Sigmund Freud : les confidences de Hilda Doolittle

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Par Stéphanie Hochet – BSCNEWS.FR / Contrairement à Michel Onfray, Sigmund Freud avait de l’humour. C’est un des aspects du père de la psychanalyse qui émerge dans le récit de celle qui fut sa patiente, la romancière et poétesse américaine Hilda Doolittle, appelée H.D en littérature, à qui il écrivit une première lettre : Je ne suis pas sûr que vous sachiez l’allemand, aussi je vous prie d’accepter mon mauvais anglais. Cela peut être pénible pour un poète.
Pour l’amour de Freud que les Éditions des femmes viennent de publier avec une nouvelle traduction de Nicole Casanova réunit les lettres que le professeur (comme elle le nomme) et H.D s’échangèrent, son journal qu’elle intitule Avent qui rend compte de son analyse, et un récit : Écrit sur le mur par lequel la romancière tente de reconstruire onze ans plus tard cette même expérience.
Nous sommes à Vienne en 1933. Freud a 77 ans, H.D 47. La patiente est hors norme : bisexuelle – Vous aviez deux choses à cacher, d’une part que vous étiez une fille, d’autre part que vous étiez un garçon, lui dira-t-il lors d’une séance – elle fut la maîtresse du poète Ezra Pound à 19 ans, eut une liaison avec l’ex amante de celui-ci, se maria à Richard Aldington qu’elle quitta deux ans plus tard pour une femme androgyne surnommée Bryher, donna naissance à une petite fille (Perdita) qu’un ami d’Aldington reconnaîtra. Si on ajoute à ça que Bryher, la femme de sa vie, eut une vie aussi foisonnante et libérée, on perd un peu le fil …
Le transfert avec le père de la psychanalyse se révèle, lui aussi, complexe. Vive Œdipe écrit-elle à Bryher, tu m’avais dit qu’il ne parlerait pas, et il a parlé la moitié du temps(…) ce vieil Œdipe roi m’a eue… Elle appelle son analyste papa dans ses lettres mais il lui fera une remarque étonnante : Je n’aime pas être la mère dans le transfert, cela me surprend et me choque toujours un peu. Je me sens tellement masculin.
S’en suivent de nombreux échanges, discussions entre médecin et patiente sur l’Antiquité, l’enfance de l’humanité selon Freud et domaine privilégié des études de H.D., l’art, la littérature (elle a rencontré D.H Lawrence dont elle dit avoir du mal à finir les romans) mêlés de réflexions sur la plongée en psychanalyse qu’elle perçoit comme une immersion dans un élément marin, le plaisir trouvé dans les réminiscences et les rêves, et des notations plus terribles sur la capitale autrichienne au moment de la montée du nazisme. Devant la tête de mort de la croix gammée marquée à la craie sur le trottoir et menant à la porte même du Professeur, je dois, en toute décence, calmer ma phobie personnelle, mon propre petit dragon-terreur-de-la-guerre, et même avec le peu de pouvoir dont je pourrais disposer, lui ordonner, pour le temps présent en tout cas, de retourner dans sa caverne souterraine. Elle refuse de parler à Freud de l’actualité qui l’inquiète, des atrocités commises sur les Juifs à Berlin.
L’admiration dut être réciproque. Volontiers subjectif, Freud n’hésite pas à complimenter sa patiente : Vous racontez cela joliment. Elle le dépeint avec une acuité d’écrivain, parle de son ironique sourire oblique, son air moqueur, il lui fait penser à Faust, à un vieux hibou dans un arbre, une chouette, un faucon ou à ce papillon de nuit, le sphinx tête de mort. Elle notera une formule qui revient à la bouche du Professeur : Par hasard ou intentionnellement… Elle lui montrera une photographie de Bryher : Elle ressemble à un explorateur de l’Arctique commentera-t-il. Surtout, elle lui exposera son projet d’Écrit-sur-le-mur autrement dit d’écriture par l’image, de matérialisation des formes qu’elle voit projetées sur tel ou tel support. L’analyse entre dans sa vie en partie pour développer son potentiel créateur, et non pour l’assécher contrairement aux idées reçues. Elle laisse aller les associations libres, tente de décrypter les hiéroglyphes de l’inconscient. Aujourd’hui nous avons creusé très profond, lui dit-il parfois, ou j’ai touché le pétrole. La progression d’une analyse, c’est la réussite de l’analysant et de l’analyste. A raison d’une séance par jour, la cure dure une année.
H.D avait saisi l’importance de cette rencontre : nous avons de la chance, grâce à son témoignage, nous savons que Freud n’avait pas l’intention de prouver à ses détracteurs qu’ils avaient tort, le praticien préférait souligner le danger contenu dans certaines idées.
On a reproché à Freud sa « misogynie » (certes, par moments) et ses concepts « négatifs » sur les homosexuels ; pourtant il expliqua à H.D. que selon sa théorie de la sexualité féminine la femme homo se montrait plus franche et honnête, mais que toutes les femmes dans leur ensemble étaient exactement pareilles, et avaient bâti leur culte sur la dissimulation (Lettre de H.D. à Bryher). Pas si simple.
H.D. affirmait que sa relation à Freud représentait tout pour elle, et qu’il n’avait jamais exigé d’elle qu’une seule chose : Je vous prie, jamais – je veux dire jamais, en aucun moment, en aucune circonstance-, n’essayez jamais de me défendre, si et quand vous entendez des remarques injurieuses sur moi et mon travail […] Vous ne ferez pas de bien au détracteur en commettant la faute d’entreprendre une défense logique. Vous approfondirez seulement sa haine ou sa peur des préjugés.
Il est à parier que ceux qui tirent à boulets rouges sur Freud n’ont pas lu ce livre, mais, ne désespérons pas, tout comme entreprendre une analyse, il n’est jamais trop tard.

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