Exclusif – « Le Québec bénéficie d’une place à part au sein de la francophonie »

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Par Aline Apostolska – Correspondante à Montréal – BSCNEWS.FR / Qualité, vision et exigence, voilà bien trois mots qui s’appliquent à la mission du Consulat de France à Québec qui œuvre depuis 150 ans dans l’ex Nouvelle-France, tenant fermement son cap dans les eaux plutôt complexes, sinon parfois houleuses et traversées de courants contraires, des relations franco-québécoises, lesquelles se situent dans un entre-deux subtil entre la relation France-Québec naturellement singulière et privilégiée, et les relations internationales indiscutables entre les deux pays partenaires que sont le Canada et la France. Sans doute qu’au Québec la mission de notre Consulat, et en particulier celle de la mission culturelle en son sein, revêt un caractère bien spécifique, différent de ce qu’elle peut être ailleurs dans le monde et dans la francophonie. Je remercie ici Stéphane Catta et François Croquette qui ont accepté de répondre en exclusivité à mes questions sans ambages. Leurs réponses sont à lire et à méditer.

Entrevue exclusive avec la Délégation Culturelle du Consulat de France au Québec. Questions à M. Stéphane Catta, Conseiller de coopération et d’action culturelle du Consulat français au Québec, et M. François Croquette, attaché culturel sis à Montréal.

Depuis quelle date la délégation culturelle existe-t-elle au Québec et quelle a été son évolution ?
– Le Consulat général de France à Québec fête cette année son 150ème anniversaire, mais la création du service culturel sous sa forme actuelle date des années soixante. Ce n’est pas un Institut ou un Centre culturel avec pignon sur rue, mais un service à part entière du Consulat – tant il est vrai que les échanges culturels sont au cœur de la relation directe et privilégiée entre la France et le Québec.

Comment qualifieriez-vous l’évolution des relations culturelles entre Québec et France dans la dernière décennie ?
– Beaucoup de chemin a été parcouru depuis les années 60 et 70, lorsque notre coopération était centrée sur l’éducation et la redécouverte de notre mémoire partagée. Les années croisées Québec-France et France-Québec en 1999-2000, il y a dix ans, ont permis de donner à cette relation une impulsion nouvelle pour montrer la modernité de nos échanges culturels. Nous développons aujourd’hui des partenariats entre des artistes et des institutions qui se connaissent et s’apprécient et ont envie de mener ensemble des projets ancrés dans la modernité de nos sociétés, que ce soit dans le domaine du théâtre, de la danse ou de la musique.

Quels sont les axes prioritaires autour desquels cette relation se concentre?

– Dans le droit fil de cette évolution, la prochaine Commission permanente de coopération franco-québécoise aura pour thématique prioritaire les projets de coproduction, co-création, coédition et codiffusion, quel que soit le champ artistique dans lequel s’inscrivent ces projets. C’est ainsi que les gouvernements français et québécois ont choisi d’accompagner depuis plusieurs années la démarche de création d’un auteur comme Wajdi Mouawad, qui a été l’an dernier l’artiste associé du Festival d’Avignon.

Quels sont les domaines artistiques prédominants / ceux qu’il vous importe particulièrement de développer, et pourquoi ?
– Nous n’avons pas voulu privilégier un champ artistique au détriment des autres. Nous retenons des projets en fonction de leur intérêt propre. L’objectif de notre politique culturelle est justement de maintenir la pluridisciplinarité au coeur de nos activités. La richesse des échanges entre nos artistes, le travail commun des structures institutionnelles et des collectivités territoriales qui se situent de part et d’autre de l’Atlantique nous permettent justement de préserver la diversité exceptionnelle de nos champs d’intervention. Aussi notre véritable objectif est-il de susciter un maximum de collaboration dès la genèse des projets. Nous incitons nos partenaires à collaborer à l’élaboration même du processus de création et à participer à part égale au développement du projet artistique.

Différents partenaires culturels québécois (éditeurs, salons du livre, festivals pluridisciplinaires…) citent souvent le Consulat de France comme un partenaire privilégié de leurs manifestations. Quels sont les moyens mis en œuvre, quelles formes cela prend-il / du point de vue de l’enveloppe budgétaire, ces moyens sont-ils stables, en augmentation ou en baisse / dans quel sens vont-ils évoluer ?

– Nous sommes en effet partenaires de nombreuses manifestations culturelles associant la France et le Québec, notamment des Festivals qui invitent des artistes français à se produire ici. Le plus souvent, notre aide porte sur l’achat de billets d’avions, ou la prise en charge de dépenses liées à la venue de ces artistes. Ce ne sont pas des sommes très élevées, mais c’est parfois ce soutien qui permet à un projet de se réaliser. Il est clair, malheureusement, que nos moyens sont durablement orientés à la baisse, en raison du contexte économique et budgétaire. A nous d’essayer de limiter les effets de cette baisse en utilisant au mieux les nombreuses possibilités de partenariat qui existent, y compris en termes de mécénat.

Si vous deviez de votre point de vue, caractériser la spécificité culturelle et artistique québécoise, que diriez-vous ? Comment percevez-vous cette caractéristique au sein même du Canada ?

– La force du paysage culturel québécois c’est indéniablement l’économie qu’elle génère. On connaît la créativité des artistes du Québec. Je pense que le climat de liberté intellectuelle, mais aussi les aides provinciales publiques dont ils bénéficient, le modèle original développé autour de l’économie des festivals, l’intérêt des entreprises locales pour le mécénat culturel dispensé sous forme de commandites et le travail en réseau, la mutualisation des moyens et la circulation des oeuvres qui en résulte, contribuent à encourager cette créativité. À son échelle, le Québec a su tirer le meilleur parti de son réseau de structures et des moyens qui sont mis à sa disposition pour développer une scène artistique et culturelle riche, diversifiée et de haute qualité. Montréal, dans les domaines très spécifiques que sont la musique électronique, les arts médiatiques et le spectacle vivant est d’ailleurs considérée par la profession comme une référence incontestable.

La Francophonie fête son 40ème anniversaire. Quelle est selon vous la place singulière du Québec au sein de la francophonie ? Dans quel sens ces liens spécifiques devraient-ils évoluer ?
– Le Québec bénéficie d’une place à part au sein de la Francophonie, dont il est un membre à part entière. Et la langue française a longtemps pu compter sur le Québec pour être son meilleur défenseur. Il faut aujourd’hui aller plus loin dans la mise en place de nos actions de promotion de la langue française. Il ne s’agit plus simplement de défendre un patrimoine commun, mais également des valeurs véhiculées par notre langue, de mettre en avant la richesse de notre coopération à travers la francophonie dans des pays tiers – pour la reconstruction d’Haïti par exemple dont les ambassadeurs culturels crient haut et fort que la reconstruction du pays passera par la culture. Nos liens historiques, forts, anciens, doivent nous permettre d’innover, au sein de la francophonie aussi.

Notamment : en 2008, la France a largement contribué à créer le Centre de la Francophonie des Amériques dans la ville de Québec. Pour quelle raison / quels sont les objectifs du Centre et comment fonctionne-t-il ?
– La France a effectivement contribué à la création de ce Centre car il répond à cette ambition d’une Francophonie ouverte sur le monde, et non plus seulement défensive. Nous nous sentons en phase avec Michel Robitaille, qui a beaucoup œuvré pour consolider les liens entre le Québec et les autres francophones d’Amérique. A travers les départements français d’Amériques, la France fait aussi partie de cet ensemble et sa place était tout naturellement aux côtés des concepteurs du CFA.


Le BSC NEWS est principalement un magazine littéraire. Quelle place la littérature occupe-t-elle dans les échanges culturels entre la France et le Québec ?

Depuis Anne Hébert ou Mavis Gallant, on sait à quel point la France et le Québec peuvent s’enrichir mutuellement à travers la littérature. Aujourd’hui, ce sont des écrivains français, comme Martin Winckler, qui ont choisi de s’installer au Québec. Je crois que le livre restera au cœur de nos échanges, malgré les mutations technologiques que nous connaissons. L’économie de ce secteur est très fragile, mais nous avons à cœur de le soutenir, en invitant des écrivains et des éditeurs mais aussi en travaillant avec les libraires et les bibliothécaires qui accomplissent un travail remarquable. Des maisons comme la librairie Olivieri ou la librairie Gallimard sur la rue Saint-Laurent à Montréal jouent un rôle irremplaçable dans le débat intellectuel entre la France et le Québec.

Pour 5000 titres québécois, tous genres confondus, 40000 titres français sont présents chaque année au Québec, ce qui représente 76% des titres en librairie. Comme au Québec les bibliothèques achètent leurs livres des libraires, cette proportion se reflète directement en bibliothèque. En revanche, la littérature québécoise a énormément de mal à s’implanter en France, elle en est quasi absente pour tout dire sauf dans le cas d’une co-production ou d’une diffusion avec un éditeur français. À votre avis pourquoi ? Selon vous, cette réalité, avec les récents succès d’auteurs québécois chez des éditeurs français, est-elle en évolution? Diriez-vous que le territoire français s’ouvre-t-il plus à la littérature francophone et quel est le rôle du Consulat sur ce point ?
Nos auteurs ont la chance exceptionnelle de pouvoir s’exprimer dans leur langue maternelle, ici, au Québec. C’est un atout formidable pour tous les acteurs du monde littéraire, auteurs, éditeurs, directeurs de festival qui souhaitent organiser des manifestations littéraires et se tournent ainsi très facilement vers nos auteurs français pour construire leur programmation. Beaucoup d’entre eux ont gagné en notoriété ces dernières années : Daniel Pennac invité d’honneur du Salon du livre de Montréal en 2009 et déjà récipiendaire du Grand Prix Métropolis bleu, Tonino Benacquista, mais aussi Claude Ponti, un auteur jeunesse dont la venue l’année passée au Québec n’a laissé personne indifférent.
Les maisons d’édition aussi se rapprochent pour développer des projets éditoriaux communs. Héliotrope, Les allusifs sont de jeunes maisons très dynamiques dont la réputation a d’ores et déjà dépassé les frontières et auxquelles s’intéressent de plus en plus nos éditeurs français. Quant à la bande dessinée, longtemps considérée comme le parent pauvre de la littérature, on constate une véritable volonté de ses acteurs au Québec de prendre toute leur place sur la scène médiatique. De nombreuses initiatives éditoriales, de nombreux réseaux se sont constitués et la bande dessinée gagne de plus en plus de terrain. Il lui reste encore aujourd’hui à gagner en légitimité et en reconnaissance au sein des organes institutionnels. Espérons que le récent succès en France de l’auteur de Paul au Québec, Michel Rabagliati, suscitera à son retour un regain d’intérêt des journalistes qui parlent trop peu de la bande dessinée québécoise, pourtant de grande qualité.

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