Petits Textes, Grands Auteurs

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Valérie Millet, qui dirige avec finesse et élégance les éditions du Sonneur, propose pour les débuts de « la petite collection » trois courts textes aussi dissemblables qu’étonnants.

Par Olivier Quelier

Le premier est d’un beau et sobre vert Véronèse. Le deuxième arbore une couverture plus fantaisie, des rayures fuchsia et blanches. Quant à la couverture du troisième, elle donne dans le rétro avec des pois violine sur fond blanc. Propos pour le moins dérisoires… D’abord l’ordre choisi ici ne répond à aucune logique : nul premier ou troisième, les trois ouvrages sont sortis en même temps. Interchangeables, donc. Mais pour autant indispensables.
Ensuite, si le soin apporté à la présentation de chaque livre est le gage constant du niveau d’exigence des éditions du Sonneur, le contenu justifie à lui seul la publication de ces trois écrits brefs et anciens. C’est d’ailleurs tout le propos de « la petite collection », lancée au mois de mars « pour que puissent exister des textes trop courts pour être publiés dans un grand format, mais trop grands pour ne pas être édités ».


Jack London : du pain et de la viande

Aventurier, marin et chercheur d’or, Jack London était aussi un polémiste de talent, comme le prouve ce texte de 1902 publié dans « The critic magazine ». « Quiconque nourrit un homme est son maître » jette un regard critique sur la condition de l’écrivain et, au-delà, sur un monde mené par l’argent. Les journalistes constateront avec amertume qu’au début du XXe siècle déjà, « le rédacteur en chef est dominé par le directeur commercial qui garde les yeux rivés sur le tirage » puisqu’un gros tirage « apporte la publicité qui fait rentrer l’argent ».
Le rédacteur en chef ne fait pas « commerce d’immortalité ». Peu lui importe les textes ou les nouvelles qui s’inscriront dans la durée : « Le plus grand nombre réclame de la littérature immédiate », se moquant de « l’estimation à long terme ». Ce public est prêt à payer quelques cents pour acheter le magazine et, donc, nourrir l’écrivain… Or, « quiconque nourrit un homme est son maître ». Tout le paradoxe de l’homme de plume réside dans ce dilemme : l’ambition face à la nécessité ; l’immortalité ou du pain et de la viande : « Le monde s’oppose étrangement et implacablement à ce qu’il échange la joie de son cœur contre le réconfort de son estomac ».

Lecture et bicyclette

Le texte d’Edith Wharton, « Le vice de la lecture » a paru en 1903 dans la North American Review. La romancière y dénonce l’obligation sociale de la lecture, érigée en vertu, alors que « plus on confère à l’acte du mérite, plus il en devient stérile ». Wharton est très claire : « Se forcer à lire – « lire par volonté » en quelque sorte – n’est pas plus lire que l’érudition n’est la culture ». Un brin condescendante, elle ne blâme pas ceux qu’elle appelle les « lecteurs mécaniques » qui se cantonnent à la « fiction futile » ; en revanche, ces derniers deviennent dangereux quand ils se lancent dans « des relations bien plus épuisantes avec la littérature ».
Dussent-ils en souffrir, eux qui ne doutent jamais de leur compétence intellectuelle, les lecteurs mécaniques nuisent avant tout à l’écrivain, qu’ils invitent avec une trop grande facilité au Palais des Platitudes. Parce que la lecture est bien un art, et pas une vertu.
Les écrits de London et Wharton, quasi contemporains, sont d’autant plus intéressants qu’ils se complètent et se répondent.

Le texte de l’Italien Edmondo de Amicis, « La Tentation de la bicyclette », s’il exploite une veine plus humoristique que les deux autres, n’est pas aussi éloigné de la littérature qu’il le laisse présager. Chronique d’un vieil homme au physique ingrat qui refuse de céder à la tentation de cette nouveauté adoptée par tous, ce récit prend des allures de combat épuisant du piéton face à toutes les sollicitations, prières, menaces, les quolibets et les injonctions dont il fait l’objet.
Nez en vent, Edmondo de Amicis entraîne le lecteur sur les voies de la littérature et de l’écriture. A l’image de cette « petite collection » qui, forte d’ouvrages oubliés ou méconnus mais « dignes de vivre ou de revivre », ouvre la porte étroite de belles et durables découvertes.

Olivier Quelier.

Jack London, Quiconque nourrit un homme est son maître ; Edith Wharton, Le Vice de la lecture ; Edmondo de Amicis, La Tentation de la bicyclette, éditions du Sonneur, La petite collection. Chaque volume : environ 40p. , 5€.

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