Les courants proviennent de ce qu’il y a trop d’ouverture

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La phrase est d’Henri de Raincourt. Le président du groupe UMP au Sénat vient d’ailleurs d’entrer au gouvernement, au poste de ministre chargé des relations avec le Parlement, à la faveur d’un remaniement qui augure trois années de présidence sarkozienne dure. Back to basics : il faut s’attendre à un retour vers le sarkozysme du candidat et non le sarkozysme présidentiel édulcoré. Selon les mots de Jean-Michel Aphatie, c’est « le remaniement le plus rigolo de la Ve République ». A n’en pas douter, il dit vrai. Et l’on vous explique pourquoi…

Tirer les leçons des européennes

Premier enseignement : qui n’obéit pas au chef de l’Etat est sanctionné. Ainsi le sort de Rama Yade, rétrogradée secrétaire d’Etat aux sports. A noter que le secrétariat d’Etat aux droits de l’homme n’existe plus. Triste symbole au moment où le peuple iranien manifeste contre un régime qui bafoue ses droits.
Ironie du sort : qui obéit au chef de l’Etat est sanctionné. Ainsi le sort de Rachida Dati et Michel Barnier. Non que le Parlement européen soit leur sanction, mais élus à Strasbourg, ils se voient contraints de quitter le gouvernement… au moment où Nora Berra, élue elle aussi le 7 juin dernier, se voit proposer un maroquin ministériel. La voici promue secrétaire d’Etat chargée des Ainés.

Deuxième enseignement : trop de réussite tue la réussite. Bruno Le Maire, brillant ex-secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, se voit récompensé de son implication dans les dernières élections. Il est promu ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche. Portefeuille prestigieux, certes. Mais qui laisse les affaires européennes au très atlantiste Pierre Lellouche, connu récemment pour cette phrase à l’égard de Jean-Luc Mélenchon : « On serait au XIXe siècle, je vous convoquerais en duel, et je vous flinguerais. Et ce serait mérité ». Pierre Lellouche, également connu pour sa position en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Rappelons que l’UMP a fait campagne sur non-intégration de la Turquie à l’Europe des 27.

Troisième enseignement : toutes ces règles sont caduques si l’on est un ami de longue date du président. A cet égard, le cas de Brice Hortefeux est des plus comiques. Autant dire burlesque. Un vrai vaudeville. Elu député européen malgré lui, le fidèle des fidèles fait des pieds et des mains pour rester à Paris et ne pas s’exiler à Strasbourg. Sarkozy le repêche. L’argument est alors des plus savoureux pour expliquer l’inexplicable : Brice Hortefeux ne peut quitter le gouvernement en période de crise, là où l’on a le plus besoin du ministre du Travail… Deux semaines plus tard, il est finalement décidé que ledit ministre n’est peut-être pas si indispensable que cela à la fluidité du dialogue social… Le voilà propulsé place Beauvau au ministère dont il a toujours rêvé. Un vrai vaudeville, je vous le disais.

Ne fâcher aucune minorité, préserver les équilibres

Exit Rachida Dati donc. Faites place à Nora Berra, une gaulliste d’origine algérienne, médecin de formation et conseillère municipale UMP à Lyon. Une arabe de moins de 50 ans remplacée par une autre arabe de moins de 50 ans : ça en est presque caricatural…

Idem pour les chiraquiens, qui perdent Christine Albanel à la culture. Mais qui récupèrent Henri de Raincourt. Il s’installe non à un secrétariat d’Etat, mais à un ministère chargé des relations avec le Parlement. Un poste taillé à la mesure du président du groupe UMP au Sénat, ami de longue date de Jacques Chirac. Il conviendra de se demander qui le remplacera à la chambre haute. Le poste reviendra-t-il à Raffarin, toujours pas remis de sa défaite à la présidence du Sénat face à Larcher ?

Côté centristes, le départ d’André Santini donne lieu à son remplacement par Michel Mercier…

Remercier les fidèles

Une fois les équilibres préservés, il faut aussi veiller à remercier les fidèles. Parmi eux : Christian Estrosi. Le « motodidacte » comme il est parfois surnommé a avalé toutes les couleuvres depuis l’élection de Sarkozy. Elu maire de Nice en mars 2008, il avait remis sa démission à François Fillon pour ne se consacrer qu’à sa ville. Sarkozy ne l’avait alors pas repêché. Plus récent : aux dernières européennes, Estrosi promet la place de numéro deux dans le Sud-Est à Gaston Franco. En contrepartie, ce dernier démissionne du conseil général, pour que puisse s’y faire élire à sa place Eric Ciotti, grand ami d’Estrosi. Coup de théâtre : la place de numéro deux revient finalement au centriste Damien Abad et une fois de plus, Estrosi mange son chapeau. Remercier le maire de Nice : c’était bien la moindre des choses à faire dans ce remaniement.

Se méfier des fausses bonnes idées : les cas Penchard et Mitterrand

Pas d’ouverture outre mesure, mais un entrant de poids : un Mitterrand s’installe rue Valois. Certes, le neveu Frédéric avait appelé à voter Jacques Chirac en 1995. Pas vraiment une figure de gauche. Une personnalité iconoclaste plutôt, qui dirigeait jusque là la Villa Médicis tout en continuant de chroniquer pour Têtu. Un homme de télévision également, mais qui manque singulièrement de sens du protocole. Aussitôt informé de sa future nomination, le voilà dans les médias pour annoncer que Christine Albanel ne sera bientôt qu’un souvenir… Outrage à président ! L’Elysée et Claude Guéant se voient contraints d’avancer l’annonce du nouveau gouvernement à mardi soir. Pas vraiment à son aise le lendemain à l’Assemblée nationale, « le neveu de » tâtonnera quelque peu avant de trouver sa place sur le banc des ministres. A vrai dire, la seule symbolique de son patronyme suffit à faire de Frédéric M. une prise d’envergure. Commentaire d’un député socialiste : « Que les Blum et Jaurès ne s’éloignent pas trop de leur téléphone ».

Autre « fille de » : Marie-Luce Penchard. Une ultramarine au secrétariat d’Etat des DOM-TOM, en voilà une idée qu’elle est bonne… ou pas. Certes, c’est la première fois que ce poste est confié à une personnalité originaire d’outre-mer. Toutefois, le choix de Marie-Luce semble ne pas faire que des heureux, et ce au sein même de sa famille politique. Aussitôt sa nomination acquise, une député de Guadeloupe démissionnait de l’UMP au motif que la nouvelle secrétaire d’Etat serait « pire que sa mère ». Sa mère ? Lucette Michaux-Chevry, sénatrice de Guadeloupe et amie de Jacques Chirac. Autre handicap pour Marie-Luce : elle vient de subir un revers aux européennes, sa liste ne rassemblant que 23,20% des voix là où Europe-Ecologie fait 51,38%. Ironie du sort : son parachutage en tête de liste avait déjà fait jaser en mai dernier. Les européennes, les européennes : on y revient décidément toujours.

Le vrai changement : un super ministère de l’écologie

Européennes encore : le score des écologistes le 7 juin dernier ne pouvant être passé sous silence, Jean-Louis Borloo hérite d’un super ministère de la verdure. Visez donc : « ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer, en charge des Technologies vertes et des Négociations sur le climat ». Un ministère auquel seront rattachés pas moins de quatre secrétariats d’Etat, dont celui du Logement et de l’Urbanisme qui revient au jeune quadragénaire Benoist Apparu.

En ligne de mire : le sommet de Copenhague qui se tiendra en décembre prochain dans la capitale danoise. L’Europe entend y jouer un rôle moteur pour conclure un nouveau traité qui remplacera celui de Kyoto dans la lutte contre le changement climatique. L’objectif que se fixe l’UE a un nom de code : les « 3X20 ». Il s’agit de réduire de 20% d’ici 2020 les émissions de gaz à effet de serre, de faire passer à 20% d’ici 2020 la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale de l’UE et de réaliser 20% d’économie d’énergie d’ici 2020.

Pour ce faire, Borloo hérite, et c’est assez inédit pour le souligner, d’un secrétariat d’Etat en charge des Négociations sur le climat et des Technologies vertes. A ce poste : Valérie Létard. Deux éléments au moins ont pu jouer en faveur de l’ex-secrétaire d’Etat à la solidarité. Tout d’abord, c’est une centriste historique. Elle a même été vice-présidente de l’UDF entre 2006 et 2007, ce qui lui aura sans doute valu sa première entrée au gouvernement en 2007. Ensuite, elle est originaire de Valenciennes, dont Jean-Louis Borloo a été maire. Gageons que les relations entre la secrétaire d’Etat et son ministre de tutelle seront pour le moins amicales.

S’il fallait tirer une conclusion de tout cela, je me permettrai d’en tirer deux. La première est qu’ « en politique, une absurdité n’est pas un obstacle ». La phrase est de Napoléon Bonaparte, à qui l’on compare souvent Nicolas Sarkozy. La seconde est que « la démocratie, c’est aussi le droit institutionnel de dire des bêtises ». Celle-là est de Mitterrand, François Mitterrand. Aussi, accordez-moi votre clémence à la lecture de cette chronique au nom de l’exercice démocratique.

Neila Latrous

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