Miel et vin incarne à lui seul le plaisir d’entrer dans une librairie et d’acheter un livre dont on sait qu’il va être passionnant.
Depuis le salon du livre de nice, nous avons posé mille et une question à Myriam chirousse qui s’est prêtée au jeu avec enthousiasme.
J’ai commencé toute petite, avec des histoires d’animaux que j’écrivais dans des cahiers de brouillon. Je me souviens vaguement d’une aventure de cheval dans une ferme qui était très copain avec un lapin qui avait perdu ses carottes… Puis, avec l’adolescence, c’est le cinéma qui a canalisé mon imagination et, quand un film me plaisait, j’inventais la suite. J’ai aussi tenu un journal où je notais les affres de ma vie de collégienne, mais c’était sans doute moins original que l’histoire du cheval copain avec un lapin ! Puis, j’ai peu à peu commencé à avoir des idées « à moi » et à les écrire.
Pourquoi?
Peut-être que, dans l’enfance, l’écriture est tout simplement une autre façon de jouer. Vous lâchez les poupées et les déguisements d’indien et vous prenez des mots pour inventer. Mais, sous cet aspect ludique, se cache un besoin vital. L’imagination est une grande « combleuse » de vides, une excellente « transformeuse » de peurs, et je trouve qu’elle explique mieux que la raison les choses inexplicables de la vie. J’ai été autrefois séduite par la philosophie, mais c’est finalement la littérature qui épouse le mieux mes inquiétudes.
Vous êtes également traductrice ? Quel est le fil conducteur entre ces deux casquettes ?
La traduction est mon métier. J’y suis venue justement parce que j’écrivais. Traduire est une autre façon d’écrire. Il y a dans les deux un acte de création avec des mots. Avec une différence : dans l’écriture, vos seules limites sont celles de votre imagination, alors que, quand vous traduisez, votre créativité doit s’exercer dans un champ restreint, délimité par les mots écrits par quelqu’un d’autre dans une autre langue.
Pouvez-vous nous parler de votre rencontre impromptue avec Robert Laffont ?
J’avais vingt ans et je travaillais comme femme de ménage chez un auteur de best-sellers qui habitait à Cannes. J’avais tout juste terminé le premier tome d’une énorme saga qui me hantait (un pavé de 350 pages en caractères 12, sans marge ni saut de ligne), quand on me dit que Robert Laffont allait venir et que je devais lui préparer la chambre d’amis. Vous imaginez mon émotion ! Prenant mon courage à deux mains, j’ai bredouillé à l’épouse de l’écrivain que je venais de terminer un manuscrit. Et le lendemain, Robert Laffont est venu me trouver dans la cuisine. J’avais les mains dans mes gants Mapa, plongées dans l’eau de vaisselle, quand j’ai entendu derrière moi : « Alors, il paraît que vous avez un livre à me montrer ? ». Je m’en souviendrai toute ma vie !
Ensuite, Robert Laffont a lu mon manuscrit, s’est déclaré impressionné et a lui-même emporté mon pavé à Paris pour le présenter à son comité de lecture. Il en est ressorti que c’était invendable en l’état. Avec le recul, ma déception m’a beaucoup appris. J’ai gardé les encouragements de Robert Laffont dans ma tête et je n’ai jamais renoncé. Quant à la saga invendable, comme une mauvaise herbe mal arrachée, elle a repoussé ! Avec beaucoup de travail et de transformation, c’est devenu le Miel et Vin d’aujourd’hui.
« Miel et vin » est votre premier roman. Et il recueille une critique très élogieuse dans de nombreux médias ! Comment ressentez-vous ce début de succès?
J’ai l’impression d’être en train de danser les premiers pas de la première valse d’un grand bal qui restera peut-être comme l’un des plus beaux moments de ma vie. C’est grisant… Mais j’espère que, passé minuit, tout ne va pas redevenir citrouille et souris !
Votre roman se déroule dans une France en proie aux troubles pendant la Révolution française. Avez-vous travaillé sur cette période afin de retranscrire au mieux l’ambiance de ces années? Avez-vous réalisé finalement un travail d’historien ?
Je me suis énormément documentée. J’ai lu des livres d’histoire, des « Que sais-je », des « La vie au temps de… », j’ai fait des fiches et des chronologies, j’ai consulté des tableaux, des gravures, des plans de Paris, je me suis plongée dans des romans de l’époque, pour m’imprégner du ton, et j’ai écouté beaucoup de musique du XVIIIème siècle. Mais je ne dirais pas que c’était un travail d’historien, car je n’ai jamais recherché l’objectivité des faits. Bien au contraire : j’ai effectué un tri tout à fait partial dans la matière historique afin de mettre les événements au service de l’histoire que je racontais. En ce sens, il s’agit plutôt d’une appropriation de romancière.
L’amour apparaît comme indéfectible du destin de deux personnages principaux. Qu’est ce qui vous a plu dans la façon de narrer une histoire d’amour à cette époque. Une nostalgie du romantisme peut-être?
Ce qui m’a plu, c’était avant tout de raconter une histoire d’amour. La Révolution est un décor, certes symbolique des mouvements intérieurs de mes personnages. Il existe une idée que je trouve agaçante selon laquelle l’amour serait un sentiment léger et facile, qui nous rendrait automatiquement la vie plus belle et agréable. Je crois au contraire qu’il s’agit d’un élan complexe, très fort, souvent dur à vivre, qui peut nous plonger dans des états extrêmes, terribles et perturbants. Je rejoins le romantisme dans ce qu’il avait de sombre, de souffrant, dans ce côté tortueux-torturé de l’émotion amoureuse. Mais l’amour qui est raconté dans Miel et vin, tout passionnel et douloureux qu’il soit, est plus constructeur que destructeur me semble-t-il. Car il invite Judith et Charles à voyager au bout d’eux-mêmes.
Votre livre renferme une galerie de personnages tout à fait délicieuse. D’où vous vient cette culture du détail toujours bien sentie?
Je crois que c’est le propre du roman comme genre littéraire que de donner de la chair et de la saveur aux personnages et aux ambiances qu’il sert au lecteur. Si l’on veut traiter un sujet d’un point de vue abstrait, on écrira plutôt un essai. Dans la vie quotidienne, j’aime le détail, l’anecdotique, les petites touches qui en disent long… C’est aussi comme ça que fonctionne ma mémoire : avec du sensoriel, du croustillant. C’est sans doute pourquoi j’ai dépeint mes personnages de cette façon-là.
Comment appréhendez-vous l’impact de votre premier roman sur les lecteurs?
J’espère qu’il leur plaira, qu’il leur parlera, qu’il les fera voyager dans leurs émotions… Mais j’essaie de ne pas trop y penser : j’ai fait ce que j’ai pu, maintenant c’est au livre de produit son effet.
Pourriez-vous nous éclairer sur le choix du titre « Miel et vin »?
Il m’était impossible de choisir un titre descriptif ou narratif, qui axait sur des éléments précis de l’intrigue. Je n’y reconnaissais pas l’âme de mon livre. « Miel et vin » est à prendre comme une formule magique dont le sens s’imposera à chacun au fil de sa lecture. Certains voient dans ce titre l’homme et la femme, la douceur et l’ivresse, ou encore l’hydromel qui était la boisson des dieux… Personnellement, il convoque en moi la nostalgie de l’Age d’Or, cette époque bénie où, soi-disant, le bonheur était possible sur la Terre, car l’on raconte qu’alors coulaient des fleuves de miel et de vin… Vivre dans le bonheur, ici et maintenant, est une aspiration tenace, je crois, au fond de chacun de nous. Mais que faire quand nous sommes jetés, au contraire, dans une époque troublée, dans un pays en guerre où ce sont des fleuves de sang qui coulent ? Mes personnages sont confrontés à ce déchirement.
Que diriez-vous aux lecteurs du BSC NEWS MAGAZINE pour les inciter à lire votre livre?
Eh bien, je leur dirais que personne n’a jamais rien perdu à ouvrir la première page d’un livre. Ils ne courent que le risque de tomber sur une lecture qui les captivera peut-être et leur fera passer un bon moment.
Propos recueillis par Nicolas Vidal