« Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe » a écrit Jules Renard et c’est ainsi que pousse celui qui, à l’ombre de son jardin de papier, se prépare à donner ses propres fruits : l’écrivain, bien sûr ! De là, mon envie d’aller à leur rencontre et d’avec eux remonter le temps, le temps d’avant l’écriture, le temps de la première lecture.
par Maïa Brami / Photos Denis Felix-Opale
Premier souvenir littéraire…
La Guerre des Boutons de Romain Goupil. C’est un des premiers gros livres que j’aie lus, je devais avoir sept, huit ans. J’ai aimé comment il arrive à tirer le Fantastique d’un univers scolaire ; l’humour aussi, le côté chorégraphie de batailles. Je me souviens d’une bataille où ils avaient volé tous les boutons, quelle inquiétude ! On dit souvent que les garçons sont intéressés par les batailles, tandis que les filles s’orientent plus volontiers vers les histoires sentimentales. En tout cas, c’est ce qui m’a été reproché dans Les Fourmis. D’où la grande histoire d’amour dans le deuxième !
Ensuite, il y a la découverte de Jules Verne…
J’ai adoré L’île Mystérieuse, parce que c’est le principe de Robinson Crusoé, mais traité de façon beaucoup plus dynamique. Et puis, il y a une telle force de détails dans Jules Verne. Il nous transporte, on a l’impression d’être là-bas. On retrouve ça aussi en lisant Le Seigneur des Anneaux ou Dune : cette capacité de l’auteur à faire exister le monde.
Pourquoi êtes-vous à l’aise dans l’univers Fantastique ?
L’imagination a toujours été le moteur de mon écriture. Et il me semble que faire un roman introspectif ne représente pas le même défi. De toute façon, c’est ce qui m’amuse : j’écris les livres que j’ai envie de lire !
Lectures d’adolescence…
Asimov m’a apporté l’intelligence, Herbert, le mystique, Dick, la folie. Les trois s’enchaînent comme ça, le plus fort étant Dick : c’était un cerveau humain dopé. D’ailleurs, la drogue l’a tué. Sous son emprise, il écrivait des romans en quatre jours et recherchait une rapidité de touches de frappe, que je partage aussi — j’ai pris des cours de dactylo pour aller plus vite. Et quand on me demande ce qu’il faut faire pour devenir écrivain, je conseille avant tout d’apprendre à taper. Ensuite, de se procurer un ordinateur !
Et ceux qui vous disent qu’il faut écrire à la plume ?
Je les respecte, mais ils écriront à l’ancienne, parce qu’il y a un rythme imposé par la plume qui n’est pas le même que celui qu’offre un ordinateur.
Philip K. Dick, votre plus grande révélation ?
C’est mon maître. Il m’a montré qu’on pouvait aller beaucoup plus loin qu’on était allé jusque-là. Beaucoup de gens — même des auteurs que j’ai pu croiser — aiment son côté délirant, alors que je vois dans chacune de ses œuvres un véritable cours de philosophie sous forme d’histoires. C’est lui qui m’a, notamment, fait découvrir le Zoroastrisme.
Votre livre préféré de Philip K. Dick…
Probablement Invasion Divine, qui raconte comment Dieu essaie de ramener un Messie sur Terre. Seulement, le Messie doit prendre conscience qu’il est Messie. D’où le rôle d’une petite fille — la Torah personnifiée — qui va lui rappeler ses devoirs, en lui donnant la loi et le mode d’emploi de la vie de Messie. Je trouve ça fantastique ! D’autant plus que ça va le placer face à un dilemme : s’il faut être gentil avec tout le monde, faut-il l’être aussi avec les méchants, notamment Satan ? Je trouve ça génial ! Après avoir écrit Invasion Divine, Philip K.Dick a même failli se convertir au Judaïsme, séduit par sa philosophie profonde et méconnue. C’est un Judaïsme complètement nouveau qui est présenté là, un « Judaïsme Dickien ».
Judaïsme, Zorastrisme, d’où vous vient cet intérêt pour les religions ?
Chaque religion m’intéresse en tant que mode de perception du réel, du monde, de la mort et de la morale. Mais il me semble que le Judaïsme est le système le plus sophistiqué. Tous les autres ne sont que de pâles copies — dans le monde occidental en tout cas. Bien sûr, il y a le Bouddhisme et ses dérivés, c’est une autre grande force, sans oublier le Chamanisme. Vous savez, les juifs eux-mêmes ne saisissent pas tous ce qu’ils ont comme trésor, contrairement aux autres qui perçoivent bien l’étincelle qui s’en dégage, ce qui ne manque pas d’éveiller la jalousie de certains.
Est-ce que vous avez conscience d’une progression dans vos écrits. Qu’essayez-vous d’atteindre ?
À partir des Thanatonautes, j’ai choisi de travailler dans deux voies différentes : cerveau gauche et cerveau droit. Un côté science et un côté spiritualité. Évidemment, la spiritualité m’amuse plus, parce qu’on peut aller très loin sans pour autant chercher à convaincre à tout prix, sans faire de prosélytisme.
À quel moment, vous avez su que vous seriez écrivain ?
Je n’ai jamais voulu être écrivain. J’ai commencé à écrire Les Fourmis à l’âge de seize ans, mais pour moi c’était une manière de me détendre. M’inventer des mondes fantastiques me permet de fuir la réalité comme d’autres le font avec l’alcool ou les somnifères : je suis un grand fuyard !
Si vous n’êtes pas écrivain, vous êtes quoi ?
La Fontaine disait: « Je suis héritier d’un travail déjà accompli par d’autres et après moi, d’autres le poursuivront. » Je me considère comme un chaînon et je n’espère qu’une chose : guider mes lecteurs vers l’envie de lire. C’est déjà pas mal ! Et puis, ce que je bâtis peut aider les autres à bâtir autre chose.
… Leur vie ?
J’espère qu’ils pourront puiser une énergie positive dans mes livres. En tout cas, je doute qu’on puisse m’utiliser pour faire le mal.
Comment définiriez-vous votre travail ?
« Open mind » : le plus large horizon. Travailler le lâcher prise. Souvent, les gens me prêtent une imagination débordante, mais je ne crois pas. Montaigne disait : « Je ne suis que le fil qui réunit les fleurs du bouquet. » En fait, je réunis des choses qui existent déjà, ma créativité se situe plutôt dans la manière de les présenter, de les mettre en scène. Je n’invente rien. Pour Les Fourmis, par exemple, je me suis intéressé au véritable comportement des fourmis.
Vos lectures d’adolescence ont-elles agis sur vous comme un révélateur ?
Philip K. Dick m’a appris la liberté. Franck Herbert, la structure — le Tarot m’intéresse énormément. Certaines cartes m’aident d’ailleurs à trouver des scènes. Chacune d’elles sont des archétypes, des situations fortes qui ont généré tous les nœuds de l’humanité. Peu à peu, mes textes s’organisent comme un jeu, une cathédrale avec des plans, une organisation. Stephen King, lui, m’a appris à travailler la psychologie d’un personnage, de construire son histoire en amont et de l’intégrer ensuite dans le livre. D’ailleurs, il m’arrive de sortir un personnage qui ne tient pas la route et de le retravailler à fond avant de le réintroduire.
Ça ne chamboule pas votre construction ?
Si, bien sûr, mais ça fait partie du processus. De toute façon, j’avance par étapes. D’abord, j’écris la chute, ensuite le cheminement qui conduit à cette chute. Ça donne une sorte de synopsis, un roman d’environ deux cent cinquante pages. En général, je ne l’aime pas, je l’oublie et sur le seul souvenir, s’écrit un deuxième synopsis qui ne me plait pas non plus. Je l’oublie à nouveau et ainsi de suite. En général, ça prend un an. Pour Les Fourmis, ça en a pris douze, soit vingt-quatre versions !
Quand décidez-vous que votre roman est terminé ?
À vrai dire, je me fie à la règle « des un an », sinon je serais tenté de réécrire Les Fourmis à l’infini jusqu’à atteindre une certaine forme de perfection ! D’ailleurs, dans ce roman, il y avait déjà en germe tous mes autres livres.
Le jeu de l’inconscient ?
Oui, vous savez, même de mon travail, je ne suis pas conscient. Je pourrais presque dire que j’écris pour savoir ce que je veux dire ! Page après page, je découvre mon écriture et je suis étonné de ce que j’y trouve. Je ne comprends pas vraiment ce que je fais. J’ai besoin de gens extérieurs. Par moments, ça m’amuse de constater que mon éditeur comprend mieux ce que je veux faire que moi !
Vous voulez dire que vous n’avez pas de recul quand vous écrivez. Vous êtes immergé dans votre monde, en transe ?
Oui, une bonne musique et je me projette dans mon monde. En général, j’écoute des musiques de films.
Quel livre de chevet aimeriez-vous transmettre à un proche ?
Jonathan Livingston le Goéland à mon fils, pour la perception de la liberté, le fait de se surpasser pour aider les autres, d’être dans la lumière. Et puis, c’est aussi le parcours de certains prophètes.
Propos recueillis par Maïa Brami