La revanche des Otaries par Vincent Wackenheim
Encore une fois la littérature s’inspire du destin maritime de Noé et de son Arche ballottée sur les flots tumultueux d’un Déluge apocalyptique. Et Vincent Wackenheim aujourd’hui comme Alexandre Vialatte autrefois dans ses auvergnates pensées intitulées Chroniques de l’Arche de Noé ne fait pas ici œuvre de spécialiste patenté ni de théologien ferré sur la protohistoire des religions: il est ici question d’animaux, de fuite, de groupes sociaux. Pas d’écrevisse ni de requin bleu; pas de mamba vert ou noir; pas de chat ni de tigre dans le moteur; mais avec Vialatte la même volonté de se délivrer du temps et de l’espace et de mélanger ad libitum l’ancien et le nouveau, l’antique et le moderne.
Règles de vie
Tout serait parfait dans le meilleur des mondes diluviens si l’Arche de Noé transportait calmement et avec une certaine sérénité tous les couples d’animaux susceptibles de repeupler notre pauvre Terre après que celle-ci a été secouée par les éléments. Sauf que, et le conte de Vincent Wackenheim commence ainsi, deux dinoZores ont réservé leurs places sur le transatlantique et font valoir leurs droits, celui d’être là comme tout le monde, celui d’être différents comme la plupart d’entre nous. Cette présence imprévue va faire naître au sein de la communauté des passagers animaliers tensions, conflits, stress, jalousies, envies. Noé, perdant tout à coup son lin blanc et sa candeur paisible, tombe le masque et laisse découvrir ses penchants zoophiles, voire pédo-zoophiles, et offre au lecteur son désir de peau lisse et humide, comme celle des otaries. Pour ne pas perdre son autorité et imposer à nouveau le respect Noé édicte des règles: un décret de non-consommation d’autrui, obligeant tous ces carnivores et viandards à n’ingurgiter que des fruits et légumes (cinq par jour); un décret de non-prolifération afin d’éviter que les jeux sexuels ne se terminent en naissances involontaires.
Métaphore jubilatoire
On l’a compris, Vincent Wackenheim parle de notre monde et de nos faiblesses avec un art consommé du conte animalier. Ces bestioles, comme celles de La Fontaine, peuvent bien endosser nos travers et nos vices, et l’auteur peut même, sans choquer aucun lecteur, les punir de mort. Dans cet Arche presque humaine tout n’est que complots et trahisons, jusqu’à l’acte sordide des termites qui dynamitent de l’intérieur le bateau de bois. Ici comme ailleurs le combat se fait presque sans l’Homme, combat entre Dieu et le Diable, encore et encore, avec comme toujours le même vainqueur. La fable de Vincent Wackenheim est drôle, loufoque, absurde, les mots et les phrases s’entrechoquent pour le plus grand plaisir du lecteur loin des textes spéculaires du moment. A lire donc, en se méfiant des jeux de mots et des jeux d’animaux, et en se rappelant que le Déluge c’est, quelque part, la revanche des eaux taries!
Vincent Wackenheim, La Revanche des Otaries. Le Dilettante. 191 pages. 16 euros.