L’élément perturbateur

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Écrire sur la problématique philosophique du noir et blanc demande de revoir les fondamentaux. Bien entendu ce qui vient à l’esprit en premier c’est l’opposition. Or, le noir et le blanc ne sont pas des oppositions, l’un et l’autre ne sont pas non plus des couleurs, ils sont des tonalités.

Tonalités
Ce que l’on constate c’est qu’il y a différentes façons de les percevoir suivant la Civilisation à laquelle on appartient. Signes de deuil, de pureté, de masculin, de féminin, de mauvais ou de bon.
Derrière ces tonalités, une morale se fait jour. Les personnages de romans, de films, de bandes dessinées, sont repérables grâce à ce procédé. Ce dernier nous façonne, il nous dicte bien malgré nous le manichéisme.
Le monde est divisé en deux : le clair et le sombre, les bons sentiments et les mauvais, une alternance qui rassure et qui nous permet de contrôler dans quel « camps » nous nous trouvons. Il nous permet de nous situer également par rapport à nos humeurs. On alterne les « idées noires » et les « idées claires ».
Un monde bel et bien divisé en deux. Le monde « d’en haut » et le monde « d’en bas », le paradis et l’enfer, la vie et la mort.

La couleur
Entre les deux il y a la couleur. Dans le monde terrestre, il y a la couleur. Ces petites taches impressionnistes permettent d’humaniser ce qui fait peur. Que seraient devenus le cafard, le chat noir, la chauve souris avec toutes ces couleurs, bariolés tel Arlequin ? Leurs réputations en auraient été changées.
Bizarrement, d’un autre côté, la « blanche colombe » aurait perdu de sa superbe au profit d’un aspect plus que clownesque. Elle aurait fait sourire au lieu de déclencher ces mines de recueillement. Elle serait « humanisée » au lieu d’être sanctifiée, sacralisée. La symbolique serait toute différente.
Le noir et le blanc sont des symboles. Le tout premier symbole est celui du Temps. Les photos, les films, les documentaires en noir et blanc nous montrent le « temps d’avant ». Petite, je pensais que le monde « d’avant » était en noir et blanc. Que la couleur n’était pas. En effet, on me disait que la couleur était apparue « bien plus tard ». Je me disais sans prendre toute la mesure de ce que cela signifiait, que si la couleur était « apparue » plus tard c’est qu’avant, on « voyait », on s’habillait, on évoluait, on vivait en noir et blanc. Logique non ? C’est tout le poids d’une expression dans la tête d’un enfant.
Le choc s’est produit plus tard. Lorsque j’ai fait moi-même partie d’un monde en noir et blanc. Voir des photos de moi en noir et blanc, parler avec mes élèves du temps des vinyles, ces grosses « galettes », contours noirs, étiquettes centrales blanches. Tel un retour en arrière, je suis apparue en noir et blanc alors que mes élèves étaient en couleurs. Coup de vieux, coup de noir et blanc dans un monde colorisé.
La Beauté
Il est un deuxième symbole du noir et blanc, celui de la beauté.
On ne triche pas quand on prend des photos en noir et blanc. La couleur ici perturbe plus qu’elle n’humanise. Colorisez les photos de Robert Doisneau et le monde artistique vous tombera dessus. Sacrilège. Ici ce qui fait ressortir le sentiment, l’expression, la beauté des personnages c’est justement le fait que la couleur en soit absente.
La couleur peut ainsi perturber.
Cette notion d’humanisation par la couleur peut donner des sentiments contraires. Le noir et blanc montre également une histoire, un passé révolu qui ne se fera plus jour. Cela rassure quand on est optimiste. Cela devient dérangeant lorsque certains personnages peu flatteurs de notre histoire sont colorisés. Le noir et blanc confortait l’idée selon laquelle ils appartenaient bel et bien au temps du « passé ». Ces couleurs leurs rendent un côté très « actuel ». La couleur dérange et le noir et blanc rassure. L’analyse s’inverse.
S’il fallait conclure
Oui, j’avoue. J’aime le noir et blanc. Celui des films, des documentaires, des photos. Celui de Marjane Satrapi dans Poulet aux prunes ou de Persepolis. Celui de Frank Miller dans Sin City ou de J’ai tué pour elle. Celui des documentaires, des photos de Brel, de Piaf, de Louis Amstrong. J’aime le noir et blanc de Celebrity de Woody Allen.
Le noir et blanc c’est l’émergence de l’imperfection comme beauté et la couleur semble être « l’élément perturbateur », un maquillage parfait gommant les rides du temps.
Sophie Sendra
1 . Collection Ciboulette, aux Éditions de L’Association.
2 . Collection Ciboulette, Aux Éditions de L’Association.
3 . Aux Éditions Rackham.
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