Sandrine Roudeix, de l’autre côté de la couverture

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Par Harold Cobertbscnews.fr / INTERVIEW SANDRINE ROUDEIX

Vous êtes photographe pour des journaux, des magazines, et vous réalisez également des portraits d’écrivains pour plusieurs maisons d’édition. Qu’est-ce qui vous a poussée à franchir le pas de l’autre côté de la couverture ?
Je n’ai pas choisi de passer de l’autre côté de la couverture en troquant ma besace de photographe contre un ordinateur d’écrivain. Non… C’est plutôt l’inverse. Alors que j’écrivais depuis toute petite et que j’ai commencé ma vie professionnelle dans l’édition par goût des livres et des mots, j’ai décidé, un jour de février 2002, dans un champ de ruines Incas, au nord de Lima au Pérou, avec un appareil photo acheté à l’aéroport juste avant de partir, de devenir photographe. J’ai eu envie de changer de vie et, pour cela, de la gagner en éprouvant ma liberté et ma créativité. Je me suis aussi promis de continuer à écrire le matin et le week-end, dans mon jardin secret, jusqu’à ce qu’il en pousse quelque chose dont je sois fière et que j’ai envie de partager…
Comment est né l’idée de votre roman Attendre ?
J’avais écrit une nouvelle, la première partie du roman, qui racontait l’histoire d’une adolescente qui attendait son père qu’elle ne connaissait pas à la terrasse d’un café. Ce texte a beaucoup plu à mon éditeur qui m’a proposé d’en faire un roman. Aussitôt, presqu’à la seconde, une idée m’est venue. Au fond, cette adolescente avait besoin de comprendre ce qu’il s’était passé entre son père et sa mère pour qu’elle en arrive là, un 1er mai 2009, à attendre un homme qui lui avait donné la vie sans jamais, semblait-il, vouloir la partager. Mon roman est né de ce besoin de comprendre, sans juger, chacun des protagonistes de cette histoire. Et de décortiquer du coup la question de la filiation et les rapports complexes qui unissent un homme, une femme et un enfant. Attendre un enfant est le point de départ de mon roman, d’où le titre, mais aussi le point de départ des autres attentes des personnages, physiques et psychologiques.
S’agit-il d’une autofiction déguisée en roman ?
La thématique est personnelle, oui. Comme dans le roman, mon père est parti avant ma naissance et ne m’a jamais reconnue. Mais à la différence de Lola et du roman, je ne sais pas ce qu’il s’est passé exactement entre ma mère et mon père, ma mère ne m’en a jamais parlé. Alors j’ai décidé de l’inventer. C’est ça aussi pour moi, la fonction de la littérature. On s’y cherche, on s’y trouve parfois, on s’y console, on s’y invente. Lisette Model disait que lorsqu’elle braquait son appareil sur quelque chose, elle posait toujours une question à laquelle la photo (parfois) répondait. C’est ce que j’ai écrit et trouvé dans ce roman, une réponse à une question à laquelle on ne m’avait jamais répondu.
Pourquoi avoir choisi une structure narrative à 3 voix ?
Je voulais montrer que dans la vie, chacun a ses raisons, et que toutes ces raisons dépendent d’un contexte et d’un angle de vue. Pour cela, il m’était indispensable de faire parler, tour à tour, chacun des personnages, la fille, la mère et le père, à des moments charnières de leur vie et de leur choix. Et ce, même si ces choix engagent et blessent les deux autres protagonistes. La littérature m’a donné ce pouvoir-là, de rentrer dans chacune des trois têtes et de pouvoir développer leurs motivations, leurs doutes, leurs envies, leurs ambivalences et, aussi et surtout, leur solitude face à leurs décisions.
Je voulais ensuite insister sur l’absence de jugement moral. Pour cela, il fallait qu’on soit en totale empathie avec celui qui se raconte, celui qui nous raconte son histoire, épousant son point de vue à l’encontre des deux autres personnages. Et changeant d’empathie et de point de vue en changeant de voix narrative.
J’avais également à cœur de recréer le noyau familial, celui-là même qui a été brisé, presque effacé, avant la naissance de Lola, pour souligner combien il est constitutif d’une identité. C’est ce triangle qui est à l’origine de la vie : l’enfant, la mère et le père. Et par le rendez-vous qu’elle donne à son père, Lola montre que ce noyau existe, malgré les choix de ses parents.
Je souhaitais enfin bâtir ce roman qui questionne les origines de Lola comme une quête, ou je peux même dire, une enquête, à rebrousse-temps. La structure à trois voix m’a permis d’écouter la parole de Lola, de sa mère et de son père au moment clef de leurs choix, et de remonter le temps jusqu’aux origines : la naissance.
En quoi votre travail et votre expérience de photographe influence-t-il votre travail de romancière ?
La photo et l’écriture sont pour moi totalement complémentaires. Si la photo me permet d’aller vers les autres et m’ancre dans la société, l’écriture au contraire me plonge dans l’introspection et la solitude. Si photographier se déroule dans l’instant, au présent et en extérieur (je fais peu de studio), l’écriture s’inscrit dans la durée, au passé et entre les quatre murs de mon bureau. Dans l’une de ces activités, je vais vers les gens, la lumière, le joyeux, dans l’autre, je navigue plutôt en moi-même, dans l’ombre et les vagues, parfois la tempête.
Mais la photo et l’écriture restent en même temps deux moyens d’exprimer ma seule personnalité, ce qui signifie que je les exerce, je crois, avec une même démarche. Dans les deux cas, je travaille sur le déplacement du regard. J’aime tourner autour de mon sujet, l’observer sous différents angles et essayer ainsi de mieux le comprendre. On m’a d’ailleurs souvent dit que je ressemblais à un chat pendant les prises de vue !
Je suis par ailleurs portraitiste. Je m’intéresse exclusivement aux gens et, par conséquent, à ce qui se cache derrière les apparences, les questions de l’identité, de la ressemblance, de la reconnaissance, de la représentation et de la révélation (au propre comme au figuré) que j’explore en photo comme en écriture.
Mes portraits sont souvent en pied, c’est-à-dire incluant le corps et le décor. Ce que je traduis en écriture par une attention portée aux détails, aux gestes, aux descriptions et, dans ce roman, à l’importance du contexte et de l’environnement. J’attache beaucoup d’importance au cadre, en photo comme en écriture.
Enfin, j’adore les images, l’immédiateté des images. On m’a souvent fait remarquer que « j’écrivais » mes photos, je leur fais souvent raconter une histoire. Du coup, je crois que je mets mon texte en image comme j’écris mes photos. Ce qui explique mon inclinaison pour les comparaisons. « Comme »… L’un des mots les plus intéressants de la langue française !
Avez-vous d’autres romans en cours d’écriture ?
Avant d’écrire la nouvelle qui a donné naissance à ce roman, j’ai écrit deux autres romans qui sont terminés et que je vais reprendre à la lueur de ce que j’ai appris et compris avec celui-là. Et j’en ai un troisième de bien entamé… Ce qui est curieux, c’est que lorsque je prends un peu de recul, je me rends compte qu’ils abordent tous le même thème, vaste et infini, de l’identité… Je me sens assez cohérente, en fait !
Que diriez-vous aux lecteurs du BSC News pour leur donner envie de lire votre roman ?
Quand on referme mon roman, on peut espérer que, nous tous qui avons un jour (trop) attendu, allons peut-être penser à arrêter d’attendre pour commencer à vivre…
Quand on referme mon roman, on peut aussi espérer qu’on va essayer de moins juger ceux qui nous ont blessés, pour au contraire tenter de comprendre leurs choix, souvent liés à un contexte, des choix qui nous sont extérieurs mais qui nous lient et nous fondent en dépit de tout…
Quand on referme mon roman, enfin, même quand on n’a pas été abandonné par ses parents, on peut espérer mieux cerner certains aspects des rapports entre une mère et une fille, un père et une fille, et un homme et une femme, très jeunes, qui ont eu un enfant sans le vouloir…

Propos recueillis par Harold Cobert

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