Bernhard Schlink : Cet autre que je ne connais pas

par
Partagez l'article !
Par Mélina Hoffman – BSCNEWS.FR – Lisa et Bengt menaient une vie harmonieuse, sans histoire ni fausse note. C’est du moins ce dont Bengt était convaincu. Violoniste dans un orchestre municipal d’une ville d’Allemagne, Lisa se présentait comme la femme idéale, belle, douce, aimante et attentionnée. Lorsque Lisa est emportée par un cancer fulgurant, Bengt est effondré et éprouve toutes les peines du monde à refaire surface et à accepter la perte de celle qu’il aimait et qui partageait sa vie depuis de nombreuses années.
Alors qu’il commence à reprendre le dessus, il reçoit une lettre qui va tout bouleverser. Cette lettre est adressée à Lisa, et est signée de la main d’un homme qui la pense toujours en vie. Le contenu de la lettre trahit l’existence d’une relation amoureuse dont Bengt ignorait tout.
« […] Comme nous avons tous les deux traité sans amour notre amour, à l’époque ! Nous l’avons étouffé, toi avec ta peur et moi avec mes exigences, alors que nous aurions pu le laisser croître et fleurir. Il existe le pêché de la vie non vécue, de l’amour non aimé. Tu sais qu’un pêché commis ensemble lie pour toujours ceux qui l’ont commis ? […]»

A la stupéfaction succède l’incompréhension et la jalousie. Comment Lisa a-t-elle pu céder à un autre homme ? Ne menaient pourtant ils pas une belle vie ? Qui est donc cet « autre » et que pouvait-il bien lui apporter de plus ? Avaient-ils partagé cette même complicité que celle qui unissait Bengt et Lisa et qu’il pensait exclusive?
Les évidences et convictions de Bengt s’effondrent, sa propre vie lui devient étrangère. Devant son incapacité à surmonter cette nouvelle épreuve, il cherche à en savoir plus sur cette relation. Il ouvre le tiroir secret du bureau de sa femme et y trouve 4 lettres écrites de la main de cet homme, dont la première remonte à douze ans.
« […] Oui, j’aimerais mieux moi aussi que les choses soient plus simples pour nous, que nous puissions vivre l’un avec l’autre et l’un pour l’autre, tout simplement. Mais le monde n’est pas fait ainsi. Et pourtant il est merveilleux ; il nous a fait nous rencontrer et nous aimer.
Je ne peux pas te quitter, Lisa.», dit l’une d’elle.

Bengt veut comprendre. Il veut savoir si Lisa a cédé ou non ; il veut découvrir les failles de cet homme afin de l’éliminer de sa vie et de celle de sa femme. Pour cela, il décide dans un premier temps de répondre à l’Autre en se faisant passer pour Lisa, puis il part à sa recherche et s’immisce peu à peu dans sa vie en prenant soin de dissimuler sa véritable identité et ses intentions. Ce qu’il découvre se révèle bien loin de ce qu’il avait imaginé… Qui est vraiment cet homme ? Que peut-il bien se cacher derrière ces apparences qui sonnent faux ? Jusqu’où Bengt ira-t-il pour parvenir à son dessein ?
C’est une histoire pathétique, symbolique et riche en enseignements que nous livre ici Bernhard Schlink, qui s’est imposé comme un auteur phare de la littérature germanique en 1995, grâce au succès phénoménal de son roman, Der Vorleser (paru en France sous le titre Le Liseur), traduit en treize langues et récemment adapté à l’écran en France.
Extraite du recueil Amours en fuite, cette nouvelle se lit avec beaucoup de plaisir et ne peut laisser indifférent. En effet, dans un style très réaliste, elle nous amène à nous interroger sur les autres, les personnes qui partagent nos vies, que nous sommes persuadés de connaître par cœur et qui peuvent pourtant se révéler subitement étrangères. Elle nous rappelle que les apparences peuvent être trompeuses. Le titre résume d’ailleurs complètement l’idée essentielle de l’histoire. Cet ‘autre’ est celui que je ne connais pas, celui que je crois connaître. Si Bengt utilise initialement ce terme pour désigner l’amant de sa femme, on se rend compte au fil de l’histoire que « l’autre » désigne finalement chacun des protagonistes de cette histoire. Bengt s’aperçoit tardivement que sa vie était en grande partie faite d’illusions et de mensonges, qu’il n’a pas su être l’homme que sa femme espérait. Il devient le spectateur impuissant d’une vie qui lui a échappé.
En résumé, une nouvelle touchante et pathétique qui se lit d’une traite, et se relit volontiers.

Bernhard Schlink
« L’autre »
Edition Folio

Morceaux choisis

« Si l’amour dans ce qu’il a de plus beau peut survivre à la mort, celle-ci ne met pas fin non plus à ses angoisses. Elle peut même au contraire réactiver ses tortures dont on se croyait libéré après une longue vie passée ensemble, poser des interrogations nouvelles et placer alors la vie entière – la sienne et celle de l’autre – dans une perspective insoupçonnée jusqu’ici. Aimer, c’est d’une certaine façon accepter le mystère de l’autre, et quand on a cru l’autre finalement sans mystère, la mort de l’autre, au lieu de sceller – définitivement et dans la douleur certes – la perte d’une harmonie, peut alors révéler – trop tard – qu’il n’en est rien, qu’il n’en est jamais ainsi, que l’entente était fondée sur des trous, des absences et que l’autre a ainsi toujours échappé à la véritable compréhension. »

« Parfois, il se demandait ce qui était pire : que l’être aimé soit autre avec un autre, ou qu’avec un autre il soit justement celui qu’on connaît bien ? Ou bien l’un des cas est-il aussi terrible que l’autre, parce que de toute façon on vous vole quelque chose : ce qui vous appartient ou ce qui devrait vous appartenir ? C’était comme dans une maladie. Le malade aussi se réveille et a besoin d’un moment avant de savoir de nouveau qu’il est malade. Et de même qu’une maladie finit par guérir, le deuil et la jalousie passent. Il le savait, et il attendait d’aller mieux. »

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à