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Julien Cottereau : Ses secrets d’Arlequin et l’empathie du clown

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Un sourire d’enfant espiègle épinglé sur son costume d’Auguste moderne, Julien Cottereau conquiert immédiatement les âmes enfantines et réveille l’émerveillement que nous avions enfoui sous notre carapace d’adulte sage et policé. IMAGINE TOI, son spectacle magique, porte brillamment son nom! Le clown-mime-bruiteur plonge le spectateur dans le monde si symbolique du conte de fées et l’invite au hasard de ses caprices à exprimer sa propre créativité. On en ressort les pupilles en étoiles, le coeur conquérant et le pied ragaillardi! Sus à l’imagination!!
Un grand merci à ce poète du geste de s’être laissé capturer le temps d’une interview à l’improvisade et de m’avoir livré quelques secrets d’Arlequin. J’en ai un à vous souffler, d’ailleurs, qui ne vous étonnera point: sa petite soeur n’est autre qu’une fée ! Alors, pensez-vous, illuminer de magie l’atmosphère: c’est de famille !

propos recueillis par

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Bonjour Julien, quelle est votre formation initiale? Vous revendiquez-vous clown ou comédien formé à la technique du clown?
Tout a commencé au collège au Mans, on m’a donné le rôle principal pour un personnage drôle d’une pièce de Ionesco basée sur l’absurde et déjà, je suis allé dans le public… J’avais envie de sauter la marche de la scène et d’aller auprès des gens et de jouer avec eux!
Au départ, je voulais être batteur et, pendant trois ans, j’ai monté des groupes avec des copains – j’étudiais la batterie depuis l’âge de dix ans – et un jour, les deux membres principaux du groupe dans lequel je jouais sont partis à Paris pour faire une école de jazz; je voulais les suivre mais l’autorité paternelle a dit « Non, tu passes le bac d’abord! ». J’ai donc passé le bac et ne sachant pas trop quelle orientation prendre, j’ai fait un BTS tourisme dans une école assez réputée nommée « Guyancourt », dans les Yvelines. Puis, j’ai continué par une école nommée Bessières à Paris pour une spécialisation en tourisme international. Dans cette école, il y avait un cours du soir en théâtre. J’y ai participé et là, ça a fait un énorme big bang dans ma tête et je me suis dit  » C’est ça que tu dois faire ». Donc j’ai tout abandonné, j’ai continué les cours de théâtre et j’ai été pris en septembre d’après à l’Ecole de la Rue Blanche, l’école nationale. Pour se présenter au concours d’entrée, il fallait avoir un an d’expérience de cours « professionnels ». Ce n’était pas mon cas. Donc j’ai menti parce que j’avais juste passé un mois dans un cours privé pour préparer le concours. J’ai été pris directement et j’avais tellement hâte d’apprendre et tellement peur d’être démasqué que j’ai monté des spectacles en plus des cours, trois spectacles en tout. Jean-Marie Binoche m’a repéré, le papa de Juliette Binoche. J’étais amoureux de Juliette Binoche plus jeune! Adolescent, je sortais du cinéma et je rêvais, mon coeur battait et tout…donc quand j’ai vu son papa, j’ai travaillé très fort pour voir la fille… mais je ne l’ai jamais vue… bien sûr (rires)…

Et puis un jour…?
Claude Crespin, un directeur artistique de la tournée au Japon du spectacle Saltimbanco, qui était français et avait fait des spectacles de clown avec Jean-Marie Binoche, l’a contacté et lui a demandé s’il connaissait quelqu’un. J-M Binoche m’avait vu dans des spectacles musico-clownesques que j’avais monté avec les Wriggles (http://www.leswriggles.com/wrestacle/. Il m’a donc mis en relation avec le Cirque du Soleil et en 94, j’ai remplacé un grand clown, René Bazinet, qui aujourd’hui est prof à Montréal. René Bazinet était mime clown bruiteur pour le spectacle Saltimbanco au Cirque du Soleil. Il n’était pas très en forme, démotivé et je l’ai remplacé au pied levé. Je l’ai donc remplacé sans avoir aucune formation! Je n’ai pas été du tout accepté par l’équipe quand j’étais là-bas. Pendant deux ans, ça a été une vrai challenge pour faire mes galons! Un jour de fortune, j’ai sauvé le show, comme on dit, parce que René Bazinet était revenu pour faire la première de la tournée européenne à Amsterdam en 95 et il s’est fait une entorse. J’étais là en tant que spectateur et à nouveau, je l’ai donc remplacé et sauvé le spectacle parce que, sans le clown, alors que toutes les caméras de télévision étaient présentes pour la tournée européenne et que le Cirque du Soleil n’était pas revenu en Europe depuis 7-8 ans, imaginez la catastrophe. Après l’équipe m’a accepté et, alors que j’aurais pu avoir des prétentions financières, j’ai simplement dit qu’avec un salaire égal, je souhaitais que René Bazinet puisse se reposer ici à Amsterdam et me faire travailler. J’ai ainsi pu parfaire un petit peu mon éducation de clown, de mime et de bruiteur avec lui pendant un mois et demi. J’ai fait 1500 fois la même chose un peu partout dans le monde. Ensuite, je suis allé en Afghanistan et au Soudan avec clowns sans frontière… en Palestine aussi et je repars bientôt avec une autre association pour le Congo, à Brazzaville et à Pointe-Noire pour les enfants et voilà, j’essaie à chaque fois, toujours avec la même technique, de faire des choses un peu différentes pour pouvoir parfaire cet apprentissage. Je continue à apprendre …

Julien, vous vous qualifieriez plutôt de Clown Blanc ou d’Auguste?

Entre les deux on va dire… je dirais le clown blanc dans la tradition des clowns blancs et non pas le clown blanc d’aujourd’hui. Oui, le clown blanc du début du siècle comme, par exemple, François Fratellini, véritable petit lutin, sujet très fantaisiste, qui n’était pas quelqu’un qui venait avec un saxo, un habit de lumière et qui ne bougeait pas…
Le clown blanc d’aujourd’hui est toujours dépositaire de la beauté, de l’élégance mais il n’a plus sept ans, il a grandi. Il est un peu entre Monsieur Loyal et le clown blanc d’avant. Et c’est un peu dommage. Avant le clown blanc, il avait 7 ans et l’Auguste en avait cinq: le clown blanc, c’était un peu le grand frère mais il était toujours aussi clown!
Je me qualifierais entre les deux mais je tends vers l’Auguste…
Julien Cottereau:
Celui qui amène le déséquilibre…
Celui qui fait bouger les coeurs, qui fait bouillir la marmite, les émotions… celui qui fait rêver et rire en même temps… celui qui est en dehors de notre vie normative, normalisée, socialisée… celui qui nous amène dans un ailleurs, dans un autrement ENORME.

Celui qui provoque un désordre…

Oui, le clown provoque le désordre mais toujours pour un chaos émotionnel. C’est toujours lié à la tendresse et à la liberté. On vit trop avec des normes, on ne se parle plus vraiment et on ne peut plus vraiment se comprendre: il y a tellement de choses qu’il ne faut pas faire ou dire de par notre éducation, oui tellement d’interdits. On est dans des normes tout le temps, dans des cadres et le clown est là pour étendre les cadres, pour casser les frontières entre les générations et les catégories sociales. C’est un bel outil de communication en fait, où l’on rigole, l’on est ému, l’on est touché. C’est notre enfance qui parle, notre fou et notre cancre et tout ce monde-là se tient la main. Dans le monde sacré qu’est le théâtre, tout d’un coup, on est dans une même famille, une famille d’émotions.
Tous les arts de scène sont là pour ça mais le clown est vraiment un moyen direct et ludique pour amener cette communion.

J’ai lu que vous rapprochiez votre personnage du fameux Arlequin de la Commedia Dell’Arte, pourquoi?
J’ai du évoquer Arlequin parce que, souvent, on me met en référence avec le mime Marceau, comme potentiel successeur .
Pourtant je ne me définis pas du tout en tant que pantomime ; ce que je fais est plutôt une arlequinade. Pourquoi? Parce qu’Arlequin a besoin de remplir son estomac et son coeur! Il a besoin de rassasier son corps, est tout le temps sur le qui-vive, c’est le valet!
Les valets de Molière sont une continuation historique des Arlequins et moi je m’inscris dans une Arlequinade moderne.
Une transgression d’Arlequin certes! Mais toujours de ce même avatar. Mon personnage, quand il arrive, dès qu’il voit quelqu’un, il a besoin de jouer avec lui et de le faire rire; il a faim d’amour. Et puis il bouge! J’ai des mouvements de mime, des tics corporels. Tous les clowns ont des tics corporels, des espèces d’empreintes…soit avec les mots, soit avec les sons, soit avec les corps, soit les trois.
Je m’inscris dans un spectacle visuel donc corporel et j’ai des tics aussi qui correspondent à la grande marmite de la Commedia Dell’Arte, du théâtre des tréteaux et plus loin même, du théâtre des funambules.
Les clowns sont venus petit à petit dans les cirques puis dans les théâtres. Le clown que j’ai remplacé a fait ses classes à Beaubourg ou à Covent Garden, sur des grandes places: c’est un bateleur. Je suis de la race des bateleurs! Une version moderne, évidemment: j’ai un petit micro et puis à l’intérieur de mon spectacle il y a des améliorations technologiques avec le son mais je m’inscris dans un théâtre de tréteaux moderne. On pourrait dire que je suis un Pierrot rappeur ou un Arlequin moderne…

D’où est venue l’idée de votre spectacle Imagine-Toi? De ce clown-mime-bruiteur que vous aviez remplacé?

Dix ans après avoir remplacé ce clown, j’ai rencontré des producteurs à Paris qui m’ont dit « banco, tu as carte blanche et tu fais un spectacle ». J’avais envie de faire un spectacle sans mot et de faire évoluer mon personnage mais sur un heure et quart.
Ce que je cherchais vraiment, c’est le pont entre les générations et les catégories sociales. Quand on regarde Chaplin ou Buster Keaton, Peter Sellers ou Roberto Benigni, on se sent à l’aise avec ces personnages parce qu’ils sont vraiment touchants et qu’ils nous rappellent plein de choses… De la même façon, mon personnage est aventurier, c’est une sorte de héros anti-héros, il nous flatte et en même temps il nous pousse en avant vers nos rêves et notre enfance, il nous fait retrouver la liberté de l’enfance, la liberté de la création. Il a cette créativité de l’enfance. L’idéal, pour nous, interprètes, c’est de porter les gens vers le haut, vers leur créativité..
Dans Imagine-Toi, le clown permet l’empathie, la compassion parce qu’il fait tout de travers. Le mime autorise la créativité des gens, avec son côté magique: avec de l’invisible, il crée des choses, d’un coup il les voit et tout le monde voit la même chose. Le bruitage, c’est la même chose mais du côté de la musique. J’essaye vraiment de combiner plein d’arts, d’utiliser des passerelles pour faire un spectacle de métissage et en même temps j’essaie de tirer les gens vers leur créativité. C’est pour ça que je prends des gens du public et que je joue avec eux; c’est un peu ma spécialité mais ils doivent être en confiance pour jouer avec moi complètement, inventer et s’amuser…. Mais dès qu’il y a quelqu’un avec moi qui s’amuse, il n’y a plus un clown, il y en a deux!

Est-ce que vous visiez les enfants en particulier? Votre spectacle puise largement, en effet, dans l’univers du conte….
Tout à fait mais si on y réfléchit, on a perdu un tout petit peu d’émerveillement en devenant adulte. Si on ne perdait pas ce don de s’émerveiller, on se rendrait compte que notre livre de vie, notre biographie, pourrait être un conte…Effectivement! il n’y a pas de sorcières, d’ogres dans la vraie vie mais on peut remplacer un patron par un ogre, par exemple. On pourrait plaisanter à caractériser d’un personnage de conte chaque jalon que l’on croise.
L’émerveillement et le fait de raconter une histoire par le conte amène tout de suite un « il était une fois » qui rassure et en même temps on peut parler de choses émotionnelles très vraies très sincères: ça fait un mix qui nous émeut. On se rend compte qu’effectivement, ce n’est pas la vie, c’est le théâtre mais on a peut-être envie de faire de sa vie un théâtre, comme disait Shakespeare.

Des nouveaux projets en cours? Il y a le DVD qui est sorti récemment…
Le DVD, on l’a fait sur quatre spectacles et il est interactif. C’est « Imagine-Toi ton DVD »: tu choisis des intervenants pour composer ton spectacle et après tu regardes. Il est en vente à la FNAC et sur Internet aussi.
Beaucoup de choses ont évolué dans le spectacle qui continue de tourner par rapport à la version DVD… plein de petites choses nouvelles et je n’ai pas fini avec ce spectacle, je le tourne un peu partout dans le monde…on va aller à Edimbourg normalement en août, Juste Pour Rire en Montréal en juillet et je continue jusqu’en mars en France et en Belgique.
J’ai aussi un gros projet qui s’appelle Nimagine, c’est un titre provisoire, des petites scénettes ( de deux à trois minutes) avec deux personnages, ma femme et moi, qui sont dans un petit studio nu, avec le même principe de mime-bruiteur-clown. En ce moment, on demande aux internautes de coproduire sur http://www.touscoprod.com.
Sur ce site, tout le monde peut miser dix, cent, mille euros sur le projet et dès que j’ai 12500 euros, je m’arrête et je fais des pilotes que je propose aux chaînes: on est en développement de cette série.

Dates des représentations:
Du 7 au 28 juillet 2012 à 18h40 au Buffon Théâtre. Festival d’Avignon.Durée: 1H15.

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