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Pedro Juan Gutiérrez, l’écrivain d’un Cuba underground et malheureux

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Il est l’un des écrivains cubains les plus connus. Son style et sa hargne donnent à ses livres une éclatante richesse autant qu’une incroyable perspective de La Havane bien loin des cartes postales idylliques qu’on tente de nous faire gober sur Cuba. Pedro Juan Gutiérrez ne cultive pas une littérature exotique et commerciale. Non et tant mieux ! Il nous parle de La Havane comme d’un grand cirque où la vie ressemble à une aventure merveilleuse colportant avec elle, ses drames, ses cris, ses pleurs, sa violence, ses amours et ses joies. Se plonger dans Gutiérrez, c’est inévitablement se prendre cette ville en plein visage au travers d’un écrivain remarquable. Lire Gutiérrez est (presque) incontournable.

Juan Pedro, vous avez fait de nombreux métiers. Aujourd’hui, vous êtes aujourd’hui l’un des écrivains cubains le plus connu et le plus talentueux. Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ?
En réalité, j’ai commencé à écrire des poèmes à 13 ans et des contes peu après. À 18 ans j’ai décidé que j’allais devenir un écrivain, mais j’ai continué à faire de nombreux métiers. Je savais pertinemment que dans la vie on devait gagner de l’argent, connaître beaucoup de gens, voyager, avoir des femmes, et ne surtout pas étudier de littérature. Mais je lisais beaucoup pour moi et à ma façon. Je ne fréquentais ni des écrivains et encore moins des intellectuels. C’était peut-être intime et romantique… je ne sais pas mais j’avais peur de passer du temps avec les autres. J’ai publié mon premier livre « Trilogie Sale de La Havane» à 48 ans et il a eu un certain succès. Car ce que j’avais écris avant ne me plaisait pas. Il y avait des milliers de poèmes et des dizaines de contes et d’un roman et demi, si l’on ajoute cela des lettres et des chansons…

Le décor de vos romans est principalement le centre ville de La Havane. Quels sont les grands enseignements que vous ont apportés cette ville ?
La Havane est une ville intense, vénéneuse et empoisonnée, folle et qui vit les quatre fers en l’air. Elle a quelque chose de diabolique. Tout est là ! Là est la matière dont a besoin un écrivain. La Havane vit encore des siècles en arrière et cela continuera encore. C’est une ville de gens joyeux et dramatiques, beaucoup de musique et bruit, de sexe et d’amour. C’est la frénésie totale. Je suis arrivé à La Havane à 38 ans parce que je ne suis pas havanais. Je la connaissais déjà bien depuis que j’étais très jeune. Alors je me suis installé dans le centre de La Havane qui est le quartier le plus pauvre et le plus violent. Quelques années après j’ai commencé à écrire comme un fou … et voilà que je ne me suis pas arrêté.

Vous avez récemment déclaré dans une interview que le point de départ de l’écriture c’est l’étonnement. Qu’est ce qui vous a le plus étonné dans vos pérégrinations au cœur de La Havane ?
La folie des gens et l’individualisme. Dans le centre ville de La Havane, il existe cette phrase : « Vis et laisse vivre ». Les gens sont durs mais en même temps il y a une amabilité, une joie entre les habitants. Il y a aussi beaucoup de temps consacré pour le sexe et la jouissance. C’est tout un foisonnement. Et c’est à mon sens ce qui transforme cette zone en lieu antagonique et contradictoire qui devient absolument inexplicable avec des raisonnements. Tout est là et complètement inexplicable.

Vos livres ont une forte connotation sexuelle. Dans Trilogie Sale de La Havane, le lecteur est en permanence confronté au désir du narrateur, flirtant et faisant l’amour avec de nombreuses femmes. Quel est le rapport intime entre le Sexe et La Havane ?
Je crois que 25 % de la vie des havanais se rattachent au sexe. Et pas seulement pour les jeunes hommes, mais aussi pour les plus âgés. Alors il est logique que le sexe soit si présent dans la littérature. Un écrivain écrit toujours par rapport à ses expériences personnelles. Alors, la réalité et la fiction se mêlent. Voilà ce qu’il est possible de faire et cela a toujours été le cas.

Vous parlez de l’existence comme d’une aventure. Quelle est l’aventure dont vous rêvez encore, Pedro Juan ?
Toute la vie est une aventure. Tu ne sais jamais ce qui va passer dans une heure ou demain. Et c’est ô combien excitant de vivre cela. L’inconnu apparaît alors comme un véritable jeu. En fait, dans cette vie, nous sommes des curieux. Nous continuons de vivre pour voir ce qui passera demain, après-demain et dans un mois. C’est amusant ! On tente d’éviter les drames et les tragédies. Personnellement, je ris beaucoup et j’ai toujours des projets. Actuellement, je travaille sur 2 ou 3 projets, plus 5 qui attendent leur moment. Mais je sais que je peux mourir à 150 ans avec de nombreux projets inachevés ( rires)

Vos livres sont une immersion totale dans La Havane. Une Havane qui transpire, qui crie, qui fait l’amour, qui boit. A travers votre écriture, cette ville est aussi belle que terrifiante pour quelqu’un qui ne la connaîtrait pas. Qu’est ce que vous diriez à nos lecteurs pour les inciter à la visiter ?
Bon… Cuba est dans sa grande majorité un pays pauvre… très pauvre. Ce qui est beau à Cuba, ce sont le peuple cubain, les plages et les paysages merveilleux. Il y a toujours les musées qui faut prendre la peine d’aller voir mais le meilleur de Cuba, ce sont les gens et la nature. Ces deux aspects sont les mêmes dans tous les pays pauvres et tropicaux. Il faut se faire une idée grâce à cela et aux musées.

Vous déclariez récemment à nos confrères de Havane Cultura que «Trilogie Sale de la Havane» est né du chômage. Peut-on dire que cette période de vie a été celle de l’introspection ?
Oui, j’étais journaliste. Tout à coup, mon salaire du mois équivalait à 30 oeufs dans un sac. Je travaillais juste deux ou trois jour par mois. Alors j’ai du également faire des choses presque illégales pour survivre et manger. Suite à quoi, je me suis mis la boisson. Ce fut une période de ma vie terriblement compliquée. Le paysage social, politique et économique de ma vie privée était très sombre. L’écriture fut un moyen d’exorciser ce mal-être.

Vous êtes également sculpteur et peintre. Quelle est la différence avec l’écriture pour vous ?
L’écriture me vide beaucoup. C’est un métier intense, sérieux et solitaire. La peinture est tout le contraire. C’est comme un jeu d’enfants avec lequel je me détends et me fais plaisir. Je mets une musique, prépare un whisky avec de la glace et me mets à peindre. Je peins parfois deux ou trois tableaux en même temps qui sont imbriqués les uns dans les auteurs parce qu’ils m’échappent totalement dès que je travaille dessus.

Sur votre site internet, il y a de nombreuses peintures. Sur l’une des photos, on vous sent complètement immergé dans l’une de vos créations. Que vous apporte la peinture Pedro Juan ?
C’est un jeu d’enfants mais qui a quelque chose de très sérieux. Cela me permet d’oublier tout ce qui se passe autour de moi.

J’ai lu vos livres alors que j’étais à l’âge limite de l’adolescence et je me suis passionné pour ce personnage Pedro Juan. Je le trouvais brillant, parfois malsain, courageux et poétique. Vous dîtes de ce personnage « qu’il a appris lui-même à ne rien prendre au sérieux. » Ces livres accordent une large part à l’autobiographie. Comment voyez-vous votre personnage Pedro Juan ?
Je suis Pedro Juan et en même temps je ne suis pas Pedro Juan. Ce personnage est à l’intérieur de moi ou peut-être je suis à l’intérieur de lui. Je me confond avec lui et je ne peux me détacher de ce type. Il est très ennuyeux parce que je suis convaincu que nous sommes comme deux personnes transparentes, incapables de s’éloigner l’un de l’autre. Pendant longtemps, il m’a entraîné dans toutes ses aventures. Maintenant, je réussis à le faire taire et à le dompter pendant quelques jours. Mais c’est très court. Pedro Juan est toujours là. Maintenant que j’y réfléchis, nous avons tous les deux une histoire d’amour et de haine.

Apparemment, vous avez décidé de ne plus écrire pendant une ou deux années . Où va se porter alors votre création et votre génie ? Dans la peinture ?
Oui, en février 2007 j’ai remis à mon éditeur la Planète de l’Espagne, mon dernier livre : UN COEUR MÉTIS. Puis, j’ai pris un long repos. J’ai seulement écrit beaucoup de poésie et contes pendant tout ce temps. J’ai pas mal voyagé en donnant des conférences et j’ai beaucoup lu également. J’ai peins très peu. Presque pas du tout en fait ! J’étais fatigué parce qu’entre 1994 et 2007 j’ai écrit dix livres de prose et cinq ou six de poésie. Cela a été fatigant. Maintenant je suis en stand by. Mais je pense sérieusement à retravailler quelques romans que j’ai entre les mains… Peut-être que je vais me remettre sur l’un d’entre eux.. Seulement mon écriture me demande beaucoup d’identification émotionnelle avec mes personnages et les cadres. Et cela me fatigue beaucoup …

Propos recueillis par Nicolas Vidal / Photographe: Tony Pradas

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