Jessica Nelson : revenir aux mythes grecs

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Par Harold CobertPUTSCH.MEDIA / Il y a les bonnes idées, et puis il y a LA bonne idée. Celle de Jessica Nelson appartient à cette dernière et très restreinte catégorie.
Relire les mythes grecs, revenir aux fondements et aux sédiments de notre culture occidentale sera toujours une activité nécessaire et salvatrice. Tous les grands textes, ou presque, réactualisent d’une manière plus ou moins détournée l’un de ces récits archaïques et fondamentaux qui façonnent notre inconscient individuel et collectif.
Seulement voilà : qui lit réellement aujourd’hui L’Iliade et l’Odyssée ? La Toison d’or ? Les douze travaux d’Hercule ? Qui apprend encore le Latin et le Grec ancien pour traduire et lire ces histoires dans le texte ? La désaffection des classes où l’on enseigne « les humanités » a entraîné un désintérêt, sinon une regrettable indifférence, envers cet enseignement et l’acquisition de cette culture. Certes, il existe des éditions modernisées et abrégées pour rendre la lecture de ces mythes accessible tant, dans leur forme originelle, ils apparaissent aux nouvelles générations comme écrits dans une langue étrangère. Pourtant, le sentiment d’étrangeté demeure. Toutes ces histoires de dieux, de demi-dieux et de monstres en tout genre nous semblent à mille années lumière de nous.
L’intelligence de Jessica Nelson est de nous replacer, nous, lecteurs du XXIe siècle, au cœur même de ces mythes, de nous rendre, par l’intermédiaire de son héros, parties prenantes et acteurs de ces grands récits.
Dans L’ombre de Thésée, premier tome d’une série romanesque intitulée « Les conjurés de Niobé », nous suivons les pérégrinations de Stefanos Alias, un jeune collégien de 14 ans. Ses résultats scolaires ne sont pas fameux. Il est solitaire, un peu perdu dans son corps et sa vie qui deviennent ceux d’un adulte. Jusqu’au jour où, en rentrant de l’école, il découvre qu’il a le pouvoir de se transformer. De cette découverte pour le moins étonnante et déroutante, les révélations s’enchaînent en cascade : il est le fils d’Aristée, dieu de l’élevage, de la chasse et des abeilles, et donc, à ce titre, un descendant de Zeus, et lui-même un quart de dieu ! Si Stefanos a devancé l’appel en découvrant son pouvoir, il était néanmoins dans les plans célestes de lui révéler la vérité de ses origines et de le convoquer sur l’Olympe pour lui confier une mission de la plus haute importance. D’un côté, son père s’étant volatilisé sans laisser d’adresse, les abeilles risquent de disparaître de la surface de la terre, ce qui serait une catastrophe écologique majeure, une terrible menace pour l’équilibre de l’écosystème et du monde. De l’autre, plus personne ne s’intéressant aux héros de l’Antiquité, ceux-ci n’accomplissent leurs tâches qu’en traînant les pieds et sont également menacés de disparition. Comme Aristée se cache dans l’un de ces grands récits en perdition dans les classes vides de Latin-Grec, Stéfanos partira à sa recherche dans les mythes et aidera au passage les héros fatigués à accomplir leurs actes de bravoure. Mais c’est sans compter une étrange conjuration qui ourdit un putsch contre Zeus, et qui n’aura cesse de mettre des bâtons dans les roues du jeune apprenti héros…
Disons-le sans détours : le résultat est tout simplement remarquable. Mieux qu’une réactualisation, Jessica Nelson ressuscite ces légendes dont nous ne connaissons souvent que la partie visible de l’iceberg. En effet, si nous nous souvenons du combat de Thésée contre le Minotaure et du fil d’Ariane, qui connaît vraiment les exploits qu’il a accomplis avant cet événement ou la suite de son destin ? Grâce à la problématique écologique hautement actuelle dans laquelle Jessica Nelson ancre son récit tout en l’enracinant dans l’Antiquité via Aristée, le père de Stéfanos, ainsi qu’aux préoccupations adolescentes de son jeune héros, le mythe et la réalité de notre temps se nourrissent et s’éclairent l’un l’autre. Quand, à l’aune de ces récits et de ces figures grandioses, on écoute nos dirigeants actuels qui ne cessent de nous demander de faire des sacrifices sans consentir à l’once du commencement d’un seul, on est frappé de constater que le héros antique était, lui, le premier à s’offrir en sacrifice pour montrer l’exemple. Une leçon parmi d’autres, venue du fond des âges, que le texte de Jessica Nelson nous invite, une fois le livre refermé, à méditer.
Alors, littérature jeunesse ? Oui, mais également, mais surtout, comme la saga Harry Potter, lisible par les adultes qui en apprendront autant que leurs chères petites têtes blondes. Une lecture aussi divertissante que nécessaire, tant on oublie, à une époque où l’excellence mathématique ne forme plus que des joueurs sans scrupule prêts à spéculer jusqu’à la ruine d’un pays entier – la Grèce, comme par hasard… –, que dans le mot « humanités », il y a les mots « humain » et « humanités ».


Titre: L’ombre de Thésée
Auteur: Jessica L. Nelson
Editeur: BAAMM
Prix: 13 euros

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