes animaux, l’un de mes modèles préférés — dont vous pouvez voir certaines des photos aux murs —, un Africain, a tout de suite compris ma démarche : mettre en évidence une espèce d’universalité de la matière. J’ai ce parti pris de montrer sans expliquer ou légender les photos. Au spectateur de regarder et de faire marcher son conscient, son inconscient ou son imaginaire !
Ce qui m’interpelle aussi, c’est qu’on passe d’un corps de nourrisson, tout neuf, à un corps plus marqué, qui a vécu. Est-ce que le temps et sa marque sur les corps vous intéressent ?
À priori, non, pas du tout. Mais sur la personne âgée dont je vous ai parlé, j’ai retrouvé les mêmes plis que chez le nourrisson — la photo est également exposée ici. C’était amusant de retrouver les mêmes plis, mais ce qui est singulier dans un corps, c’est qu’il y a tellement de textures de peau extraordinaire et différente. Par exemple, la reproduction de la main derrière vous, c’est une répétition des pores. De cette personne âgée, j’ai également photographié son cou et l’on dirait à s’y méprendre un autre cliché que j’ai pris d’un dromadaire !
Effectivement, on peut dire que vous êtes dans l’universalité : êtres humains, animaux…
Sauf le minéral, qui ne m’intéresse pas. Le vivant avant tout ! Lorsque j’ai photographié cet agame aquatique, il se tenait immobile sur les bras de la personne qui l’élevait, et plus je le regardais, plus j’avais l’impression que s’instaurait une vraie relation…
La première fois que vous avez tenu un appareil photo en main…
C’était à onze ans, un vieux Kodak à soufflet offert par mon père.
Pardonnez-moi le jeu de mot, mais ça a été le déclic tout de suite ? !
Non, non. Je faisais juste des photos de famille. C’est bien plus tard, alors que j’étais dans une période de remise en question, que j’ai fait un petit stage au centre culturel américain. Le thème, c’était la vie. D’où les bébés. Le professeur nous a proposé une exposition à Arles, au-dessus des éditions Actes Sud. Et dans la foulée, un festival à Braga, au Portugal, a proposé de nous exposer. Un an après, je recevais des Prix à Arles.
Quel âge ont les bébés que vous avez photographiés ? Ils sont venus voir l’expo ?
Ils ont entre 20 et 23 ans. Non, ils ne sont pas venus. Mais l’une des mamans est passée, très enchantée. Je ne l’avais pas revue depuis ! Je l’ai pris comme une espèce de reconnaissance du moment privilégié que j’avais eu avec son bébé.
En ce moment, vous travaillez sur quoi ? Toujours la peau, la matière ?
Non, complètement autre chose, photos avec enregistrements audio. Des portraits de photographes. Ils ne sont pas encore développés, car j’ai besoin de connaître le lieu d’exposition pour adapter le format. Je ne peux pas en dire plus.
Avez-vous des maîtres, qui vous accompagnent, vous inspirent… sur vos murs peut-être ?
(rires) Je n’ai rien sur mes murs, même pas mes propres photos !
Comment travaillez-vous vos photos ?
Pour les Bébés, j’avais commencé à les tirer avec un professeur. Et puis, j’ai travaillé avec le labo Toroslab. Au début, je donnais des indications sur ce que je voulais et puis, il n’y a plus eu besoin. Rien de tel que d’avoir un bon labo avec lequel travailler !
Que pensez-vous du numérique ?
Pour le travail, je garde Nikon et du baryté. Pour le reste, j’ai un petit numérique conseillé par ma fille Xuân. Je reste attachée à la photo noir et blanc pour son intemporalité et puis, ça évite que le regard ne soit accroché par une couleur. Enfin, je dis ça, mais ce qu’il y a d’intéressant, c’est que le noir et blanc, c’est de la couleur — blanc, gris clair, gris foncé, noir plus ou moins mat.
Vos « Bébés » ont fait le tour du monde, parfois même pour illustrer des articles : une reconnaissance quasi immédiate après la première expo…
Concernant les illustrations d’articles, souvent je ne suis pas satisfaite, car on les reproduit sans mon autorisation ou on les met à l’envers ! Vous savez, quand j’ai reçu les Prix à Arles, certes, j’étais très contente. J’étais en train de manger mon hot dog dans le fin fond de la cour. (rires) Je ne m’y attendais pas. C’était agréable, mais c’est avant tout pour moi, que j’ai fait ces photos. J’aime bien les montrer et être connue, mais c’est une partie de ma vie seulement. Et aux jeunes photographes qui viennent me demander comment faire pour trouver un sujet, je réponds : « allez au plus près de vous-même. Ne copiez jamais les autres ! »
Aviez-vous déjà exposé à l’Espace des Femmes ?
Non, c’est la première fois, mais je connais Antoinette Fouque depuis longtemps. D’ailleurs, dans « Génération MLF » (Editions des Femmes), vous pourrez trouver un poème écrit en 1972, et qui parle de mon engagement à l’Alliance des Femmes pour la Démocratie. J’en profite donc ici pour la saluer et lui dire ma reconnaissance à la fois d’avoir créé cet espace et d’y accueillir mes photos. D’autant que cette expo m’a donné envie d’en faire d’autres…